Ce mois-ci, nous vous présentons l'histoire Après le miracle qui est la suite de l'histoire que nous vous avons présenté le mois dernier sous le titre La mère abandonnée.
Lorsque la jeune Lyonnaise Anne-Marie Coste s’est trouvée miraculeusement guérie par l’apparition de Notre Dame de Fourvière, qui s’était présentée à elle comme « La Mère Abandonnée » alors que la jeune voyante l’appelait affectueusement « Bonne Mère ». Cette guérison, lors de sa deuxième apparition, le 2 janvier 1883, devait permettre d’authentifier l’apparition mariale. Il y aura 17 apparitions supplémentaires durant cette année 1883. De nombreuses autres guérisons interviendront, pendant quelques années au moins, rendant très surprenant le silence qui a entouré cet ancien lieu de pèlerinage.
Les apparitions qui suivent le miracle
En quelques jours, la nouvelle de l’apparition et du miracle se répand bien au-delà de la Croix-Rousse. Curieux et pèlerins commencent à affluer vers la soupente, pendant qu’incrédules et jaloux se livrent aux plus odieuses calomnies et injures.
Il devient préférable d’isoler Anne-Marie qui entre alors chez les religieuses du Sacré Cœur à Grandris, dans le Beaujolais, où la « Mère abandonnée » lui apparaît de nouveau, d’abord le 3 mars 1883, pour la sermonner : « Anne-Marie, qu’es-tu venue faire ici ? Ta place n’est pas ici, il faut retourner encore quelque temps dans le monde, j’ai besoin de toi, ta mission n’est pas achevée. Quand elle sera finie, tu viendras chercher le calme et la paix. Tu veux bien recevoir des grâces, mais tu ne veux pas souffrir, tu es venue ici pour ne plus avoir de peines. »
Une autre apparition, le 13 mars, lui répète qu’elle n’est pas à sa place : « Quand il sera temps que tu reviennes servir le bon Dieu, je t’avertirai. Tu ne reviendras pas au Sacré-Cœur, je veux que tu ailles à la communauté des sœurs de Saint Joseph (…) Il est utile qu’étant religieuse tu vois un peu de monde, tu pourras faire beaucoup de bien. »
Mais, auparavant, l’apparition lui aurait demandé de retourner dans sa famille car ses parents, très malades, ont bien besoin d’elle et elle doit aller les soutenir. La famille qui ne vivait que par le modeste salaire du père, est dans la plus grande misère. De retour à Lyon, Annette reprend donc son métier de lingère, tout en prenant en charge ses 9 petits frères et sœurs et en prodiguant soins et affections aux parents malades. Mais les autorités religieuses ont du mal à admettre que la Sainte Vierge puisse donner l’injonction de quitter un couvent pour retourner dans le monde, surtout après à peine quelques jours de retraite. La suspicion s’intensifie dès lors.
Les apparitions se poursuivent d’abord chez ses employeurs, à Bellecour, puis à Vaise (chez Mme Ferraton au 42 rue de la Duchère), puis de nouveau dans la soupente. La dernière vision aura lieu le 22 septembre à Vaise. Sur les 17 apparitions, 5 resteront silencieuses, c’est-à-dire que l’entité se montre mais disparaît sans avoir ouvert la bouche.
