Ce mois-ci, nous vous présentons la troisième partie du Spiritisme dans l’art Faisant suite aux derniers sujets du mois, voici la troisième partie écrite par Léon Denis. L'auteur aborde l'inspiration qu'il a lors de ses conférences et de l'aide puissante de son guide Jérôme de Prague. Il aborde également la poésie que l'on trouve très présente dans la littérature spirite du 19ème siècle.
La littérature et l’éloquence sont aussi des formes de l’art, des moyens puissants de faire rayonner la pensée dans notre inonde. On peut en dire ce qu’Ésope disait de la langue qui est, suivant l’usage qu’on en fait, ce qu’il y a de meilleur ou de pire.
A ce point de vue, la France a toujours eu un rôle privilégié. La clarté, la netteté de son verbe, quoique plus pauvre que d’autres en qualificatifs, a servi largement à l’expansion de son génie et à la diffusion des idées généreuses. Ce sont donc les qualités de ce verbe qui assurent à la fois à notre pays une place à part dans le monde, une haute situation dans l’avenir.
Notre langue, par sa limpidité, sa claire compréhension des choses est l’instrument prédestiné des grandes annonciations, des révélations augustes. Les autres langues ont leur charme, leur beauté, mais aucune ne réussit mieux à éclairer les intelligences, à persuader, à convaincre. Aussi, les Esprits d’élite qui viendront sur terre remplir une mission rénovatrice, s’incarneront chez nous de préférence et parmi eux les plus grands de tous, afin que notre langue puisse servir de véhicule à leurs hautes et nobles pensées à travers le monde. Leur présence et leur action, nous dit-on de l’au-delà, contribueront encore à accroître le prestige et la gloire de la France.
La littérature française excelle surtout dans l’analyse des sentiments et des passions, elle s’est caractérisée surtout dans le roman, dont le thème général est l’amour sensuel. Sous l’influence du matérialisme jouisseur, elle s’est embourbée comme à plaisir et au lieu de coopérer au relèvement de la race, elle a contribué, le plus souvent, à corrompre ses mœurs et à précipiter sa décadence. La plupart des auteurs de notre temps se complaisent à exposer leurs aventures dans l’étalage d’un cynisme pimenté.
De là, à certains moments, le discrédit de la France à l’étranger et les mesures prises contre notre langue dans plusieurs maisons d’éducation. Il est temps qu’un nouveau courant d’idées vienne inspirer l’art et la littérature françaises, avec un sens plus philosophique des choses et une notion plus large de la destinée. Cela seul peut rendre aux œuvres de la pensée toute leur ampleur et leur efficacité régénératrice.
Sous l’inspiration de collaborateurs et instructeurs invisibles, cette réaction va s’accentuer. Les écrivains, les orateurs, se sentent portés par les forces occultes, vers des horizons plus purs, plus lumineux. De toute part des productions surgissent, imprégnées de doctrines larges et élevées.
La pensée française commence à acquérir cette puissance de rayonnement à laquelle elle a droit ; elle atteindra un jour des hauteurs que la musique seule jusqu’ici a su faire entrevoir et pressentir. Elle arrivera à posséder ce don de pénétration, de persuasion, ces qualités esthétiques qui assureront sa prédominance définitive. On peut constater, dès maintenant, que sous son influence le monde latin s’est imprégné tout entier des doctrines d’Allan Kardec sur les vies successives. Les œuvres du grand initiateur ont été traduites dans toutes les langues néo-latines. Les éditions espagnoles et portugaises se succèdent rapidement dans l’Amérique centrale et méridionale ; l’idée spiritualiste pénètre dans les milieux les plus reculés, sous la forme dont les écrivains français l’ont revêtue.
Au siècle dernier, des auteurs de génie avaient déjà trouvé, dans les phénomènes psychiques, des sujets d’inspiration. On peut citer Balzac, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Michelet, Edgard Quinet, Jean Reynaud et beaucoup d’autres. Le romantisme, malgré ses excès, apportait à ce siècle, comme une vague profonde, la notion du divin et de l’immortalité : aussi les hommes de 1830 et de 1848 avaient-ils un caractère autrement trempé et une plus noble stature que les hommes politiques de notre époque.
