Ce mois-ci, nous vous présentons Les frères Davenport. Parler des frères Davenport, c’est ouvrir une page d’histoire sur le mouvement spirite américain. Ces médiums à manifestations physiques ont joué un rôle important sur la place international de 1860 à 1877 en montrant au public l’intervention du monde de l’au-delà par des déplacements d'objets, des lévitations, des matérialisations de mains...
Ira Erastus Davenport et William Henry Davenport naissent à Buffalo, dans l'état de New York, le 17 septembre 1839 pour le premier et le ler février 1841 pour le second. Leur père, un descendant des premiers colons anglais en Amérique, occupe une position importante dans la police de Buffalo. Leur mère est née en Angleterre dans le Kent ; elle est arrivée enfant en Amérique. On a observé quelques traces de dons psychiques dans la vie de la mère. En 1846, la famille est dérangée au milieu de la nuit par ce qu'ils décrivent comme « des coups frappés, des grands bruits sourds, des craquements, des claquements. » Cela se produit deux ans avant l’irruption des esprits chez la famille Fox. Mais ce sont les manifestations de la famille Fox qui, dans ce cas comme dans tant d'autres, les poussent à chercher et à découvrir leurs pouvoirs de médium.
Les deux garçons Davenport et leur sœur cadette Elizabeth commencent à poser leurs mains sur une table. On entend des bruits forts et violents et on épèle des messages. La nouvelle sort de la famille et, comme pour les filles Fox, des centaines de curieux et de gens incrédules affluent vers la maison. Ira montre une facilité à l'écriture automatique et tend aux personnes présentes des messages rédigés avec une extraordinaire rapidité et contenant des renseignements qu'il ne peut pas connaître.
La lévitation s'ensuit très vite et le garçon flotte dans l'air au-dessus de l'assistance à presque trois mètres du sol. Ensuite, le frère et la sœur sont influencés de la même façon et les trois enfants flottent tout en haut de la pièce. Des centaines de citoyens respectables de Buffalo assistent à ces événements. Un jour, alors que la famille prend son petit déjeuner, les couteaux, les fourchettes et les assiettes se mettent à danser et la table s'élève en l'air.
Peu après, au cours d'une réunion on voit un crayon de plomb écrire en plein jour, sans aucun contact humain. On tient désormais régulièrement des séances au cours desquelles des lumières commencent à apparaître et des instruments de musique flottent en jouant au-dessus de la tête des participants. Les voix directes et d'autres manifestations extraordinaires suivent, trop nombreuses pour qu'on les cite toutes. Satisfaisant aux demandes des intelligences communicantes, les frères commencent à voyager en différents endroits et à tenir des séances publiques.
Chez les étrangers on insiste sur les tests. D'abord, les garçons sont maintenus par des personnes choisies de l'assistance mais on trouve cela peu satisfaisant car on pense que ceux qui les tiennent jouent les compères ; on adopte alors le parti de les attacher avec des cordes.
La lecture de la liste des épreuves ingénieuses qu'on leur propose successivement et qu'ils traversent sans que se modifient les manifestations, montre qu'il est presque impossible de convaincre les sceptiques résolus. Dès qu'une épreuve est réussie, on en propose une autre, et ainsi de suite. En 1857, les professeurs de l'université Harvard procèdent à un examen des garçons et de leurs phénomènes.
Leur biographe écrit[1] :
« Les professeurs exercèrent leur ingéniosité en proposant des épreuves. Se soumettraient-ils au port des menottes ? Oui. Accepteraient-ils que des hommes les tiennent ? Oui. Une douzaine de propositions leur est faite. Si une épreuve était acceptée par les frères, c'était une raison suffisante pour ne pas l'essayer. On les supposait préparés à celle-là ; il fallait donc en trouver d'autres.»
