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Ce mois-ci, vous découvrirez le récit détaillé d'une famille qui, sur les conseils d'un Esprit, va étape par étape, prendre des décisions importantes. On parle alors d'Une mystification. Puis, peu à peu, le cours de leurs vies en sera changé...

 Statue de vierge

En écrivant ces lignes j'obéis à la pensée que le témoin de faits mystérieux doit, dans l'intérêt de l'humanité ou de la science, une narration scrupuleusement exacte de ce qu'il a vu. Et, il la doit doublement lorsque ses révélations peuvent préserver l'inexpérience des embûches d'un pouvoir occulte dont il serait aussi insensé de nier l'existence, que de douter de sa puissance à faire le mal ou le bien suivant sa volonté.
J'accomplis donc ce que je crois un devoir. Cette conviction suffit pour braver l'esprit fort toujours disposé à nier ce qu'il ne peut expliquer. La crainte d'être accusé de rechercher des sympathies, en racontant des faits dont je fus victime, pouvait aussi m'arrêter mais la perte de quelques biens ici-bas est amplement compensée dans mon esprit, dans mon âme, par la certitude d'une vie future qui résulte des faits dont le maitre a bien voulu me rendre témoin.

C'était en 1867. Attiré par les sons d'une trompette, je traversais la place Saint-André pour m'engager dans la rue sombre et étroite qui longeait alors la cathédrale, et où s'étalaient les vieilles défroques des marchandes à la toilette. Une foule nombreuse stationnait au coin de la rue des Palanque où le commissaire-priseur procédait à la vente d'un fonds de mouleur statuaire. J'allais passer outre, lorsque fut mise en vente une statuette dont les contours et la pose gracieuse fixèrent mon attention.
Était-ce une Vierge ? Une mater dolorosa ? Je ne sais. Mais je vois encore ce beau visage tout empreint de douleur, les yeux levés vers le ciel, laissant échapper deux grosses larmes, qui semblaient me supplier d'arrêter la profanation. La tête légèrement inclinée et recouverte d'un voile délicieusement drapé révélait un objet d'art. Je l'achetai, cédant au désir de posséder un travail artistique, et non pour satisfaire un sentiment religieux qui, je l'avoue, n'existait pas.
J'achetai aussi une console pour supporter la statuette et quelques instants après, le tout était installé dans ma chambre, rue du Palais Gallien, 147.
Madame Vergniat était en Périgord. A son retour elle fut surprise de voir dans l'endroit le plus apparent de ma chambre un sujet religieux dont j'avais fait moi-même l'acquisition. Sa surprise était légitime, car des idées bien arrêtées laissaient peu de place dans mon esprit aux préoccupations religieuses.
Rien d'étrange ne se produisit dans cette maison, bien que nous l'ayons habitée longtemps après l'achat de la statuette ; seulement j'éprouvais un plaisir si grand à admirer ma Vierge, que je me suis souvent demandé si cette attraction mal définie, n'était pas le prélude et en quelque sorte une première influence des faits mystérieux qui devaient se produire.
A ce moment nous quittâmes notre domicile de la rue du Palais Gallien pour habiter une maison dont je venais de faire l'acquisition rue Malbec, 116. Cette maison isolée, au milieu d'un jardin, comprenait seule­ment deux chambres à coucher, un salon et un vestibule servant de salle à manger.
Quelques détails sur l'ameublement et les dispositions intérieures sont indispensables, pour la bonne intelligence de ce qui va suivre. Une table de nuit séparait mon lit de la cheminée. Au-dessus du meuble était un bénitier ; au-dessus du bénitier un tableau à l'huile représentant la Vierge enfin, près du plafond, la statuette sur son support. A gauche de la table de nuit, sur l'épaisseur formée par la cheminée, était une panoplie composée de sabres et d'épées.
Notre installation terminée, Mme V... fit un nouveau voyage en Périgord. C'est pendant son absence que devait se produire la première manifestation à laquelle, du reste, je n'attachai pas grande importance.
Voici dans quelles circonstances ce phénomène eut lieu. Je fus réveillé la nuit par un violent coup de marteau. J'allumai promptement ma bougie, la pendule marquait une heure. Cette visite n'avait rien de rassurant, car, pour frapper à la porte de la maison, il fallait avant tout avoir franchi la grille qui en défendait les approches. J'attendis avant d'ouvrir qu'on frappât une seconde fois, mais ce fut inutilement.
La nuit suivante un coup aussi violent que celui de la veille vint encore me réveiller et la pendule marquait également une heure. La bonne couchée près des enfants dans une chambre voisine ayant entendu frapper, s'épouvantait. Je crus la rassurer en disant : « Demain je chargerai mon fusil pour recevoir celui qui se plait à nous donner des alertes. »
Je souligne ces mots que nous aurons l'occasion de voir rapportés plus tard d'une façon surprenante.
Quelques mois après, et sans incidents nouveaux, notre bonne fut congédiée et remplacée par une grosse fille des Landes.
 Statue de vierge