La poussée romantique s’est manifestée comme le prélude du grand mouvement d’idées qui embrasse aujourd’hui toute l’humanité. De Lamartine à Hugo jusqu’à Baudelaire et Gérard de Nerval, tous cherchent l’infini dans la nature et dans la vie. La notion des vies successives se retrouve dans la Chute d’un Ange et dans Jocelyn ; puis dans le Revenant, les Contemplations, la Légende des siècles de Victor Hugo ; dans La Vie antérieure de Baudelaire, etc.
En des œuvres plus récentes, certains auteurs de mérite, tels que Paul Grendel, Élie Sauvage, le docteur Wylm, etc., ont donné plus de développement à l’idée psychique et en ont fait ressortir les vastes conséquences. Même à l’étranger, Rudyard Kipling, dit-on, et Selma Lagerlof, introduisent la réincarnation dans leurs ouvrages. Toute une pléiade de jeunes et ardents écrivains, pas toujours mesurés, suit leur exemple et s’engage dans des voies riches et fécondes.
Les graves événements des dernières années ont créé partout des besoins nouveaux de l’esprit et du cœur, le besoin de savoir, de croire, de découvrir les foyers d’une lumière plus vive, des sources plus abondantes de consolation. L’âme de la France fait effort pour se dégager des étreintes du matérialisme. Ses profondes intuitions celtiques se réveillent et la portent vers ces frontières spirituelles où tout un monde invisible l’appelle et l’attire.
Le génie de la France est fait d’équilibre et d’harmonie. Malgré certaines défaillances dans le passé, on peut dire qu’il a souvent servi de médiateur entre les écoles les plus diverses, entre les systèmes les plus opposés. Encore aujourd’hui, dans l’ordre politique, par exemple, la France tient le milieu entre la réaction et l’anarchie. Il en fut souvent ainsi au cours de son histoire, dans les domaines de l’art et de la pensée, Nous avons vu que sa langue, qui est une des expressions de son génie, présente les qualités de précision et de souplesse qui en font un merveilleux agent de diffusion et de propagande. Elle sait prêter à la fois aux idées la force et la grâce et c’est par là qu’elle peut contribuer largement à initier le monde à la connaissance des lois supérieures.
La littérature et la poésie françaises, mieux que toutes les autres, ont su reproduire toutes les nuances de la pensée et du sentiment ; la tendresse et l’énergie, le charme, la douceur infinie de l’idéal, en un mot tous les rêves surhumains de l’art et de la beauté. Le clair génie de la France a surtout pour rôle de réunir et de fondre, en une moyenne équilibrée, les deux génies différents du Midi et du Nord, de la race latine et des races septentrionales. C’est peut-être à la rencontre de ces éléments opposés, au flux et au reflux de ces courants divers, qu’est due la mobilité de son esprit et l’instabilité parfois fâcheuse de ses vues ; mais toujours, après les périodes de crise, où l’équilibre s’est altéré en elle, l’esprit national reprend son activité et son essor.
Sa mission semble donc être de fournir aux autres peuples, d’esprit plus lent, des indications, des directives dont ils tirent une application pratique et féconde. C’est en ce sens que la France est un agent merveilleux de progrès et d’évolution humaine, par son souci de la vérité et de la lumière, et par la beauté des formes dont elle se plaît à les revêtir.
Ce sont ces qualités qui lui assigneront un rôle prépondérant dans la diffusion du spiritisme philosophique et moral, tandis que les pays anglo-saxons se sont attachés à le représenter surtout sous son aspect scientifique et expérimental.
Après ses heures de tâtonnement et d’obscurité, le génie de la France, qui n’est autre que l’âme toujours vivante et immortelle de la Gaule, se relève, et, d’un vigoureux effort, se dégage des bourbiers terrestres et s’élance vers le ciel, pour y découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles perspectives sur l’avenir et les montrer comme but à l’humanité en marche.