Finalement, les professeurs achètent cent cinquante mètres de corde neuve, percent de trous le cabinet installé dans l'une de leurs pièces et ligotent les garçons d'une manière, dit-on, brutale. Tous les nœuds de la corde sont noués avec des fils de lin et l'un d'entre eux, le professeur Pierce, prend place dans le cabinet entre les deux frères. Immédiatement la main fantôme se montre, on racle des instruments que le professeur sent sur sa tête et sur son visage. A tout moment, il tâte les garçons avec ses mains et les trouve parfaitement ligotés. Les opérateurs invisibles finissent par délivrer les garçons de leurs liens et, quand on ouvre le cabinet, on trouve les cordes enroulées autour du cou du professeur ! Après tout cela, les professeurs de Harvard ne font aucun rapport. Il est également édifiant de lire le compte rendu de l'expérience menée avec un appareillage véritablement ingénieux qu'on pourrait qualifier de manches et pantalon en bois, solidement fixés, conçu par un nommé Darling de Bangor dans le Maine. Comme les autres tests, cet appareillage se révèle incapable d'empêcher les manifestations instantanées. On se souviendra que beaucoup de ces épreuves ont lieu à une époque où les frères ne sont que de jeunes garçons, trop jeunes pour avoir appris des moyens élaborés de tromperie.
Il n'est pas étrange de lire que les phénomènes soulèvent presque partout une violente opposition et les frères sont souvent accusés d'être des jongleurs et des charlatans. C'est après dix années de travail public dans les plus grandes villes des Etats-Unis que les frères Davenport viennent en Angleterre. Ils se sont soumis avec excès à tous les tests que l'ingéniosité humaine peut concevoir et personne n'a su à ce comment ils obtiennent leurs résultats. Ils devront tout recommencer.
A cette époque, Ira et William, les deux frères, sont âgés respectivement de vingt-cinq ans et vingt-trois ans. Le New York World les décrit ainsi :
« Ils se ressemblent énormément dans presque tous les détails, tous deux vraiment beaux, avec des cheveux noirs et bouclés, assez longs mais avec un front moyen, d’ardents yeux noirs, d'épais sourcils, une moustache et des favoris, des lèvres fermes, un corps musclé et bien proportionné. Ils étaient vêtus de noir, portant la redingote et l'un d'eux arborait une chaîne de montre.»
Leur biographe, le Dr Nichols, donne cette première impression :
« Les jeunes gens que je ne connaissais qu'à peine personnellement, et que je n’avais jamais vus avant leur arrivée à Londres, me semblèrent se situer quant à l’intelligence et le caractère, au-dessus de la moyenne de leurs jeunes compatriotes ; ils ne sont pas remarquables par leur habileté tout en ayant des capacités honorables, Ira possède quelque talent artistique... Les jeunes paraissent absolument honnêtes singulièrement désintéressés – bien plus préoccupés de convaincre les gens de leur intégrité et de la réalité de leurs manifestations que de gagner de l'argent. Ils nourrissent une ambition, sans doute récompensée par le fait qu'ils ont été choisis comme instruments de ce qu'ils croient devoir être un grand bienfait pour l’humanité.»
Les accompagnent en Angleterre, le Rév. Dr Ferguson, ancien pasteur d’une grande église à Nashville, Tennesse, que fréquenta Abraham Lincolln, M.D. Palmer, célèbre régisseur qui sert de secrétaire, et M. William M. Fay, également médium. M. P. B. Randall, dans sa biographie des Davenport (publiée sans nom d'auteur à Boston en 1869) souligne que leur mission en Angleterre consistait à « rencontrer sur son propre niveau inférieur pour le conquérir, par les moyens appropriés, le dur matérialisme et le solide scepticisme de l'Angleterre. » La première étape vers la connaissance, dit-il, consiste à se convaincre de son ignorance, et il ajoute :
« Si les manifestations données avec le concours des frères Davenport peuvent prouver aux classes intellectuelles et scientifiques qu'il y a des forces – et des forces intelligentes, ou des intelligences puissantes – hors de portée de leurs philosophies, et que ce qu'ils considèrent comme des impossibilités physiques est facilement accompli par des intelligences invisibles et pour eux inconnues, un nouvel univers s'ouvrira à la pensée et à l'investigation de l'homme.»