La visite nocturne était donc oubliée depuis longtemps, lorsque le 23 janvier 1868, Mme V... et sa bonne, occupées dans ma chambre, entendirent comme un frôlement courir sur les vitres et virent la statuette s'incliner par deux fois sur son piédestal, comme pour les saluer. Elles crurent d'abord à un tremblement de terre, et ce fut sur les tons les plus effarés qu'à mon arrivée le fait fut raconté. La statuette n'était plus dans son axe mais était-ce suffisant pour me convaincre ? Non. Je riais du récit persuadé que Mme V... et sa bonne étaient victimes d'une illusion.
Cependant, le lendemain à la même heure, c'est-à-dire vers 11 heures du matin, les mêmes phénomènes s'étant produits, ainsi que les jours suivants, je résolus de rester chez moi pour constater de visu ce fait merveilleux. Je fus servi à souhait, la statuette a tourné ce jour-là, tantôt à droite, tantôt à gauche, 12 à 14 fois. Parfois elle avançait et se mettait en équilibre sur le bord extrême du piédestal. L'évolution était si prompte et si inattendue que l'oeil pouvait à peine la saisir.  Je ne fus pas longtemps à constater que pour exécuter ces mouvements, le pouvoir mystérieux attendait le moment où l'attention fatiguée ne surveillait plus. Alors un coup sec semblable à l'étincelle électrique qui sa dégage, annonçait que l'évolution était accomplie. Le tableau placé au-dessous de la statuette perdait alors son aplomb ; la coquille du bénitier se renversait en même temps que les sabres et les épées s'agitaient comme autant de balanciers de pendules.
J'avais remarqué que la présence de Mme V... et surtout de la bonne aidaient beaucoup à ces manifestations et, même, que l'apparition de l'une ou de l'autre sur le seuil de l'appartement suffisait pour les provoquer. Je faisais des efforts pour dissimuler la préoccupation que me  causaient ces phénomènes et j'affectais de n'y attacher aucune importance, afin de réagir mieux contre l'exaltation et la peur qui s'emparaient de l'esprit de Mme V.., de sa bonne et des deux ouvrières témoins constants de ce désordre.
Mais au lieu de seconder mes efforts, la Vierge ne se contentait plus des évolutions sur place. Elle se laissait tomber sur l'édredon de mon lit et y restait enfouie jusqu'au moment où un coup sec avertissait qu'elle revenait sur son socle. Bientôt les coups devinrent plus fréquents et n'indiquèrent pas toujours des déplacements. On les entendait sur les portes, dans les armoires, etc., etc., voire même au milieu du jardin.
C'est ainsi qu'un jour, entrant chez moi, un coup retentit si formidable, que les voisins se mettant aux fenêtres dirent : « J'espère M. V. qu'on vous salue. »
A ces faits, déjà extraordinaires, devaient en succéder de plus étranges encore. L'horloger qui, chaque quinzaine, montait nos pendules (M. Ouvrard), s'étant jadis occupé de somnambulisme, crut reconnaître dans notre bonne un sujet accessible aux influences magnétiques et lui proposa de l'endormir. Quelques minutes suffirent pour obtenir cet état de prostration et d'insensibilité qui caractérise le sommeil magnétique. Si cette première fois les réponses de Marie furent inintelligibles, elle ne tarda pas après quelques séances à s'exprimer très clairement et même avec volubilité. En l'état où nous tenaient les évolutions de la statuette, on comprendra aisément que la première question posée à la somnambule devait être celle-ci
-Voyez-vous qui fait remuer la Vierge ?
- Je le vois, répondit-elle, il est près de moi, à genoux en prières. C'est un homme vêtu d'une redingote marron tenant à la main un livre recouvert d'une étoffe noire. Je ne vois pas sa figure. J'aperçois seulement un peu ses favoris car il me tourne le dos.

