Ce mois-ci, nous vous présentons Swedenborg. En 1688, Emmanuel Swedenborg est né, un homme d'une intelligence remarquable, les esprits se manifesteront à lui à l'âge de 55 ans, ils lui montreront la vie dans l'au-delà, ses lois et l'évolution que chacun doit avoir. C'est le premier et grand médium moderne, qui mourra à Londres, en 1772, à l'âge de 84 ans.
"Afin de bien comprendre Swedenborg, il faudrait un cerveau comme le sien, et cela ne se produit même pas une fois par siècle. Cependant, grâce à notre pouvoir de comparaison et notre expérience de faits que Swedenborg ignorait totalement, nous sommes capables de comprendre certaines parties de sa vie plus clairement qu'il ne le pouvait lui-même."
Au départ, il fut ce grand ingénieur des mines qui faisait autorité en matière de métallurgie et c'est grâce à son talent militaire que la chance tourna lors d'une des nombreuses campagnes de Charles XII de Suède. Il fut aussi cette grande autorité en matière d'astronomie et de physique, auteur d'ouvrages savants sur les marées et la détermination de la latitude.
Il fut zoologue et anatomiste. Il fut financier et économiste, celui-là même qui anticipa sur les conclusions d'Adam Smith. Enfin, il étudia la Bible en profondeur, ayant tété la théologie avec le lait maternel et vécu dans l'austère atmosphère évangélique d'un pasteur luthérien pendant les années de la vie où l'on s'imprègne si facilement. Son développement psychique, qui se produisit à l'âge de cinquante-cinq ans, ne gêna absolument pas son activité mentale et plusieurs de ses opuscules scientifiques parurent après cette date.
Avec un cerveau pareil, il est assez naturel qu'il ait été frappé par l'évidence de l'existence de puissances extra-terrestres qui se présente à tout homme de réflexion mais, ce qui est moins naturel, c'est qu'il ait lui-même été le médium qui manifesta ces puissances. Dans un sens, sa mentalité déforma et vicia effectivement ses résultats mais dans un autre sens elle lui fut utile au plus haut point. Pour illustrer cela, il faut examiner les deux catégories en lesquelles on peut classer son œuvre.
La première est théologique. Pour la plupart de ceux qui n'appartiennent pas aux élus, cette partie peut sembler constituer le côté inutile et dangereux de son œuvre. D'une part, il accepte que la Bible, dans un sens très particulier, soit l'œuvre de Dieu. D'autre part, il prétend que sa signification véritable est entièrement différente de son sens apparent, et que c'est lui, et lui seul, qui grâce à l'aide des anges, est capable de délivrer le vrai sens. Une telle prétention est intolérable.
L'infaillibilité pontificale serait une bagatelle en comparaison de celle de Swedenborg si l'on admettait cette position. Car au moins le pape n'est infaillible que lorsqu'il tranche sur des points de doctrine, ex cathedra, entouré de ses cardinaux. L'infaillibilité de Swedenborg serait universelle et sans limites. Et ses explications ne font rien pour séduire notre raison.
Quand, en vue d'obtenir le sens véritable d'un message donné par Dieu, il faut supposer que cheval signifie vérité intellectuelle, que âme signifie vérité scientifique, que flamme signifie progrès, et ainsi de suite à travers d'innombrables symboles, nous avons le sentiment de nous trouver dans un royaume d'apparences qu'on ne peut comparer qu'aux codes que d'ingénieux critiques ont décelés dans les pièces de Shakespeare.
Ce n'est pas ainsi que Dieu donne sa vérité au monde. Si un tel point de vue était accepté, la croyance swedenborgienne ne saurait qu'engendrer un millier d'hérésies et nous nous retrouverions à nouveau au beau milieu des discussions sans fin et des syllogismes des scolastiques du Moyen Age. Tout ce qui est grand et vrai est facile à comprendre. La théologie de Swedenborg n'est ni simple ni intelligible, et c'est là sa condamnation.
Quand, cependant, nous dépassons ses fastidieuses exégèses des Écritures, où tout signifie autre chose que ce qu'il signifie apparemment, et quand nous en arrivons à quelques-uns des résultats généraux de son enseignement, ils ne sont pas discordants au regard de la pensée libérale moderne, non plus qu'avec l'enseignement qui a été reçu de l'autre monde depuis que s'est instaurée la communication avec les esprits.
Ainsi, la proposition à portée générale selon laquelle ce monde-ci est un laboratoire d'âmes, un creuset où le matériel raffine le spirituel, ne saurait être discutée. Il rejette la Trinité dans son acception ordinaire mais la reconstruit dans un sens assez extraordinaire qui serait tout aussi inacceptable pour un Unitarien.