Arrêtons-nous sur l’apparition du 21 mai à Vaise, à peine une semaine après le décès de la mère d’Anne-Marie, partie un lundi de pentecôte, le 14 mai 1883. La Bonne Mère apparaît et demande : « Comprends-tu maintenant pourquoi je n’ai pas voulu te voir toujours au même endroit ? (…) C’est pour te faire voir que je ne suis pas venue que pour toi mais pour tout le monde, principalement pour Lyon. Cependant, je me suis choisi un lieu où je répandrai mieux mes grâces. C’est la paroisse de Saint Augustin où je t’ai guérie. »
À la voyante en deuil qui lui demande pourquoi elle lui a pris sa mère, la Bonne Mère répond ; « Anne-Marie, tu me fais beaucoup de peine en parlant comme cela. Doutes-tu encore du bonheur dont ta mère va jouir dans quelques jours ? Tu t’es laissé aller à l’ennui, tu as manqué de confiance. »
Durant la 16ème apparition, le 11 juillet à Vaise, la Bonne Mère avait l’air fâché : « Tu es beaucoup trop occupée des choses matérielles, tu remplis ton cœur de ces riens qui nous déplaisent. Penses-y seulement pour bien remplir ton devoir de petite mère de famille. Que ton esprit soit toujours occupé de ce que je t’ai dit le 6 novembre. Ce qui me fait encore beaucoup de peine, c’est la tiédeur avec laquelle tu dis ton chapelet et combien de fois l’as-tu laissé de côté. Sois plus sage et plus fervente. Surtout deviens bien pieuse. Je veux qu’il y ait en toi une vraie piété. »
La Bonne Mère vient donner ses dernières recommandations lors de la 19ème et dernière apparition et promet qu’Elle reviendra pour les derniers moments d’Anne-Marie : « Il faut beaucoup prier. Il est temps encore… Oh, si tous savaient, comme ils deviendraient plus sages et plus fervents (…) Il serait bon que tu retournes bientôt en communauté. Je n’ai plus besoin de toi dans le monde. »
Ces 19 apparitions, sur une petite période de 9 mois, ainsi que les secrets donnés le 6 novembre qu’elle ne pouvait révéler, ajoutés à « l’affront » que Marie se dise abandonnée dans la ville de Lyon qui, pourtant, lui a toujours voué un culte important, tendront à discréditer la jeune lingère auprès des autorités religieuses.
Pourtant, Anne-marie avait bien demandé ces preuves supplémentaires :
« - Bonne Mère, on ne croit pas que vous avez pu donner à une pauvre fille comme moi la mission de communiquer vos avertissements. On voudrait des preuves dont on ne puisse douter.
- Quoi ? répliqua la Sainte Vierge, n’ai-je pas donné des preuves suffisantes ? Ne t’ai-je pas guérie ? N’ai-je pas sauvé Lyon des ravages de l’inondation ?
- C’est vrai Bonne Mère ! Mais on voudrait d’autres preuves ! La Sainte Vierge n’aurait rien répondu et aurait disparu (1). »
On sait bien dans le spiritisme que « Pour ceux qui croient, aucune preuve n'est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas, aucune preuve n'est suffisante … » .
Le succès des médailles
Durant l’échange du 30 mars à Bellecour, l’apparition aurait demandée si les médailles réclamées avaient été frappées affirmant que, pour preuve de Son intervention divine, ceux qui porteraient cette médaille seraient comblés de bénédiction voire guéris de leurs maladies. Le dossier de l’archevêché ne contient aucune médaille française, juste une médaille italienne attestant que cette histoire a dépassé les frontières et a atteint une notoriété plus importante en dehors de Lyon.
Cet engouement extérieur se confirme par une lettre adressée à l’archevêque de Lyon le 12 juin 1883, signée par Louis de Cissey : « Un éditeur de médailles de Paris, auquel on a demandé beaucoup de médailles semblables à celle que portait la Sainte Vierge dans son apparition du 2 janvier à Anne-Marie m’a prié de lui obtenir les détails les plus précis sur cette médaille, détails qu’il attend pour la frapper (…) La médaille est impatiemment attendue dans toute la France et l’on s’étonne partout qu’elle ne soit pas encore frappée. »
Dans les Annales du Surnaturel du 15 novembre 1884, on peut lire : « La médaille de l’apparition de Lyon a été si bien accueillie en Italie et en Autriche, qu’elle se répand dans ses deux contrées par centaines de mille. En France, elle devient plus populaire de jour en jour. »