Pendant plusieurs jours, les réponses sur ce sujet restaient les mêmes. Mais ayant insisté pour connaître le nom de l'homme en prières la somnambule répondit : 
- Je suis le père de Madame.

Cependant cette assertion fut contredite bientôt par une déclaration plus explicite. Obtenir le sommeil magnétique, chez Marie, était si facile, que m'ayant demandé de l'endormir, j'y parvins sans autre notion que d'avoir assisté aux séances précédentes, mais il me fut impossible de la réveiller et je dus envoyer à la recherche de l'horloger espérant qu'il me sortirait d'embarras. Il arriva mais ses efforts furent inutiles. La somnambule se moquait de nous et plaisantait sur l'embonpoint de l'horloger. Ce fait est déjà à remarquer, en ce sens, qu'il contredit l'opinion trop accréditée que le sujet subit la volonté du magnétiseur mais ce qui va suivre révèle un phénomène bien autrement intéressant. Marie ne parla plus alors de sa propre autorité. Un Esprit s'étant substitué à sa volonté déclara que tous nos efforts pour réveiller la somnambule seraient inutiles.
- Je suis bien ici, disait l'Esprit, et il me plaît d'y rester.  Seulement, à quatre heures, j'ai besoin d'être ailleurs alors  la somnambule se réveillera d'elle-même. Ayez la patience  d'attendre.

En effet, à l'heure indiquée, au moment même où la pendule disait quatre heures, la somnambule se frottait les yeux et revenait à l'état normal. A dater de ce jour, la somnambule resta constamment sous l'influence des Esprits qui s'emparaient d'elle pendant son som­meil. C'est ainsi qu'aussitôt endormie l'Esprit disait : 
- Je n'ai que quelques instants à rester.
Et, le délai passé, Marie se réveillait sans aucune intervention.

