Voici deux évènements décisifs pour l'avènement du spiritisme au niveau mondial:
Des coups dont personne ne put deviner la cause se firent entendre pour la première fois en 1846 chez un nommé Veckmann, habitant la maison d’un petit village appelé Hydesville dans l’Etat de New-York. Rien ne fut négligé pour découvrir l’auteur de ces bruits mystérieux, mais on n’y put parvenir. Six mois plus tard, en 1847, cette famille quitta la maison qui fut alors habitée par un membre de l’Eglise épiscopale méthodiste M. John Fox et sa famille, composée de sa femme et de ses deux filles, Margaret alors âgée de 14 ans et Kate, de 11 ans.
Pendant trois mois ils y furent tranquilles, puis les coups recommencèrent de plus belle. D’abord c’étaient des bruits très légers, comme si quelqu’un frappait sur le parquet d’une des chambres à coucher, et à chaque fois une vibration se faisait sentir sur le parquet; on la percevait même étant couché, et des personnes qui l’ont éprouvée, la comparent à l’action produite par la décharge d’une batterie électrique. Les coups se faisaient entendre sans discontinuer, il n’y avait plus moyen de dormir dans la maison toute la nuit ces bruits légers, vibrants frappaient doucement, mais sans relâche. Fatiguée, inquiète, toujours aux aguets, la famille se décida enfin à d’appeler les voisins pour l’aider à trouver le mot de l’énigme; dès ce moment les coups mystérieux appelèrent l’attention de tout le pays.
On mit des groupes de six ou huit individus dans la maison, ou bien on en sortit, tout le monde écoutant dehors, mais l’agent invisible frappait toujours. Le 31 mars 1845, madame Fox et ses filles, n’ayant pu dormir pendant la nuit précédente, et harassées de fatigue, se couchèrent de bonne heure, dans la même chambre, espérant ainsi échapper aux manifestations qui se produisaient ordinairement au milieu de la nuit. M. Fox était absent. Mais bientôt les coups recommencèrent, et les deux jeunes filles, réveillées par ce vacarme, se mettent à les imiter en faisant claquer leurs doigts. A leur grand étonnement les coups répondent à chaque claquement, alors la plus jeune des filles miss Kate veut vérifier ce fait surprenant; elle fait un claquement, on entend un coup, deux, trois, etc., et toujours l’être ou l’agent invisible rend le même nombre de coups. Sa soeur dit en badinant : « Maintenant faites comme moi, comptez un, deux, trois, quatre, etc., » en frappant chaque fois dans sa main Ie nombre indiqué. Les coups se suivirent avec la même précision, mais ce signe d’intelligence alarmant la jeune fille, elle cessa bientôt l’expérience.
Mme Fox dit alors : « Compte dix. » L’agent frappa dix fois. « Quel âge ont nos enfants ? » La réponse fut correcte. A cette question : « êtes-vous un homme, vous qui frappez ? » aucune réponse ne vint; mais à celle-ci « êtes-vous un Esprit ? » il fut répondu par des coups nets et rapides.
Des voisins appelés furent témoins de ces phénomènes. Tous les moyens de surveillance furent pratiqués pour découvrir l’invisible frappeur, mais l’enquête de la famille, et celle de tout le voisinage, fut inutile. On ne put découvrir de cause naturelle à ces singulières manifestations.
Les expériences se suivirent, nombreuses et précises. Les curieux, attirés par ces phénomènes nouveaux, ne se contentèrent plus de demandes et de réponses. L’un d’eux, nommé Isaac Post, eut l’idée de réciter à haute voix les lettres de l’alphabet, en priant l’Esprit de vouloir bien frapper un coup sur celles qui composaient les mots qu’il voulait faire comprendre. De ce jour, la télégraphie spirituelle était trouvée : ce procédé est celui que nous verrons appliqué aux tables tournantes.
Voilà, dans toute sa simplicité, le début du phénomène qui devait révolutionner le monde entier. Nié par les savants officiels, raillé par la presse des deux mondes, mis à l’index par des religions craintives et jalouses, suspect à la justice, exploité par des charlatans sans vergogne, le spiritisme devait cependant faire son chemin et conquérir des adhérents, dont le chiffre s’élève à plusieurs millions, car il possède cette force plus puissante que tout au monde : la vérité.
Les visiteurs remarquèrent que les phénomènes ne se produisaient qu’en présence des demoiselles Fox ; on leur attribua un certain pouvoir qui fut appelé, médiumnité.
Telle fut la première conversation qui eut lieu dans les temps modernes et que l’on ait constatée, entre les êtres de l’autre monde et celui-ci, De cette manière madame Fox parvint à savoir que l’esprit qui lui répondait, était celui d’un homme qui avait été assassiné dans la maison qu’elle habitait, plusieurs années auparavant, qu’il se nommait Ryan, qu’il était colporteur et âgé de trente un ans, lorsque la personne chez laquelle il logeait le tua pour avoir son argent et l'enterra dans la cave. Des ossements humains furent effectivement trouvés plus tard.