Pour tous ceux qui savent étudier et comprendre le génie de notre race, sous les voiles du scepticisme qui la recouvre parfois, l’âme celtique reparaît, et, aux heures solennelles, ce sont ses impulsions qui déterminent les résolutions viriles, les actes décisifs.
C’est elle qui inspire Jeanne d’Arc et par ses mains délivre la France du joug des Anglais ; c’est encore elle qui provoque cette puissante explosion spiritualiste qui, à l’époque révolutionnaire, apporte à tous la notion essentielle de liberté, assurant ainsi le triomphe de l’âme moderne sur les théories déprimantes du déterminisme et du fatalisme. C’est toujours elle qui, aux jours sombres de 1914, a réveillé toutes les forces vives de la nation et l’a dressée, héroïque et sublime, en face du despotisme germanique et du militarisme teuton. Plus récemment encore, elle l’opposait comme une digue à la vague rouge du bolchevisme.
La France a de plus grands devoirs que les autres nations, parce qu’elle a reçu de plus grands dons, de plus brillantes qualités. Aussi ses responsabilités sont plus lourdes et plus étendues. Aujourd’hui, une tâche plus haute que toutes les autres se dessine pour elle dans le monde entier. Il s’agit d’initier les hommes aux beautés d’un avenir plus vaste, plus riche que celui que les conceptions philosophiques et religieuses ont pu entrevoir. Il s’agit de guider l’ascension humaine vers ces majestueux sommets de l’idée, où s’allument les feux d’un nouveau jour, l’aube d’une civilisation plus noble et plus digne, affranchie des fléaux qui ont entravé jusqu’ici la voie âpre et douloureuse de l’humanité.
Les autres nations ont chacune leur tâche importante, mais la France les surpasse toutes par la variété de ses aptitudes et de ses activités. C’est pour cela que le monde entier a les yeux fixés sur elle, attendant le signe qui tracera son évolution nouvelle.
O, âme vivante de la France, dégage-toi des lourdes influences matérielles qui t’oppriment encore, élève-toi jusqu’à ce noble idéal que ta mission est d’acquérir et de propager dans le monde. C’est seulement lorsque la nouvelle révélation sera connue de tous les peuples, lorsqu’elle aura donné à son expression la forme superbe de ton génie, que les hommes comprendront leur grande destinée, ainsi que les devoirs et les charges qu’elle leur impose et que la justice et la paix régneront enfin sur la terre régénérée. Et par là ton rôle apparaîtra, aux yeux de tous. Tu seras vénérée des générations et ta gloire s’illuminera d’un éclat que rien ne pourra plus ternir !
Dans l’éloquence, le mouvement de la pensée est représenté non seulement par la parole, mais aussi par le geste qui en souligne et en accentue les effets. En ceci, plus qu’en toute autre matière, une juste mesure s’impose, car l’excès comme l’absence de mimique, doivent être également évités avec soin. La plupart des grands orateurs ressentent le souffle de l’invisible. L’inspiration descend en eux en flots pressés et fait surgir les expressions, les formes, les images qui provoquent l’enthousiasme des foules. A certains moments, ils se sentent comme soulevés de terre et emportés par un courant irrésistible.
Au cours de ma carrière de conférencier, j’ai éprouvé bien des fois la sensation d’un puissant secours occulte et j’en connaissais la cause. L’Esprit de Jérôme de Prague, mon protecteur, mon guide, m’a toujours assisté dans ma tâche de propagandiste. Parfois, au moment de paraître devant un nombreux public, souvent indifférent ou même hostile, et de prendre la parole, je me trouvais en proie à un malaise physique, à une violente migraine qui paralysait ma pensée et mon action. Mais alors, répondant à mon ardent appel, à ma prière, l’Esprit de mon guide intervenait. Par une énergique magnétisation, il rétablissait l’équilibre organique et me rendait ma lucidité, mes moyens d’agir. D’autres fois, après des débats contradictoires qui duraient plusieurs heures, après des luttes oratoires avec des contradicteurs acharnés, matérialistes ou religieux, malgré mon épuisement, je trouvais encore des accents, des intonations vibrantes qui étonnaient et remuaient l’auditoire. J ’eus un jour la compréhension de ce phénomène, en le voyant se renouveler sous mes yeux.