Puis dans le numéro du 15 juillet 1885, on voit que la médaille se répand également en Espagne, d’où une femme pieuse écrit : « Il y a un an, j’ai fait frapper des médailles représentant l’apparition de la Sainte Vierge à Anne-marie Coste de Lyon. J’en ai distribué plus de 90 000. La Mère de Dieu a accompli de nombreux prodiges. J’ai reçu des ex-voto pour plusieurs de ces grâces reçues. »
Et dans la biographie que Mme Bastien a écrit sur Louis de Cissey, on peut lire : « Des millions de neuvaines furent reçues tant en France qu’en pays étranger. À Alger notamment dans Notre-Dame d’Afrique, elles se terminèrent par une communion générale. L’Autriche, l’Espagne se sont largement associées à l’élan de prières. L’Italie a vu s’opérer chez elle des guérisons, des miracles analogues à ceux de la Croix Rousse. Les médailles sont frappées par milliers, le Saint Père les a bénies. »
Dans le livre La Croix brisée sur le Globe de Gilles Lameire, on trouve de nombreux témoignages de guérisons et autres protections accordées à ceux qui portaient ce qui était devenu partout la « médaille miraculeuse de Lyon ». On lit, dans une feuille de propagande italienne : « En France, plus d’un million de ces médailles se sont répandues, en Italie plus de quarante mille et autant de milliers en Espagne. De partout succèdent d’éclatants miracles, de belles conversions et des guérisons par le moyen de cette médaille. »
Elle rappelle la médaille miraculeuse de la rue du Bac à Paris, où la Vierge apparue à Sainte Catherine Labouré, le 27 novembre 1830, qui avait aussi réclamé une médaille, puis s’était plainte qu’elle ne fût pas encore frappée. Nous pouvons d’ailleurs noter une autre similitude : bien que la Vierge ait été représentée sur cette médaille les mains vers le bas en signe de protection, elle était aussi apparue tenant un globe doré surmonté d’une croix. Aujourd'hui, la chapelle Notre-Dame-de-la-médaille-Miraculeuse est fréquentée par deux millions de visiteurs par an, ce qui en fait l'un des dix lieux culturels les plus visités à Paris. Quant aux messages de l’apparition de la Croix Rousse, ils sont très proches de ceux de La Salette dont le sanctuaire accueille 300 000 pèlerins par an. À Lyon, l’histoire est restée particulièrement secrète, étouffée même, malgré les nombreux miracles attribués à la médaille miraculeuse de Lyon dans le monde, et malgré la suite de notre récit...
La vie d’Annette miraculée
Après le décès de ses parents (la mère en mai 1883 puis le père 2 mois après, en juillet 1883), la jeune lingère visionnaire, en tant que sœur aînée, doit s’occuper de sa grande fratrie dont le plus jeune frère n’a qu’un an et demi. Elle vient d’être guérie mais se retrouve orpheline et chargée de famille nombreuse. Touchés par son courage, des personnes charitables proposent d’adopter les enfants pour qu’Annette puisse aller au bout de sa vocation. C’est ainsi qu’en 1885, comme le lui avait demandé la Bonne Mère, Annette entre chez les Sœurs de Saint-Joseph, sous le nom de sœur Marie de l’Eucharistie, d’abord certainement à la Tour du Pin (le lieu devait rester secret pour la dérober à la foule) puis, le 15 octobre 1885, elle commence son noviciat au couvent de la Croix Rousse (26 rue des Chartreux à Lyon), puis à Trades de 1895 à 1899. Notons qu’elle y sera de nouveau miraculeusement guérie d’une paralysie des jambes pendant la messe le jeudi de l’ascension. Portée sur un brancard pour rentrer à l’Eglise depuis plusieurs mois, elle en ressortira sur ses 2 jambes, devant tous les participants présents. Elle fera ensuite un court passage à Saint Vallier puis, à partir de 1902, elle ira à Saint-Priest-en-Jarez jusqu’à sa désincarnation le 28 avril 1924. Elle aurait d’ailleurs eu, comme promis, au moment du trépas, une ultime vision de celle qu’elle appelait sa « Bonne Mère ».
Médium, elle avait de fréquentes visites d’âmes en souffrance et faisait de ferventes prières pour leur délivrance. Sa grande médiumnité favorisera diverses belles interventions célestes mais aussi d’impressionnantes manifestations tapageuses qui vinrent régulièrement ponctuer sa vie de religieuse. On lui attribue divers soutiens, conversions, guérisons, même après son départ pour l’au-delà, prouvant qu’elle n’a pas perdu son pouvoir d’intercession. Un ex-voto, avec le globe surmonté d’une croix brisée, a même été déposé sur sa tombe en 1987.