Madame Fox dit alors à son interlocuteur invisible : « Si nous faisions venir les voisins, les coups continueraient-ils à répondre ? » Un coup se fit entendre en signe d’affirmation. Les voisins appelés ne tardèrent pas à venir, comptant rire aux dépens de la famille Fox ; mais l’exactitude d’une foule de détails ainsi donnés par coups, en réponse aux questions adressées à l’être invisible, sur les affaires particulières de chacun, convainquirent les plus incrédules. Le bruit de ces choses se répandît au loin, et bientôt arrivèrent de tous côtés des prêtres, des juges, des Médecins, et une foule de citoyens.
Ryan engagea les jeunes filles à donner des séances publiques dans lesquelles il convaincrait les incrédules de son existence. La famille Fox alla se fixer à Rochester et, suivant les conseils de leur ami de l’espace, ces jeunes missionnaires n’hésitèrent pas à braver le fanatisme protestant en proposant de se soumettre au plus rigoureux contrôle.
Accusés d’imposture et sommés par les ministres de leur confession de renoncer à ces pratiques, M. et Mme Fox, se faisant un devoir suprême de propager la connaissance de ces phénomènes, qu’ils considéraient comme une grande et consolante vérité, utile pour tous, refusèrent de se soumettre et furent chassés de leur église. Les adeptes qui se réunissaient autour d’eux furent frappés de la même réprobation.
Les conservateurs fanatiques de la foi des aïeux amenèrent contre la famille Fox le populaire. Les apôtres de la foi nouvelle offrirent alors de faire la preuve publique de la réalité des manifestations devant la population réunie à Corynthial-Hall, la plus grande salle de la ville. On commença par une conférence où furent exposés les progrès du phénomène depuis les premiers jours. Cette communication, accueillie par des huées, aboutit pourtant à la nomination d’une commission chargée d’examiner les faits ; contre l’attente générale, et contre sa conviction propre, la commission fut forcée d’avouer qu’après l’examen le plus minutieux, elle n’avait pu découvrir aucune trace de fraude.
On nomma une seconde commission qui eut recours à des procédés d’investigation encore plus rigoureux ; on fit fouiller et même déshabiller les médiums, par des dames, bien entendu, toujours on entendit des rappings (coups frappés dans la table), des meubles en mouvement, des réponses à toutes les questions, même mentales ; pas de ventriloquie, pas de subterfuges, pas de doute possible. Second rapport plus favorable encore que le premier, sur la parfaite bonne foi des spirites et la réalité de l’incroyable phénomène. Il est impossible - dit Mr Hardinge - de décrire l’indignation qui se manifesta à cette seconde déception.
Une troisième commission fut immédiatement choisie parmi les plus incrédules et les plus railleurs. Le résultat de ces investigations, encore plus outrageantes que les deux autres pour les pauvres jeunes filles, tourna plus que jamais à la confusion de leurs détracteurs.
Le bruit de l’insuccès de ce suprême examen avait transpiré dans la ville. La foule, exaspérée, convaincue de la trahison des commissaires et de leurs connivences avec les imposteurs, avait déclaré que, si le rapport était favorable, elle lyncherait les médiums et leurs avocats. Les jeunes filles, malgré leur terreur, escortées de leur famille et de quelques amis, ne se présentèrent pas moins à la réunion et prirent place sur l’estrade de la grande salle, tous décidés à périr, s’il le fallait, martyrs d’une impopulaire mais indiscutable vérité.
La lecture du rapport fut faite par un membre de la commission qui avait juré de découvrir le truc, mais il dut avouer que la cause des coups frappés, malgré les plus minutieuses recherches, lui était inconnue. Aussitôt eut lieu un tumulte effroyable : la populace voulut lyncher les jeunes filles, et elles l’eussent été sans l’intervention d’un quaker, nommé Georges Villets, qui leur fit un rempart de son corps et ramena la foule à des sentiments plus humains.
On voit, par ce récit, que le Spiritisme fut étudié sévèrement dès son début. Ce ne sont pas seulement des voisins, plus ou moins ignorants, qui constatent un fait inexplicable, ce sont des commissions régulièrement nommées qui, après enquêtes minutieuses, sont obligées de reconnaître l’authenticité absolue du phénomène.
L’histoire des sœurs Fox se répandit rapidement, et de toutes parts eurent lieu des manifestations spirituelles par le biais de ce qu’on appelait alors la télégraphie spirituelle. On se lassa bientôt d’un procédé aussi incommode, et les frappeurs indiquèrent eux-mêmes un mode nouveau de communication. Il fallait simplement se réunir autour d’une table, poser dessus, les mains, et en se soulevant, la table frapperait un coup, pendant qu’on réciterait l’alphabet, sur chacune des lettres que l’esprit voudrait donner. Ce procédé, bien que très lent, produisit d’excellents résultats, et l’on eut ainsi les tables tournantes et parlantes.