C’était à Aix-les-Bains, dans l’Église paroissiale, au cours d’une solennité religieuse en l’honneur de Jeanne d’Arc. En présence du cardinal Dubillard et d’une foule compacte, un jeune prêtre monta en chaire pour prononcer le panégyrique de l’héroïne, lion médium, Mme Forget, qui était assise à mon côté, me dit tout à coup : « Je vois l’Esprit de Jérôme, il est debout dans la chaire, derrière le prêtre ». Je devins attentif à ce qui allait se passer. Le jeune prêtre commença sur un ton calme ; ses phrases harmonieuses se déroulaient avec méthode, puis, peu à peu, le ton s’éleva, la vois devint vibrante et, à la fin, des accents puissants, que je reconnaissais, firent résonner les voûtes de l’édifice. J’avais un exemple de ce qui s’était produit pour moi-même dans bien des cas.
Cette éloquence inspirée, je l’ai retrouvée chez certains médiums, assez rares à la vérité. Il en est qui incorporent, dans une même séance, plusieurs Esprits, dont les discours révèlent des personnalités très distinctes, d’une grande originalité et qu’il est impossible de confondre entre elles ou avec celle du médium. Le sujet le plus remarquable que j’ai rencontré, au cours de mes voyages, était la fille d’un professeur du Lycée de Marseille. A l’état de transe, elle servait d’organe, non seulement à des orateurs de l’espace, mais aussi à d’autres entités extraordinaires, par exemple à la célèbre Mme Geoffrin, qui, par sa délicatesse d’esprit, sa finesse et le charme pénétrant de ses manières, par son langage un peu suranné, ne laissait, on en conviendra, guère de prise à la simulation.
C’est ainsi que les influences d’en haut se font sentir de mille manières, et que s’affirme de plus en plus la preuve de la survivance et de la solidarité qui relie le monde des vivants au monde des morts.
Le vrai mérite, soit de l’écrivain, soit de l’orateur, consiste à faire penser, à provoquer dans les âmes les nobles et saints enthousiasmes, à les élever vers les hauteurs radieuses où elles perçoivent les vibrations de la pensée divine, dans une communion suprême.
Mais pour que l’âme se dilate et s'épanouisse dans l’ivresse des joies supérieures, il est bon que l’harmonie vienne s’ajouter à la parole et au style : il faut que la musique vienne ouvrir à l’intelligence les voies qui mènent à la compréhension des lois divines, à la possession de l’éternelle beauté.
L’influence de la musique est immense et revêt les formes les plus diverses, selon les individus. Les sons graves et profonds agissent sur nous de telle façon que le meilleur de nous-même s’extériorise. L’âme se dégage et remonte jusqu’aux sources vives de l’inspiration.
Il m’est arrivé plus d’une fois, lorsque j’avais à faire une conférence dans une grande ville, de me diriger, la veille au soir, vers quelque théâtre lyrique. Là, caché au fond d’une loge, complètement isolé, je me désintéressais de tout ce qui se passait dans la salle ou sur la scène, pour me laisser bercer par l’œuvre musicale. Sous l’action combinée des instruments et des voix, un flot d’idées montait à mon cerveau, une floraison de pensées et d’images surgissait des profondeurs du moi. Et dans ces moments je bâtissais mon sujet avec une richesse de matériaux, une profusion d’arguments, une abondance de formes et d’expressions que je n’aurais pu trouver dans le silence et qui ne se représentaient pas toujours à ma mémoire à l’heure opportune.