Il fait peu de doutes que les médiums obtiennent cet effet sur beaucoup d'esprits. Les manifestations de Mme Hayden[2] étaient calmes et discrètes tandis que celles de D. D. Home[3] étaient plus remarquables tout en restant entièrement limitées à des gens à qui on ne faisait rien payer. Or, ces deux frères louent des salles publiques et défient le monde de venir assister à des phénomènes qui dépassent les limites de toute croyance ordinaire. Point besoin d'être devin pour leur prédire une opposition énergique, et c'est ce qui arrive. Mais ils atteignent l'objectif que leurs guides invisibles visent indubitablement. Ils soulèvent l'attention du public comme jamais on ne l'a soulevée auparavant en Angleterre sur ce sujet. On ne peut trouver meilleur témoignage que celui de leur plus grand adversaire, M. J. N. Maskelyne, le célèbre illusionniste. Il écrit : « C'est certain, l'Angleterre se trouva pendant un certain temps abasourdie par les merveilles présentées par ces charlatans ».
Il ajoute ensuite : « Les frères firent plus que quiconque pour familiariser l'Angleterre avec le soi-disant spiritualisme et devant les salles combles et dans des conditions variées, ils produisirent des faits réellement merveilleux. Les séances en catimini des autres médiums au cours desquelles, dans le noir ou la pénombre et devant un public souple sinon souvent acquis, on prétend que des manifestations se produisent parfois, ne peuvent être comparées aux exhibitions des Davenport quant à leur effet sur l'opinion publique. »
Leur première séance à Londres a lieu en privé le 28 septembre 1864 à la résidence dans Regent Street du célèbre acteur et auteur, M. Dion Boucicault, en présence de journalistes connus et de savants distingués. Les comptes rendus de la séance par la presse sont remarquablement complets et, par miracle, honnêtes.
Le compte rendu du Morning Post du lendemain dit que les hôtes ont été invités à procéder à l'examen le plus critique et à prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter la fraude et la tromperie, et l'article continue ainsi :
« Les douze ou quatorze personnes invitées à assister hier soir aux manifestations étaient toutes éminemment distinguées dans les diverses professions qu'elles exercent. La majorité n'avait jamais auparavant assisté à quoi que ce soit de la sorte. Tous cependant étaient décidés à déceler et si possible à dévoiler toute tentative de tromperie. Les frères Davenport sont assez frêles, d'allure distinguée et ce sont les dernières personnes au monde dont on pourrait attendre de hautes performances musculaires. M. Fay a apparemment quelques années de plus et une constitution plus robuste.»
Après avoir décrit ce qui se produit, le journaliste poursuit : « Tout ce qu'on peut affirmer est que les manifestations que nous avons mentionnées ont eu lieu à cette occasion dans des conditions qui excluent la présomption de fraude.»
Le Times, le Daily Telegraph et d'autres journaux publient de longs et honnêtes comptes rendus. Nous ne les citerons pas parce que l'importante déclaration ci-dessous de M. Dion Boucicault, qui paraît dans le Daily News ainsi que dans beaucoup d'autres journaux londoniens, couvre l'intégralité des faits. L'article décrit une séance ultérieure chez M. Boucicault, le 11 octobre 1864, à laquelle assistent, entre autres, le vicomte Bury, M. P., Sir Charles Wyke, Sir Charles Nicholson, le chancelier de l'université de Sydney, M. Robert Chambers, le romancier Charles Reade et le capitaine Inglefield, l'explorateur arctique.
« Monsieur, Une séance avec les frères Davenport et M. W. Fay a eu lieu chez moi hier en présence de... (ici vingt-quatre noms dont ceux déjà cités)...
A trois heures le groupe était au complet... Nous avons envoyé chercher chez un marchand de musique voisin six guitares et deux tambourins de façon que les instruments à utiliser ne soient pas ceux dont les opérateurs avaient l'habitude.
A trois heures et demie, les frères Davenport et M. Fay arrivèrent et découvrirent que nous avions modifié leurs arrangements en changeant la pièce qu'ils avaient auparavant choisie pour leurs manifestations.