Durant ces conversations, plus ou moins longues, l'Esprit affectait de m'appeler son fils. Ses avis, ses conseils étaient empreints d'une grande bienveillance et surtout profondément religieux. Il était incontestable que, par un phénomène inexplicable, les facultés de Marie étaient remplacées, pendant ces communications, par un Esprit dont il était impossible de méconnaître la supériorité que révélaient et le niveau de la discussion, et le choix des expressions. Le pressant un jour de s'expliquer, je lui demandais résolument : 
- Mais qui êtes-vous donc ?
- Je suis celui que tu voulais recevoir à coups de fusil, lorsque je frappais à ta porte à une heure du matin !
Notons que la somnambule ignorait absolument ce fait puisqu’elle n'était pas à notre service à l'époque où se produisit l'étrange visite. De son côté, la Vierge ne chômait pas et continuait à tourner cinq à six fois par jour. Les bons avis de l'Esprit, la pureté de ses principes m'intéressaient certainement mais, je l'avoue, la statuette m'occupait davantage. N'étais-je pas en face d'un fait tangible, indéniable et aussi rebelle que voulait se montrer ma raison ; je frappais du pied en répétant : 
- Et pourtant elle tourne.
Toujours en garde, même contre l'évidence, je me donnai la satisfaction d'emprisonner la Vierge, mais de façon à pouvoir constater ses évolutions. Je fis construire, rue Bouquière, une niche en fil de fer enve­loppée d'une gaze très transparente et, la scellant au mur, je cloîtrai solidement la statuette. Mon travail terminé, je quitte la chambre. Aussitôt un coup formidable retentit. J'accours ; tout a disparu, seul le piedestal est à sa place. La Vierge, projetée sur mon lit, est retrouvée enveloppée dans l'édredon, tandis que l'armature gît dans la ruelle. Mes précautions ayant déplu, je me gardai bien de les renou­veler. Consultée sur ce fait, la somnambule, ou plutôt l'Esprit agissant en elle, dit de ne jamais toucher à la Vierge et de la laisser là où elle serait transportée ajoutant  que celui qui l'en­levait de son piedestal, saurait bien l'y replacer.
La recommandation fut suivie mais un jour advint que la statuette disparut. Mme V..., revenue de ses frayeurs premières, se mit activement à sa recherche et, après avoir bouleversé la maison, la retrouva dans un placard, derrière le lit des enfants. Ce placard, dissimulé par la tapisserie, n'avait jamais été utilisé et nous n'en soupçonnions pas l'existence. Comment la Vierge s'y était-elle introduite ?
Les déplacements devenaient de plus en plus fréquents. Ainsi, la statuette s'avisait de changer d'appartement et le salon était son lieu de prédilection mais elle ne passait jamais une journée entière sans reparaître sur son piédestal. Les portes s'ouvraient ou se fermaient devant elle avec le même bruit qui suivait chaque évolution. Tout cela avec tant de rapidité qu'on était surpris plutôt qu'incommodé.

Sous l’influence de ces phénomènes, le sommeil ordinaire de la somnambule devint plus lourd. On l'entendait, la nuit, parler tout haut. Elle s'éveillait difficilement et après avoir secoué sa torpeur elle ne pouvait encore ouvrir les yeux.
- Je les sens collés, disait-elle.
Mais plaçant les doigts sur les paupières, Mme V... faisait une prière et la difficulté disparaissait aussitôt. Dans le sommeil ordinaire la conversation n'avait rien de sérieux, c'était le plus souvent des banalités, des plaisanteries, quelquefois même de mauvais goût, tandis que dans le sommeil provoqué on retrouvait constamment un Esprit sérieux, professant les maximes les plus pures et donnant des avis empreints de la plus profonde charité. Je demandai à cet Esprit mystérieux s'il était vrai qu'il fût le père de Madame, ainsi qu'il l'avait déclaré une première fois. Voici sa réponse, que je crois reproduire mot à mot :
- Mon fils, je lis dans ta pensée car tu ne peux me la cacher, que n'ayant pas assez de foi pour reporter à Dieu le bonheur de la visite que tu reçois dans ta maison, tu en cherches l'explication dans je ne sais quelles suppositions absurdes. Ne croie pas au spiritisme, mon fils ! Dieu, qui est essentiellement bon, ne saurait permettre qu'après avoir subi toutes les épreuves terrestres vos Esprits fussent encore condamnés à assister à toutes les turpitudes, à toutes les souffrances de ceux qui leur ont été chers. C'est un supplice que Dieu n'a pas voulu vous réserver. Oui, un esprit existe mais il est seul, unique, et cet esprit est le mien. C'est lui qui donne le souffle, qui anime tout, enfin qui te fait agir, marcher ou t'arrêter lorsque tu crois que ta volonté est toute puissante.  Cet esprit, je le répète, est unique. C'est celui du Maître.