Le jeu des grands orgues et les chants sacrés produisent en moi des impressions plus hautes encore. Pendant les instants où je puis entendre de bonne musique, la puissance de l’art ouvre à mon profit le domaine des trésors cachés des plus belles facultés psychiques, pour me laisser retomber ensuite lourdement dans le courant habituel de la pensée et de la vie.
Sur la terre, c’est par la pensée, écrite ou orale, que se communique la foi et que s’instruisent les hommes. Mais dans l’espace, nous disent nos guides, la musique est l’expression sublime de la pensée divine.
Déjà ici-bas, on peut remarquer qu’un écrivain ou un orateur qui étudie l’harmonie voit s’accroître, en proportion, les ressources de son imagination, sa pénétration des choses et sa facilité de les exprimer. Certains hommes de génie n’ont-ils pas déclaré que leurs plus belles œuvres avaient été conçues à des heures d’extase, provoquées par l’audition des échos lointains de quelques notes égrenées des concerts célestes, c’est-à-dire de l’orchestre infini des mondes ?
La littérature française s’est longtemps affirmée. Elle possédait tout ce qui séduit et captive. Mais une évolution s’impose ; une heure vient, dans l’histoire de la pensée, où la parole et le geste ne suffisent plus à traduire les émotions de l’âme. C’est alors que le sens musical s’éveille et entre en jeu dans la littérature elle-même, qui doit être comme un reflet de l'harmonie supérieure. La manifestation de cette tendance marque un degré de plus dans l’ascension de l’esprit vers les sommets, ainsi que cela se produit dans l’espace, où la parole cesse d’être usitée.
Cette évolution de la pensée et de ses manifestations, sous leurs formes multiples : arts, sciences, lettres sera amenée par une coopération de plus en plus intime et profonde du monde des esprits à l’œuvre humaine.
La révélation spirite nous procure des sujets inépuisables d’inspiration et de sensation. Elle nous initie aux conditions d’une vie plus subtile, vie qui est l’objectif essentiel de toute ascension et dont les détails introduisent, dans nos programmes d’études et de recherches, une variété d’éléments qui reculent à l’infini les limites de nos conceptions, de nos connaissances. Il en résulte forcément une fécondation, un renouveau complet de l’idéal qui s’effaçait et s’altérait sous l’empire des théories matérialistes ou dogmatiques, empire qui va prendre fin, malgré les efforts désespérés de ses partisans.
Ainsi, le spiritisme donne à la pensée un nouvel et vigoureux élan. Il trace, dans l’histoire des êtres et des mondes, un cercle immense, qui permet tous les rêves, tous tes essors de l’imagination ; il ouvre des issues nouvelles, sur tout ce qui fait la puissance, la grandeur, la beauté de l’univers.
Jusqu’ici, la forme littéraire a pu paraître suffisante pour exalter les sentiments nationaux et tout ce qui se rapporte à l’épopée des races humaines et à la vie planétaire en général. Elle a pu même paraître excellente et produire des chefs-d’œuvre qui resteront comme des monuments impérissables de la pensée et du sentiment. Mais, si excellente qu’elle soit, la littérature devient pauvre lorsqu’il s’agit de reproduire les formes supérieures de l’activité humaine.
A mesure que ses horizons s’élargissent et que l’humanité communie avec la vie universelle, des formes plus parfaites d’expression et de sensation deviennent nécessaires, pour répondre à l’état vibratoire, aux radiations croissantes de l’âme. Une intuition sûre, l’instinct du beau, portent l’être spirituel à substituer dans l’expression de sa pensée et les élans de son âme l’harmonie pure à la parole et à la lettre. Les révélations de l’invisible l’incitent à employer, à son tour, les procédés en usage dans la vie de l’espace.