La séance commença alors par un examen des vêtements et de la personne des frères Davenport et il fut certifié qu'aucun appareillage ni autre dispositif n'était dissimulé sur eux ni à proximité. Ils pénétrèrent dans le cabinet et s'assirent l'un en face de l'autre. Ensuite, le capitaine Inglefield à l'aide d'une corde neuve éprouvée par nous, lia M. W. Davenport pieds et poings, les mains derrière le dos puis l’attacha solidement au siège sur lequel il se trouvait assis. De la même manière, Lord Bury s’assura de M. I. Davenport. Les nœuds de ces liens furent ensuite fixés avec de la cire à cacheter et on apposa un sceau. On plaça une guitare, un violon, un tambourin, deux cloches et une trompette en laiton sur le plancher du cabinet. On ferma ensuite les portes et on laissa dans la pièce suffisamment de lumière pour nous permettre de voir ce qui suivit.
Je passerai sur le détail du tohu-bohu de sons qui s'éleva dans le cabinet et de la violence avec laquelle les portes furent ouvertes à diverses reprises et les instruments expulsés ; les mains apparurent comme à l'ordinaire, à un orifice en forme de losange percé dans la porte centrale du cabinet. Les incidents suivants nous paraissent particulièrement dignes d'attention.
Tandis que Lord Bury se penchait à l'intérieur du cabinet, la porte étant ouverte et les deux opérateurs étant vus liés et scellés, une main détachée fut clairement observée qui descendait sur lui, et il recula en notant qu'une main l'avait frappé. A nouveau, dans la pleine lumière des chandeliers à gaz et pendant un entracte dans la séance, les portes étant ouvertes, pendant qu'on examinait les liens des frères Davenport, une main et un poignet de femme très blancs et fins frémirent dans l'air au-dessus de nous pendant plusieurs secondes. Cette apparition tira de toute l'assistance une exclamation générale.
Sir Charles Wyke entra alors dans le cabinet et s'assit entre les deux jeunes gens — sa main droite et sa main gauche fermement posées sur chacun d'eux. On referma ensuite les portes et le vacarme recommença. Plusieurs mains firent leur apparition par l'orifice — parmi lesquelles la main d'un enfant. Après un certain temps, Sir Charles revint parmi nous et déclara que tandis qu'il tenait les deux frères, plusieurs mains lui avaient touché le visage et tiré les cheveux ; les instruments à ses pieds glissaient, jouaient autour de son corps et au-dessus de sa tête — et l'un d'eux se logeant finalement sur ses épaules. Pendant ces incidents, les mains qui étaient apparues furent touchées et serrées par le capitaine Inglefield, et celui-ci déclara qu'au toucher c'était apparemment des mains humaines bien qu'elles eussent échappé à son étreinte.
J'omets de citer d'autres phénomènes dont une relation a déjà été faite ailleurs.
La suite de la séance eut lieu dans le noir. L'un des MM. Davenport et M. Fay prirent place parmi nous. On lança deux cordes autour de leurs pieds et en deux minutes et demie ils étaient liés pieds et poings, leurs mains derrière le dos solidement attachées à leurs chaises et les chaises attachées à une table voisine. Tandis qu'on procédait à cette opération, la guitare s'éleva au-dessus de la table et se balança ou flotta tout autour de la pièce et au-dessus de la tête des participants, en en effleurant quelques-uns.
Puis une lueur phosphorique brilla au-dessus de nos têtes d'un côté à l'autre : l'estomac, les mains et les épaules de plusieurs d'entre nous furent simultanément touchés, heurtés ou palpés par des mains tandis que la guitare naviguait autour de la pièce, près du plafond ; puis elle s'abattit sur la tête et les épaules d'un individu malchanceux. Les cloches remuaient ici et là et un doux pizzicato émanait constamment du violon. Les deux tambourins semblaient rouler de-ci de-là sur le plancher, puis se secouer violemment et ensuite allaient frapper les genoux et les mains des participants — toutes ces actions, audibles ou tangibles, se déroulant simultanément. M. Rideout, tenant un tambourin, demanda qu'il lui fût enlevé de la main ; on le lui ôta presque sur-le-champ. Au même moment, Lord Bury fit une demande analogue et une puissance tentative de lui arracher le tambourin des mains se produisit, à laquelle il résista. M. Fay demanda alors qu'on lui enlevât sa veste. Nous entendîmes instantanément une violente secousse et ici se produisit un fait extrêmement remarquable.