Il faut dire que la table ne se bornait pas à se lever sur un pied pour répondre aux questions qu’on lui posait, elle s’agitait en tous sens, tournait sous les doigts des expérimentateurs, quelquefois s’élevait dans les airs, sans que l’on pût voir de force la tenant ainsi suspendue. D’autres fois les réponses étaient faites au moyen de petits coups, qu’on entendait dans l’intérieur du bois. Ces faits étranges attirèrent l’attention générale et bientôt la mode des tables tournantes envahit l’Amérique entière.
La table enseigna à nouveau un procédé plus prompt. Sur ses indications, on adapta à une planchette triangulaire trois pieds munis de roulettes, et à l’un d’eux, on attacha un crayon, puis on mit l’appareil sur une feuille de papier, et le médium posa les mains sur le centre de cette petite table. On vit alors le crayon tracer des lettres, puis des phrases, et bientôt cette planchette écrivit avec rapidité et donna des messages. Plus tard encore, on s’aperçut que la planchette était tout à fait inutile, et qu’il suffisait au médium de poser simplement sa main armée d’un crayon, sur le papier, et que l’esprit la faisait agir automatiquement.
A côté des personnes légères qui passaient leur temps à interroger les esprits sur la personne la plus amoureuse de la société, ou sur un objet perdu, de graves esprits, des savants, des penseurs, attirés par le bruit qui se faisait autour de ces phénomènes, résolurent de les étudier scientifiquement, pour mettre leurs concitoyens en garde contre ce qu’ils appelaient une folie contagieuse. En 1856, la juge Edmonds, jurisconsulte éminent qui jouissait d’une autorité incontestée dans le Nouveau Monde, publia un ouvrage sur des recherches qu’il avait entreprises avec l’idée de démontrer la fausseté des phénomènes spirites ; le résultat final fut diamétralement opposé et le juge Edmonds reconnut la réalité de ces surprenantes manifestations. Le professeur Mapes qui enseignait la chimie à l’Académie nationale des Etats-Unis, se livra à une investigation rigoureuse qui aboutit, comme la précédente, à une constatation motivée, d’après laquelle, les phénomènes étaient bien dus à l’intervention des esprits. Mais ce qui produisit le plus grand effet, ce fut la conversion aux idées nouvelles du célèbre Robert Hare, professeur à l’université de Pensylvanie, qui expérimenta scientifiquement le mouvement des tables et consigna ses recherches, en 1856, dans un volume intitulé : Expérimental investigations of the spirit manifestation.
Dès lors, la bataille entre les incrédules et les croyants s’engagea à fond. Des écrivains, des savants, des orateurs, des hommes d’église, se jetèrent dans la mêlée, et pour donner une idée du développement pris par la polémique, il suffit de rappeler que déjà, en 1854, une pétition signée de 15000 noms de citoyens, avait été présentée au congrès pour le prier de nommer une commission chargée d’étudier le nouveau spiritualisme (c’est le nom que l’on donne en Amérique au spiritisme). Cette demande fut repoussée par l’assemblée, mais l’élan était donné et l’on vit surgir des sociétés qui fondèrent des journaux où se continua la guerre contre les incrédules.
En 1852, le 1er Congrès « Spirite » (le mot n’était pas encore inventé) eut lieu à Cleveland. Les spirites américains envoyèrent à la suite du Congrès des médiums dans la vieille Europe. On fit tourner les tables en France dès 1853. Il n’était question dans toutes les classes de la société que de cette nouveauté; on ne s’abordait guère sans la question sacramentelle : « Eh bien ! faites-vous tourner les tables ? » Puis, comme tout ce qui est de mode, après un moment de faveur, les tables cessèrent d’occuper l’attention, qui se porta sur d’autres objets. Cette manie de faire tourner les tables eut néanmoins un résultat important, ce fut de faire réfléchir beaucoup de personnes. sur la possibilité des rapports entre morts et vivants.
En 1854, on comptait alors plus de 3.000.000 d’adeptes en Amérique et une dizaine de milliers de médiums. Les adeptes devinrent également nombreux en France, mais il manquait encore une véritable explication, théorique et pratique, de l’étrange phénomène. C’est à ce moment qu’Allan Kardec qui s’intéressait depuis une trentaine d’années aux phénomènes dits du magnétisme animal, de l’hypnotisme et du somnambulisme, et qui ne voyait dans le nouveau phénomène qu’un « conte à dormir debout » assista à plusieurs séances spirites, afin d’étudier de près le bien fondé de ces apparitions. Loin d’être un enthousiaste de ces manifestations, et absorbé par ses autres occupations, il fut sur le point de les abandonner lorsque des proches lui remirent cinquante cahiers de communications diverses reçues depuis cinq ans et lui demandèrent de les synthétiser : ainsi naquit le Livre des Esprits. André Moreil écrira qu’en étudiant par la méthode positiviste et en codifiant le spiritisme, « Allan Kardec l’a sauvé du danger d’être une simple fantaisie, un amusement de salon. »