Il admet que chaque système possède un but divin qui lui est propre et que la vertu n'est pas limitée à la Chrétienté. Il s'accorde avec l'enseignement spiritualiste quand il cherche la véritable signification de la vie du Christ dans son pouvoir d'exemple, et il rejette l'expiation et le péché originel.
Il voit dans l'égoïsme la racine de tout mal et pourtant il admet qu'un égoïsme de bon aloi, comme dit Hegel, est essentiel. Dans le domaine sexuel ses théories sont libérales, à la limite du laxisme. Il considère qu'une Église est une nécessité absolue, comme si aucun individu ne pouvait s'arranger directement avec son Créateur.
En somme, il s'agit d'un tel fouillis d'idées, jetées les unes à la suite des autres dans une série de nombreux volumes en latin et exprimées dans un jargon si obscur que tout interprète indépendant pourrait y découvrir une religion de son cru. La valeur de Swedenborg ne se trouve pas dans cette direction. En réalité, on découvre sa valeur dans ses pouvoirs psychiques et dans son information psychique, qui auraient eu exactement autant de prix si aucune phrase de théologie n'était jamais sortie de sa plume. C'est vers ces pouvoirs et cette information que nous allons maintenant nous tourner.
Déjà adolescent, le jeune Swedenborg a connu des moments de vision mais la maturité extrêmement pragmatique et énergique qui s'ensuivit submergea cette disposition plus délicate de sa nature. Elle revint cependant à la surface, occasionnellement tout au long de sa vie et, à plusieurs reprises ces phénomènes ont été l'objet de relations qui montrent qu'il possédait les pouvoirs qu'on appelle couramment « clairvoyance à distance », où l'âme semble abandonner le corps, va acquérir des informations à une certaine distance, et revient avec des nouvelles de quelque chose qui se produit ailleurs.
C'est un attribut assez courant chez les médiums et on peut en trouver mille exemples chez les spiritualistes mais il se produit rarement chez des sujets intelligents, et le phénomène se déroule également rarement alors que le corps conserve son état normal. Ainsi, dans l'exemple si souvent cité de Göteborg, où le voyant observa et relata un incendie qui avait lieu à Stockholm, à près de cinq cents kilomètres, avec une exactitude parfaite, il se trouvait à dîner avec seize invités qui témoignèrent du fait. Le récit fit l'objet d'une enquête par un contemporain de qualité, rien moins que le philosophe Kant.
Ces incidents occasionnels ne constituaient pourtant que les signes avant coureurs de pouvoirs latents qui s'épanouirent tout à fait soudainement à Londres au mois d'avril 1744.
On peut remarquer que bien que le voyant appartînt à une bonne famille suédoise et qu'il eût été anobli en Suède, ce fut néanmoins à Londres que ses livres furent publiés, à Londres que son illumination commença, et enfin à Londres qu'il mourut et fut enterré. Du jour de sa première vision, il resta jusqu'à sa mort, vingt-sept ans plus tard, en contact permanent avec l'autre monde. « La même nuit, le monde des esprits, enfer et ciel, me furent ouverts, où je trouvai bien des personnes de ma connaissance et de toutes les qualités.
Après quoi, le Seigneur ouvrit quotidiennement les yeux de mon esprit pour que je voie en état de parfaite vigilance ce qui se passait dans l'autre monde, et que je converse, tout éveillé, avec les anges et les esprits ».
Dans sa première vision, Swedenborg mentionne « une sorte de vapeur fumant par les portes de mon corps. C'était une vapeur d'eau parfaitement visible qui retombait en arrière sur le tapis par terre ». Cela est une description très voisine de l'ectoplasme qui, comme nous l'avons découvert constitue la base de tous les phénomènes physiques. On a aussi dénommé cette substance « idéoplasme », à cause du fait qu'elle peut prendre instantanément n'importe quelle forme que lui imprime l'esprit. Dans ce cas et à en croire son récit, elle se changeait en vermine, ce qui, disait-on, était le signe que ses Gardiens désapprouvaient son régime, et cela s'accompagnait d'un avertissement par clairaudience afin qu'il prit davantage de soins à cet égard.
Que peut faire le monde d'un récit pareil ? On pourra affirmer que l'homme était fou mais sa vie pendant les années qui suivirent ne montre aucun signe de déficience mentale. On pourrait prétendre qu'il mentait. Or il était un homme renommé pour sa véracité pointilleuse. Son ami Cuno, banquier d'Amsterdam, a dit de lui : « Quand il me fixait de ses yeux bleus et souriants, c'était comme si la vérité elle-même me parlait à travers eux ». Était-il alors abusé et se trompait-il de bonne foi.