On alluma une lumière juste avant que la veste n'eût quitté tout à fait la personne de M. Fay et on la vit l'abandonner, arrachée de lui vers le haut. Elle s'envola jusqu'au lustre, où elle resta accrochée pendant un moment avant de retomber par terre.
Pendant ce temps, M. Fay fut observé : il était pieds et poings liés comme auparavant. Un des participants ôta alors sa veste et on la posa sur la table. On éteignit la lampe et cette veste fut enfilée sur le dos de M. Fay avec une égale rapidité. Pendant les événements rapportés ci-dessus qui se déroulaient dans le noir, nous avions placé une feuille de papier sous les pieds des deux opérateurs et avions dessiné leurs contours au crayon, afin de déceler s'ils avaient ou non bougé.
Ils proposèrent de leur plein gré qu'on leur remplisse les mains de farine, ou d'une autre substance analogue afin de prouver qu'ils n'en faisaient pas usage, mais cette précaution fut jugée superflue ; nous leur demandâmes cependant de compter sans arrêt de un à douze de façon que leur voix nous assure qu'ils restaient là où ils avaient été attachés.
Chacun d'entre nous tenait fermement son voisin afin qu'aucun ne puisse remuer sans que ses deux voisins ne s'en rendent compte.
A la fin de cette séance eut lieu une conversation générale au sujet de ce que nous avions vu et entendu. Lord Bury proposa que l'opinion générale semblait prévaloir que nous devrions assurer les frères Davenport et M. W. Fay que, après une épreuve très rigoureuse et un examen très strict de leurs opérations, les messieurs présents ne pouvaient parvenir qu'à une seule conclusion : il n'y avait pas trace de trucage et il n'y avait certainement ni compère ni machinerie, et que tous ceux qui avaient été les témoins de ces résultats déclareraient librement dans la société où ils vivaient, dans la mesure où leurs recherches les autorisaient à se former une opinion, que les phénomènes qui avaient eu lieu en leur présence n'étaient pas le produit d'un tour de passe-passe. Cette proposition fut promptement agréée par toutes les personnes présentes.»
Il y a un paragraphe de conclusion dans lequel M. Dion Boucicault déclare qu’il n’est pas spiritualiste et à la fin du compte rendu figurent son nom et la date.
Ce récit merveilleusement complet et lucide est livré sans coupure parce qu'il répond à de nombreuses objections et parce que la personnalité du narrateur et celle des témoins ne peuvent être mises en doute. Il doit certainement être accepté comme définif dans la mesure où l'honnêteté est concernée. Toutes les objections à venir sont dues à la pure ignorance des faits.
En octobre 1864, les Davenport commencent à donner des séances publiques aux Queen's Concert Rooms, dans Hanover Square. On désigne des commissions dans le public on fait tous les efforts possibles pour trouver comment tout cela est produit, mais sans résultat. Ces séances, entrecoupées de réunions privées se poursuivent presque tous les soirs jusque vers la fin de l'année. La presse quotidienne est remplie de leurs comptes rendus et leurs noms sont sur toutes les lèvres.