Le véritable mérite littéraire, les qualités d’un beau style, consistent à provoquer la pensée, les réflexions du lecteur, à lui créer une atmosphère mentale qui contribue à développer, à enrichir ses facultés, ses puissances morales. Sans doute, faire penser est noble, mais, ce qui est plus noble et plus méritoire, c’est d’élever l’âme vers les hauteurs où toutes ses facultés s’épanouissent dans la lumière et dans l’amour. C’est l’aider à atteindre le degré d’évolution qui lui permettra de goûter, non plus par ses organes matériels, mais dans ses sens intimes et profonds, les joies, les satisfactions de la vie supérieure, de ressentir cette vibration suprême qui emplit l’univers, selon le grand Esthète, et qui provoque la communion définitive avec la pensée divine, l’extase dans la beauté comprise et réalisée.
Les œuvres vraiment belles et fortes, sont devenues rares parmi les modernes, soit dans les lettres, soit même au théâtre. Celui-ci pourrait être un moyen puissant d’éducation intellectuelle et morale, par l’élévation des pensées, des sentiments, par les nobles exemples mis sous' les yeux du public.
Mais au lieu de sa mission grandiose et bienfaisante, le théâtre est devenu trop souvent un procédé pour flatter les passions malsaines, exciter les sens. Dans tous les cas, il devient l'œuvre de sceptiques jouisseurs, ignorants ou insouciants du véritable but de la vie ; c’est l’écume brillante et malsaine, le fruit morbide d’une civilisation faussée par l’appât du plaisir et des richesses.
Que de fois, alléché par le titre d’une pièce nouvelle, par une affiche rutilante, j’ai abordé les plus grands théâtres parisiens, dans l’espoir d’y rencontrer un aliment substantiel au cours d’une soirée bien employée. Hélas ! Mes déceptions ne se comptent plus. Au lieu de la substance féconde que j’attendais, c’étaient des scènes banales ou équivoques, qui se déroulaient, sous mes regards. Beaucoup d’esprits s’y dépensaient sans doute. Les mots spirituels jaillissaient en gerbes étincelantes ou flottaient, comme des bulles de savon irisées, sous les feux de la rampe, mais que le moindre souffle emporte sans laisser aucune trac dans le souvenir ni dans la conscience du spectateur, car, toujours la pensée élevée, l’exemple encourageant, l’enseignement consolateur s’en trouvaient absents. Aussi, l’impression qui s’en dégageait était-elle celle du vide ou de l’impuissance, quand ce n’était pas pire encore.
Il faut rendre au théâtre sa dignité, reconstituer l’idéal de la scène avili par des auteurs insuffisants et corrompus. Dans le spectacle changeant des mœurs et des milieux sociaux, qui constituent la trame de la comédie, il faut savoir choisir ce qui peut élever les intelligences et les cœurs. Mais avec nos auteurs contemporains c’est toujours le thème de l’amour coupable, de l’amour malsain qui domine et ainsi on aiguise les appétits charnels, on alimente les passions, on précipite la décadence du théâtre et l’on travaille à la corruption générale.
Il semble que notre époque ait un goût particulier pour les toxiques. Dans l’ordre matériel, ce goût se traduit par un usage immodéré de l’alcool et du tabac, voire même de l’opium, de l’éther et autres drogues malfaisantes, de tout ce qui provoque les désordres physiques, ruine la santé, étiole la race. Dans l’ordre intellectuel, ce goût se manifeste par une sorte de prédilection pour une littérature et des spectacles faisandés. Ici le mal est plus grave encore, car c’est la conscience, le sens moral, la dignité de l’homme qui sont atteints. Et de là résulte un débordement des appétits sensuels, une orientation défectueuse de la vie et des facultés.
C’est pourquoi il convient de rechercher tous les moyens d’élever les âmes, les pensées, vers ces régions que les souffles d’en haut balaient de toutes les impuretés.
De ces cimes radieuses, l’on contemple et pénètre mieux l’essence des choses et l’on en redescend avec la somme d’énergie nécessaire pour poursuivre les luttes d’ici-bas et écarter de soi les tentations malsaines, les plaisirs avilissants.