Nous devons affronter le fait que pour l'essentiel ses observations dans le domaine spirituel ont été confirmées et étendues depuis son époque par d'innombrables observateurs psychiques. Le verdict véritable est qu'il fut le premier, et à bien des égards le plus grand de toute une lignée de médiums, qu'il fut sujet aux erreurs comme aux privilèges qu'apporte la médiumnité, que ce n'est que par l'étude de la médiumnité que l'on comprendra vraiment ses pouvoirs, et qu'en s'efforçant de le séparer du spiritualisme. Son Église Nouvelle s'est totalement méprise sur ses dons et leur vraie place dans le plan général de la Nature.
En tant que grand pionnier du mouvement spiritualiste, sa position devient à la fois intelligente et glorieuse. En tant que personnage isolé aux pouvoirs incompréhensibles, il n'y a place pour lui dans aucun grand système de pensée religieuse.
Swedenborg résume la question en disant que lorsqu'il communiait avec des esprits, il respirait à peine pendant une heure, « prenant juste assez d'air pour soutenir ses pensées ». Mis à part cette particularité respiratoire, Swedenborg restait dans un état tout à fait normal pendant ses visions, bien qu'il préférât naturellement demeurer à l'écart pendant ces moments-là.
Il semble avoir eu le privilège d'examiner l'autre monde à travers plusieurs de ses sphères, et bien que son mode de pensée théologique ait pu teinter ses descriptions, le large éventail de ses connaissances matérielles lui conférait par ailleurs des pouvoirs d'observation et de comparaison peu courants. Examinons quels sont les faits essentiels qu'il rapporta de ses nombreux voyages et dans quelle mesure ils coïncident avec ceux obtenus depuis lors par les méthodes psychiques.
Il découvrit que l'autre monde, où nous allons tous après la mort, consistait en un certain nombre de sphères différentes représentant diverses nuances de luminosité et de bonheur, chacun de nous se rendant dans celle à laquelle notre état spirituel nous destine.
Nous sommes jugés de façon automatique, comme par une sorte de loi spirituelle, et le résultat est déterminé par notre vie tout entière, si bien que l'absolution ou le repentir sur le lit de mort n'est que de peu d'utilité. Il découvrit que le décor et les conditions qui prévalent dans ce monde étaient fidèlement reproduits dans ces sphères ainsi que la structure générale de la société.
Il découvrit des maisons où vivaient des familles, des temples où ils adoraient, des salles où ils se réunissaient dans un but social, des palais où des dirigeants pouvaient demeurer.
La mort était facilitée par la présence d'êtres célestes qui aidaient le nouveau venu dans cette existence neuve. Ces nouveaux venus bénéficiaient immédiatement d'une période de repos. Ils retrouvaient leur conscience en quelques jours de notre temps. Il y avait des anges et des démons, mais ils n'appartenaient pas à un autre ordre que nous. Tous étaient des êtres humains qui avaient vécu sur terre, les âmes peu développées fournissant les démons, les âmes extrêmement développées les anges. Nous ne changions en aucune façon lors de la mort.
L'homme ne perdait rien par la mort, il restait un homme à tous égards, quoique plus parfait que dans son corps. Il emportait avec lui non seulement ses pouvoirs mais aussi ses modes de pensée.
Tous les enfants étaient également bien reçus, qu'ils fussent ou non baptisés. Ils grandissaient dans l’autre monde. Des jeunes femmes s’occupaient d’eux jusqu’à ce que leur vraie mère arrive à son tour. Il n'existait aucun châtiment éternel. Ceux qui se retrouvaient aux enfers pouvaient essayer d'en sortir s'ils en avaient l'inspiration. Ceux qui se trouvaient aux cieux n'avaient pas non plus une place définitive mais travaillaient en vue de quelque chose de plus élevé. Le mariage existait sous la forme d'une union spirituelle dans l'Au-delà. Il faut un homme et une femme pour construire une unité humaine complète. Swedenborg, il faut le remarquer, n'a jamais été marié durant sa vie. Aucun détail n'était trop infime pour son observation dans les sphères des esprits.
Il parle de l'architecture, du travail des artisans, des fleurs et des fruits, des scribes, de la broderie, de la peinture, de la musique, de la littérature, de la science, des écoles, des musées, des collèges, des bibliothèques et des sports. Cela pourra choquer les esprits conventionnels, bien qu'on voie mal pourquoi on devrait tolérer harpes, couronnes et trônes et refuser d'autres choses moins matérielles.
Ceux qui quittaient ce monde vieux, décrépits, malades ou déformés renouve¬laient leur jeunesse et retrouvaient progressivement la plénitude de leur vigueur. Les couples mariés continuaient ensemble si leurs sentiments réciproques étaient étroits et harmonieux. Sinon, le mariage était dissous. « Deux vrais amants ne sont pas séparés par la mort de l'un deux, puisque l'esprit du défunt habite en compagnie de l'esprit du survivant, et ce jusqu'à la mort de ce dernier, lorsqu'ils s'unissent à nouveau et s'aiment plus tendrement qu'auparavant ».