Au début de 1865, ils font une tournée dans les provinces anglaises et à Liverpool, à Huddersfield et à Leeds ils rencontrent la violence des foules excitées. A Liverpool, en février, deux membres de l'assistance leur lient les mains avec tant de brutalité que le sang coule et que M. Ferguson coupe la corde et leur rend la liberté. Les Davenport se refusent à poursuivre et la foule envahit la scène, détruisant le cabinet. On a recours à la même tactique à Huddersfield le 21 février, puis à Leeds avec une violence accrue, résultat d'une opposition organisée. Ces émeutes amènent les Davenport à annuler tout autre engagement en Angleterre. Ils se rendent ensuite à Paris où ils reçoivent une convocation pour se rendre au château de Saint-Cloud où l'Empereur et l'Impératrice, ainsi qu'une quarantaine de personnes, assistent à une séance. A Paris, Hamilton, le successeur du fameux illusionniste Robert Houdin, leur rend visite et, dans une lettre à un journal parisien, il écrit : « Les phénomènes dépassent mon attente et les expériences présentent pour moi un très grand intérêt. Je considère de mon devoir d'ajouter qu'ils sont inexplicables. » Après un second séjour à Londres, ils se rendent en Irlande au début de 1866. A Dublin, beaucoup de personnes influentes viennent assister à leurs séances, dont le rédacteur en chef du Irish Times et le Rév. Dr Tisdal qui proclame publiquement sa croyance dans les manifestations.
En avril de la même année, les Davenport se rendent à Hambourg, puis à Berlin mais la guerre attendue (dont leurs guides confirment l'imminence) rend le voyage peu rentable. Des directeurs de théâtre leur offrent des conditions avantageuses pour des démonstrations mais, suivant l'avis de leur contrôleur, un esprit toujours présent, qui affirme qu'étant donné le caractère surnaturel de leurs manifestations, ils se doivent de les maintenir au-dessus du niveau des amusements de scène ; ils déclinent ces propositions contre le vœu de leur agent. Pendant leur séjour d'un mois à Berlin, ils reçoivent la visite de membres de la famille royale. Après trois semaines à Hambourg, ils se rendent en Belgique où un succès considérable les attend à Bruxelles et dans toutes les grandes villes. Ils vont ensuite en Russie, arrivant à Saint-Pétersbourg le 27 décembre 1866. Le 7 janvier 1867, ils donnent leur première séance publique devant une assistance d'un millier de personnes. La séance suivante a lieu à la résidence de l'ambassadeur de France devant une cinquantaine de personnes comprenant des officiers de la cour impériale et, le 9 janvier, ils donnent une séance au Palais d'Hiver devant le Tsar et la famille impériale. Ils visitent ensuite la Pologne et la Suède. Le 11 avril 1868, ils réapparaissent à Londres dans les salles du Hanover Square et reçoivent un accueil enthousiaste d'un public nombreux. M. Benjamin Coleman, spiritualiste éminent qui organise leur première séance publique à Londres, écrivant à l'époque, dit de leur séjour de presque quatre années en Europe [4] :
« Je désire transmettre à ceux de mes amis américains qui me les présentèrent, l'assurance de ma conviction que la mission des frères Davenport en Europe a rendu un grand service au spiritualisme ; que leur conduite publique en tant que médiums – seul rapport sous lequel je les connaisse – a été régulière et irréprochable.»
Il ajoute qu'il ne connaît pas de forme de médiumnité mieux adaptée à un grand public que la leur. Après ce bref séjour à Londres, les Davenport rentrent chez eux, en Amérique. En 1876, les frères visitent l'Australie et le 24 août ils donnent leur première séance publique à Melbourne. William meurt à Sydney en juillet 1877.
Tout au long de leur carrière les frères Davenport excitèrent l'envie profonde et la malice de la fraternité des illusionnistes. Maskelyne, avec une surprenante effronterie, prétendit les avoir démasqués en Angleterre. Ses prétentions dans ce sens ont reçu la réponse qu'elles méritent du Dr George Sexton, ancien rédacteur en chef du Spiritual Magazine, qui décrivit en public, en présence de M. Maskelyne, comment ses tours étaient exécutés et, les comparant aux résultats obtenus par les Davenport, il dit : « Les deux ont entre eux autant de points de similitude que les productions du poète Close en ont avec les drames sublimes et glorieux de l'immortel barde d'Avon [5] ». Les illusionnistes faisaient cependant plus de bruit en public que les spiritualistes et, avec la presse qui les soutenait, ils firent croire au grand public que les frères Davenport avaient été démasqués.