La poésie n’est, au fond, qu’une forme de la musique. Elle est soumise aux mêmes lois du rythme, de la vibration, qui sont les lois de la vie dans ses états supérieurs. L’antiquité, créatrice du genre, l’avait compris. Le poète antique était à la fois chanteur et musicien. Mais de nos jours, la poésie n’est plus qu’une des formes delà littérature. Comme toutes les manifestations de l’art en général, elle a perdu son caractère auguste, pour tomber dans la banalité. Nous sommes inondés par un déluge de vers sans élévation et sans beauté.
Or, le vers ne supporte pas la médiocrité. Et c’est pourquoi, au moyen âge comme de nos jours, des écrivains de génie : Dante, Lamartine, Victor Hugo et d’autres ont pu conserver à la poésie son éclat, son caractère de grandeur et la sauver d’une chute irrémédiable. Pour exprimer le sublime idéal, tous les mots sont impuissants. Parvenue à une certaine hauteur, la pensée ne trouve plus que des termes humains, appropriés aux exigences de notre plan inférieur, mais incapables de traduire les impressions de la vie supérieure. Et c’est là ce que déplore l’Esthète. Dès que l’insuffisance du langage humain se révèle, la musique, avec ses ressources infinies, devient la seule forme qui s’adapte à l’éternelle beauté de l’univers, la seule façon d’exprimer les sensations de l’âme ravie, fusionnant avec la pensée divine.
La parole, lorsqu’elle est unie à la musique, peut fournir au penseur un mode d’expression pins intense, plus pénétrant. Mais, de nos jours, l’application de ce mode est devenue parfois bien vulgaire. La romance, la chanson avaient, naguère encore, leur charme, leur saveur. Aujourd’hui, sous l’influence de certains milieux publics, elle n’est plus qu’une profanation, un avilissement de l’idée.
Mais, lorsque des cloaques impurs où des mains sacrilèges l’ont embourbée, la musique s’élève vers les hauteurs radieuses de la pensée et de la poésie, elle devient apte à traduire les plus nobles sentiments. Elle se trouve dans son élément. Là, tout est ondes, vibrations, harmonies, lumière. C’est pourquoi la poésie, pour rester dans son rôle véritable, doit s’inspirer des lois de l’harmonie musicale et les reproduire avec fidélité.
La musique, nous le savons, joue un grand rôle dans l’inspiration prophétique et religieuse. Elle met du rythme dans l’émission fluidique et facilite l’action des esprits élevés. C’est pourquoi elle a sa place dans les réunions spirites, dans les séances qu’il est bon de faire précéder d’un hymne approprié aux circonstances. Il arrive souvent que les guides des groupes engagent les assistants à entonner un Cantique, pour faciliter les manifestations. Mais, jusqu’ici, il faut l’avouer, les spirites se sont trouvés fort dénués et obligés de recourir à des chants vulgaires, à des banalités indignes du but poursuivi. Ce n’est pas sans une pénible impression que nous avons constaté plus d’une fois la pénurie des ressources musicales en usage dans les groupes. C’est pourquoi nous avions composé un hymne dédié « aux Invisibles » et dont la musique était due à une dame possédant un certain sens esthétique et pleine de bonne volonté.
Mais voici que M. A. E., compositeur bien connu, vient d’obtenir de l’Esprit de Beethoven, par l’intermédiaire d’un médium, un cantique spirite tout à fait digne de l’auteur et qui verra prochainement le jour. Les spirites posséderont enfin une invocation musicale en harmonie avec leurs pensées et leurs aspirations.
Dans toute œuvre poursuivie : littérature, poésie, art, le choix des moyens doit être approprié à la grandeur du but. En réalité, la poésie est partout où on sait la mettre. Elle ne s’exprime pas seulement par le vers ; elle peut imprégner toutes les formes du langage écrit ou parlé, tous les aspects de l’art. La poésie est l’expression de la beauté répandue dans tout l’univers. C’est la chaleur communicative de l’âme qui a compris, saisi le sens profond des choses, la loi des suprêmes harmonies et qui cherche à en pénétrer les autres âmes, par les moyens qui lui sont propres.
Revue spirite de 1922