Disons que cette opinion est celle du P. Malebranche qui pré­tend, lui aussi, que Dieu est l'auteur immédiat de l’accord que nous admirons entre l'âme et le corps.
- Je le vois bien, tu doutes de mes paroles, ajouta l'Esprit, car  je te l'ai dit déjà tu ne peux me cacher ni tes pensées, ni tes actions, et tu te dis à toi-même : quelle prétention de supposer que j'aie pu mériter semblable visite et que l'esprit divin est venu frapper à ma porte. Tu préfères donc, mon fils, douter de mes paroles et t'éloigner ainsi de la vérité. Soit, mais ne l'oublie pas, quelle que soit ton appréciation sur moi et le but de ma visite, reste persuadé que je ne puis être chez toi qu'en vertu d'une volonté suprême et que tous tes efforts pour me chasser et même mon désir de m'en aller avant l'accomplissement de ma mission, seraient également inutiles. Accueille-moi donc comme un bon père qui vient aider son fils à parcourir le chemin si pénible de la vie. Je ne t'ai pas quitté depuis que tu es au monde. Nous avons traversé ensemble beaucoup d'ennuis, supporté beaucoup de chagrins mais des temps meilleurs sont proches et je puis te révéler, mon enfant, que du moment où il m'est possible de te faire entendre ma voix, cette bénédiction du maître va t'assurer désormais le repos du corps, de l'âme et de l'esprit. Pour toi plus de soucis, ton père te les évitera tous. Mais en échange du bien que j'ai mission de te faire, je te demande d'élever souvent tes pensées vers le Créateur et de le remercier de l'immense faveur qu'il t'a accordée. Car, sache-le bien,  personne jusqu'à ce jour n'avait reçu dans sa maison semblable visite.
Je désire que tu assistes régulièrement aux offices et que tu fasses la communion. Je veux aussi que tu donnes aux pauvres dont je t'indiquerai l'adresse et les besoins mais comme je suis un protecteur, si je t'impose des charges, je te procurerai les moyens d'y  pourvoir.

On peut juger déjà de l'influence que ces faits mystérieux exerçaient sur mon esprit, car je promis tout, et en enfant soumis, je communiai avec ferveur à Talence. Dès ce jour, la bienveillance de l'inconnu s'étendit à tout, aux personnes de la maison, comme aux besoins du service. Sa sollicitude, pour la somnambule surtout, le poussait parfois à m'imposer des missions délicates dont je vais citer un exemple.
Je venais d'endormir Marie, aussitôt l'Esprit se manifeste en disant :
- J'ai à t'entretenir de faits personnels à la somnambule et pour lesquels je te prierai de suivre mes indications. Cette fille espère se marier avec un ouvrier menuisier du nom de Toussaint qui la poursuit depuis longtemps. Mais les parents de Marie, qui sont d'honnêtes gens, ne consentiront jamais à ce mariage. D'abord parce que T... est un mauvais sujet et en second lieu, parce que le frère de T... vient d'être condamné hier, dans son pays, à une peine infamante pour faits immoraux. II faut donc que Marie cesse de parler à ce jeune homme dont le caractère jaloux et violent serait bientôt un danger pour elle.
Marie ignore tous ces détails, même la condamnation qui n'est pas encore connue de tous...
Ainsi donc, lorsque Marie sera éveillée, tu auras soin de ne rien dire de notre conversation mais demain, en venant de Bordeaux, tu la lui rapporteras comme un renseignement recueilli en ville. Marie niera d'abord ; elle prétendra même ne pas connaître l'individu mais tu insisteras sévèrement et elle avouera tout.
C'est en effet ce qui arriva. Puis continuant, l'Esprit ajouta :
- Cet ouvrier s'est fait récemment une blessure à la min qui l'empêche de travailler : aussi est-il toujours à rôder autour de la maison et il convient de s'en méfier.