En annonçant la mort en Amérique de Ira Davenport en 1911, Light fait un commentaire sur l'assaut d'ignorance journalistique dont elle fournit l'occasion. Le Daily News est cité pour avoir dit des frères : « Ils commirent l'erreur d'apparaître comme des sorciers au lieu d'honnêtes illusionnistes. Si, comme leur vainqueur, Maskelyne, ils avaient songé à dire « C'est si simple » les frères auraient réussi non seulement à faire fortune mais encore à acquérir la respectabilité. » En réponse à cela, Light demande pourquoi, s'ils étaient de simples illusionnistes et non d'honnêtes croyants en leur médiumnité, les frères Davenport avaient accepté endurer les épreuves, les insultes et les blessures, de supporter les indignités qu'on leur attribua alors qu'en renonçant à leur prétention de médiumnité ils auraient pu retrouver « respectables » et riches ?
L'inévitable remarque de la part de ceux qui ne sont pas capables de déceler la tricherie consiste à demander quel but supérieur peut être poursuivi par des phénomènes comme ceux qu'on observe avec les Davenport. L'auteur célèbre et ardent spiritualiste, William Howitt, donne la réponse juste :
« Est-ce que ceux qui jouent des tours et jettent des objets en tous sens sont des esprits venus du Ciel ? Dieu peut-il vraiment envoyer des esprits de cette sorte ? Oui, Dieu les envoie, pour nous enseigner ceci, sinon davantage : qu'Il a des serviteurs de tous grades et de tous goûts prêts à faire toutes sortes de travaux et Il a envoyé ici ce que vous appelez des esprits inférieurs et saltimbanques dans un monde inférieur et très sensuel. Eût-Il envoyé quoi que ce soit de supérieur, ce serait passé juste au-dessus de la tête de leur public. De fait, neuf personnes sur dix ne comprennent pas qu'elles voient. »
Il est triste de penser que les Davenport – probablement les plus grands médiums de leur espèce que le monde ait jamais vus – ont souffert toute leur vie d'une opposition brutale et même de persécution. Bien souvent, en effet, leur vie a été en danger.
On est forcé de penser qu'il ne peut exister de preuve plus nette de l'influence des sinistres forces du mal que cette hostilité prédominante à toutes les manifestations spiritualistes.
Sur ce point, M. Randall écrit[6] :
« Il semble y avoir une sorte de dégoût chronique, presque de la haine, dans l'esprit de certains envers tout ce qui peut toucher au spiritualisme. On a l'impression que tout se passe comme si une vapeur flottait dans l'air – une sorte de pollen mental s'écoulant entre les espaces qui serait respiré par les grandes foules humaines et qui allumerait un feu fortement empoisonné dans leur cœur contre tous ceux dont la mission consiste à apporter la paix sur la terre et la bonne volonté aux hommes. Sans aucun doute les hommes et les femmes qui viendront sur terre s'émerveilleront-ils beaucoup de ceux qui vivent aujourd'hui quand ils liront que les Davenport et tous les autres médiums furent obligés d'affronter l'hostilité la plus invétérée ; qu'ils furent forcés, et l'auteur avec eux, d'endurer des horreurs défiant toute description pour le seul crime d'avoir essayé de convaincre la multitude qu'ils n'étaient pas des bêtes qui périssent sans laisser de trace mais des âmes immortelles, ignorant la mort, qui allaient survivre au tombeau.
Seuls les médiums sont capables de démontrer le fait que l'existence de l'homme se poursuit après la mort ; et pourtant (bizarre incohérence de la nature humaine !) ceux-là mêmes qui les persécutent, leurs meilleurs et plus vrais amis, et qui les poussent vraiment vers une mort prématurée ou le désespoir, sont les gens qui prodiguent librement tout ce que la richesse peut apporter à ceux dont la fonction consiste simplement à conjecturer l'immortalité de l'homme ».