Voilà quelques échantillons de cette immense mine de renseignements que Dieu envoya au monde par l'intermédiaire de Swedenborg. Ces informations ont été sans cesse répétées par les bouches et les plumes de nos illustres spiritualistes. Jusqu'ici le monde les a ignorés pour s'accrocher à des conceptions éculées et dépourvues de sens. Ce nouveau savoir fait peu à peu son chemin et quand il sera entièrement accepté, la vraie grandeur de la mission de Swedenborg sera reconnue, alors que son exégèse biblique sera oubliée.
L'Église Nouvelle qui fut établie afin de soutenir l'enseignement du maître suédois n'a rien fait pour éviter de devenir un bras mort, au lieu d'agir pour conserver la place qui lui revient : la source originelle des connaissances psychiques. Quand, en 1848, le mouvement spiritualiste naquit et quand des hommes comme Andrew Jackson Davis le soutinrent par des écrits philosophiques et des pouvoirs psychiques qu'on aurait du mal à distinguer de ceux de Swedenborg, l'Église Nouvelle eût été bien avisée de saluer ce progrès et de reconnaître qu'il obéissait aux grandes lignes données par son propre chef.
Au lieu d'agir ainsi, ces gens ont préféré, pour des raisons difficiles à comprendre, exagérer les points de divergence pour laisser de côté toute ressemblance jusqu'à ce que les deux mouvements atteignissent des positions hostiles. En vérité, chaque spiritualiste devrait rendre hommage à Swedenborg, et son buste devrait se trouver dans chaque temple spiritualiste en qualité de premier et plus grand médium moderne. D'un autre côté, l'Église Nouvelle devrait oublier toutes les petites différences et se joindre cordialement au nouveau mouvement, apportant à la cause commune ses églises et son organisation.
Quelques considérations sur la personne de Swedenborg termineront à propos ce bref résumé de sa doctrine qui a surtout servi à indiquer quelle place il tient dans le système général. Il a dû être le jeune homme le plus frugal, le plus pragmatique, le plus travailleur et le plus énergique de sa génération ainsi que le plus adorable des vieillards. La vie semble l'avoir adouci et transformé en une créature très douce et vénérable. Il était placide, calme et toujours prêt à entamer une conversation qui ne prenait jamais un tour psychique, sauf si ses compagnons désiraient qu'il en fût ainsi. La matière des ces conversations était toujours remarquable mais il était affligé d'un bégaiement qui gênait son élocution.
De sa personne, il était grand et sec, avec un visage spirituel, des yeux bleus, une perruque qui descendait jusqu'aux épaules, des vêtements sombres, des culottes, des boucles et une canne. Swedenborg affirmait qu'un lourd nuage s'était formé autour de la terre, dû à la grossièreté psychique de l'humanité, et que de temps à autre se tenait un jugement suivi d'une éclaircie, de même que l'orage purifie l'atmosphère matérielle de ses miasmes.
Il voyait que le monde, même à son époque, dérivait vers une situation périlleuse due, d'une part, à la déraison des Églises et d'autre part à la réaction en direction d'un désir absolu de religion. Les autorités psychiques modernes, notamment Vale Owen, ont parlé de ce nuage qui s'accumule sans cesse, et le sentiment très général existe d'après lequel le processus de purification ne saurait être encore longtemps remis.
Pour conclure sur la place occupée par Swedenborg du point de vue spiritualiste, le mieux est de citer son propre journal. Il y écrit : « Toutes les affirmations dans les sujets touchant à la théologie sont, pour ainsi dire, solidement collées dans les cerveaux, et ne peuvent être ôtées qu'avec difficulté ; et tant qu'elles subsistent, les vérités authentiques ne trouvent pas de place. » Il fut un très grand visionnaire, un grand pionnier de la connaissance psychique et sa faiblesse réside dans ces paroles qu'il a lui-même écrites.
Le lecteur qui désire aller plus loin trouvera les enseignements les plus caractéristiques de Swedenborg dans son Heaven and Hell (Ciel et Enfer), The New Jerusalem, (la Nouvelle Jérusalem) et Arcana Coelestia. Sa biographie a été admirablement écrite par Garth Wilkinson, Trobridge et Brayley Hodgetts, actuel président de la Société Swedenborg d'Angleterre.
En dépit de tout son symbolisme théologique son nom doit vivre éternellement comme celui du premier homme moderne qui reçut une description du processus de la mort et du monde au-delà qui n'est pas fondée sur les vagues visions extatiques et impossibles des anciennes Églises mais qui correspond effectivement aux descriptions que nous obtenons nous-mêmes de ceux qui se risquent à nous transmettre une idée assez nette de leur nouvelle existence".
Conan Doyle de son livre "Histoire du Spiritisme".