Un important lieu de pèlerinage devenu totalement inexistant
Pendant qu’elle mène sa vie de religieuse au couvent, les pèlerins affluent, de toute la France, mais aussi d’Italie, d’Espagne ou d’Autriche, pour monter dans la petite soupente de l’atelier des Deguerry, rue Bonnet. Louis de Cissey raconte que, certains jours, plus de cinq cents personnes grimpent l’échelle qui conduit à la soupente pour y prier, pendant que les tisseurs de soie s’affairent dans l’atelier juste en dessous. Différents articles des Annales du surnaturel relatent l’engouement, la piété ainsi que les fleurs et les ex-voto à la Mère Abandonnée qui s’accumulent dans le « petit sanctuaire de l’apparition » : « Les marbres gravés ont de la peine à trouver place dans la soupente. La mère du Sauveur ne cesse de confirmer la vérité des apparitions par l’abondance des grâces qu’Elle accorde en ce lieu béni. »
Citons simplement la guérison d’une couturière de Valence qui « avait perdu entièrement un œil il y a 30 ans et depuis 18 mois l’autre. Ayant été affligée d’une complication de maux et d’une enflure considérable, cette pauvre ouvrière était entièrement aveugle depuis lors ». Son médecin puis un célèbre oculiste de Lyon lui ayant déclaré que la vue était dans un état désespéré et qu’on ne pouvait entreprendre aucun traitement pour la soulager, la pauvre aveugle a l’intuition de venir prier à la soupente de l’apparition. « Elle oignit trois fois ses yeux de l’huile des lampes que l’on entretenait dans cette sorte d’oratoire, puis elle y commença la neuvaine de prières que la Sainte Vierge a demandé là. Elle repartit ensuite pour Valence où elle continua les prières qu’elle avait commencées à Lyon. Arrivée au sixième jour de la neuvaine, la malade éprouva dans l’œil éteint, il y avait longtemps, comme l’impression d’un nerf qui se brise et, à l’instant, la vue était rendue à cet œil. La malade reconnaissante acheva la neuvaine, après laquelle elle commença une seconde et, le quatrième jour de celle-ci, elle envoyait par écrit l’annonce de sa guérison accompagné d’un présent en argent pour l’entretien des lampes de l’oratoire (2). »
Beaucoup d’autres cas de vue retrouvée, de tumeurs disparues, de béquilles abandonnées et autres guérisons miraculeuses sont relatés dans divers articles des Annales du surnaturel et dans la brochure de Mr de Cissey qui admet : « Il faudrait des volumes pour raconter les guérisons et les grâces obtenues à la suite de neuvaines et de prières adressées à la Mère Abandonnée. »
Et pourtant, devant les pressions religieuses, l’atelier fut interdit au public. En effet, une enquête discrète, demandée par Mgr Caverot, avait conclu qu’il fallait fermer le lieu de pèlerinage. Aussi, pour empêcher les visites, on en vient, en 1890, jusqu’à enlever et brûler son contenu puis murer la chambre qui restera ainsi close jusqu’en 1950. Cette année-là, Pierre Sbodio, nouveau propriétaire des lieux, remet la chambre en état et la fera visiter gratuitement aux curieux jusqu’à sa mort en 1991. Aujourd’hui, il n’y a même pas une plaque sur la façade de l’immeuble qui vit pourtant affluer tant de pèlerins.
L’allumette de la ferveur
L’Église aurait reconnu le miracle de la guérison mais pas les apparitions qu’elle a tout fait pour cacher (isolement secret de l’extatique, interdiction de parler des apparitions, murage de la soupente, aucune enquête canonique demandée, etc.). On peut lire, dans le livre La Croix brisée sur le globe, un touchant extrait d’une lettre que l’Abbé Olive a envoyé au Pape Léon XIII pour lui demander de diligenter une enquête afin de pouvoir prendre enfin en compte les demandes de prières de la sainte Vierge. Il est clair qu’au vu des nombreuses intercessions qui ont suivies les apparitions et de l’engouement qu’elles ont suscité à l’étranger, on peut s’étonner du silence imposé par l’Église sur les lieux de l’apparition. A Lyon, la Mère Abandonnée a été abandonnée... Plusieurs explications pourraient tenter de justifier la grande discrétion de l’archevêché de la Ville de Lyon sur la Vierge de la soupente. On évoque, entre autres, le fait qu’il y avait, à cette époque, déjà trop de lyonnais en « odeur de sainteté », comme le curé d’Ars, le père Chevrier, Claudine Thévenet, Pauline Jaricot, etc. Il semblerait que Lyon soit bien une ville très riche et donc bien prometteuse sur le plan spirituel… Mais peu importe qui est réellement apparu, ce qui compte c’est de voir comment la confiance, l’espoir, la foi réunies ont permis que plusieurs guérisons miraculeuses se produisent. Il fallait un point de départ, comme une allumette, pour embraser une ferveur capable d’attirer les fluides régénérants et les rendre actifs. Espérons qu’une autre allumette puisse s’embraser de nouveau un jour en cette bonne ville de Lyon...
(1) – Extrait de La Croix brisée sur le Globe de Gilles Lameire
(2) – Extrait des Annales du surnaturel du 15 décembre 1883.