Dans un examen des affirmations de divers illusionnistes professionnels prétendant avoir démasqué ou imité les Davenport, Sir Richard Burton dit :
« J'ai passé une bonne partie de ma vie dans les pays d'Orient et j'ai vu leurs nombreux magiciens. Dernièrement on m'a permis de voir et d'assister aux représentations de MM. Anderson et Tolmaque. Ces derniers ont montré, comme ils le professent, des tours ingénieux mais ils n'essaient même pas de faire ce à quoi réussissent MM. Davenport et Fay : par exemple, leur magnifique arrangement d'instruments de musique. Finalement, j'ai lu et écouté toutes les explications sur les « trucs » des Davenport jusqu'à présent données au public anglais et, croyez-moi, si quelque chose devait me faire faire ce saut fantastique « de la matière à l'esprit » c'est la déraison totale et complète des motifs par lesquels on explique les « manifestations ».
Il faut noter que les Davenport eux-mêmes, contrairement à leurs amis et à leurs compagnons de route, n'ont jamais affirmé l'origine surnaturelle de leurs résultats. La raison de cela tient peut-être à ce que, comme distraction, il était plus piquant et moins provocant que chaque membre de l'assistance puisse former sa propre conviction. Écrivant à l'illusionniste américain Houdini, Ira Davenport dit dans ses vieux jours : « Nous n'avons jamais affirmé en public notre foi dans le spiritualisme. Nous considérions que cela ne regardait pas le public, pas plus que nous ne présentions notre numéro comme résultant d'un tour de passe-passe ou, à l'inverse, comme du spiritualisme. Nous avons laissé nos amis et nos adversaires décider de cela du mieux qu'ils pouvaient entre eux mais, malheureusement, nous avons souvent été victimes de leurs désaccords.»
Houdini prétendit par la suite que Davenport avait admis que ses résultats étaient normalement obtenus mais Houdini a lui-même truffé son livre A Magician Among the Spirits (Un Magicien chez les Esprits) de tant d'erreurs de fait et a montré un point de vue si extraordinairement partial sur toute la question que ses affirmations, n'ont guère de poids. La lettre qu'il produit ne contient aucune affirmation de cette sorte. Une autre déclaration citée comme ayant été faite par Ira Davenport est fausse, on peut le prouver. Elle dit que les instruments n'ont jamais quitté le cabinet. En réalité, le représentant du Times a été durement frappé au visage par une guitare flottante et son sourcil ouvert, et en plusieurs occasions quand on allumait une lumière, des instruments tombaient un peu partout dans la pièce. Si Houdini n'a tenu aucun compte de cette dernière déclaration il y a peu de chance que la première soit très juste.
On pourra alléguer, et certains spiritualistes tout comme certains sceptiques l'ont fait, que ce genre d'exhibitions psychiques à la manière de saltimbanques ne sont dignes ni estimables. Nous sommes nombreux à le penser et pourtant beaucoup d'autres se feraient l'écho de ces mots de M. P. B. Randall :
« La faute n'est pas chez les immortels mais en nous ; car telle qu'est la demande, telle sera l'offre. Si on ne peut nous atteindre d'une façon, nous devrons l’être, et nous le sommes, d'une autre ; et la sagesse du monde éternel donne à la race exactement ce qu'elle peut supporter et rien de plus. Si, intellectuellement nous sommes des enfants nous devons nous contenter d'une bouillie mentale jusqu’à ce que nos capacités de digestion garantissent et demandent une nourriture plus forte ; et, si les gens doivent être convaincus au mieux de l'immortalité par des tours et des bouffonneries, la fin justifiera les moyens. Le spectacle d'un bras spectral devant un public de trois mille personnes touchera davantage de cœurs, produira une plus forte impression et convertira plus de gens à une foi en leur survie, et ce en dix minutes ; que tout un régiment de prédicateurs, quelle que soit leur éloquence, ne pourrait le faire en cinq années.»
Tiré de l’ouvrage de Conan Doyle, Histoire du Spiritisme.
[1]A biography of the brothers Davenport de T.L. Nichols, M-D, pp 87-88
[2] Médium
[3]Médium
[4]Spiritual Magazine, 1868, p 321
[5]Discours dans les salons Cavendish, Londres, le 15 juin 1832.
[6]Biography, p 82.