Souvent le soir à la veillée, Marie me demandait de l'endormir. Alors, chose étrange, elle nous disait combien de fois son pré­tendu passerait le lendemain devant la porte et à quelle heure.
Ces renseignements étaient d'une exactitude parfaite. Cependant un jour, notre homme ne paraissait pas à l'heure fixe, il était en retard de deux minutes. Marie était endormie dans le salon et j'allais alternativement de la terrasse à elle. Je commençais à perdre patience.
- Il arrive, dit-elle, tu auras à peine le temps nécessaire pour aller à la terrasse.
En effet aussitôt à mon poste d'observation le menuisier pénétrait dans la rue Malbec par le chemin de Bègles.
Quelques jours après, l'Esprit, que la somnambule appelait son bon papa, nous prévint que Marie courait un grand danger. Son prétendu se voyant éconduit à cause de la flétrissure qui frappait sa famille et dont il avait eu confirmation par lettre, avait résolu de se venger. Animé des plus mauvais desseins, il avait coupé sa barbe pour se rendre méconnaissable et après avoir caché un long couteau sous sa blouse, il avait pris le chemin de la maison, avec l'intention bien arrêtée, disait l'Esprit, de frapper Marie. En nous donnant ces avis, par la voix même de la somnam­bule, l'ami mystérieux ajoutait : 
- Ne laissez pas sortir cette fille de la journée. Je vous débarrasserai bientôt de cet homme dangereux en faisant naître dans son esprit le désir d'un voyage  d'où il ne reviendra pas.

Deux ou trois jours après, Marie apprenait que l'individu était parti pour l'Algérie.
Nous avons vu une première fois par la substitution de l'Esprit aux facultés de la somnambule combien notre libre arbitre est subordonné aux influences occultes. Et si on objectait que, dans ce cas, les influences magnétiques ont facilité cette substitution, il nous resterait l'exemple autrement décisif du menuisier dont le libre arbitre a été absolument subjugué avec préméditation, ainsi qu'il résulte de la déclaration de l'esprit qui fait naître le désir d'un voyage d'où l'individu ne reviendra pas.
Au fur et à mesure que tous ces faits étranges se succédaient, notre esprit à tous subissait de plus en plus une influence à laquelle il était impossible de se soustraire, je dirai même à laquelle on était heureux d'obéir. Comment repousser des avis, des conseils toujours profondément honnêtes et auxquels le nom de Dieu était constamment associé ?
Après la somnambule, Mme V... était celle qui, de nous tous, ressentait le plus fortement les effets de cette atmosphère mystique. Pour ma part, je m'étais borné d'abord à observer les phénomènes et à ne les accepter que comme étude mais de surprises en surprises j'arrivai, plein d'admiration, à une soumission aveugle. Et cependant nous n'étions qu'au début de ces manifestations féeriques.
Si pendant le repas, nous désirions un objet quelconque du service, la bonne (Marie) nous l'apportait avant même de le demander. Une voix qu'elle croyait tantôt la mienne, tantôt celle de Madame lui avait déjà transmis notre désir avant qu'il fût exprimé. C'était une communication parfaite de la pensée, sans l'intervention de la parole. Si le travail de la bonne (de la somnambule) laissait à désirer ; celui qui surveillait assidûment la maison, l'en punissait immédiatement en lui enlevant avec une dextérité incroyable le foulard qui la coiffait. Et s'il arrivait à cette fille de s'écarter vis-à-vis de nous des règles de la plus stricte politesse, elle était immédiatement rappelée à l'ordre de la même manière et sans tenir compte du milieu où elle se trouvait. J'ai vu souvent son foulard jeté à terre, pour lui rappeler qu'elle devait nous laisser monter avant elle en voiture ou en omnibus.
J'ai eu aussi l'occasion de voir une manifestation bien surprenante par la facilité de déplacer un meuble d'un poids relativement considérable.
Souvent après être couchée la somnambule sentait son lit rouler tout doucement au milieu de l'appartement et puis revenir, tout aussi doucement, à sa place. Ce va et vient, qui se renouvelait quelquefois trois à quatre fois dans la soirée, se produisant lentement, on pouvait voir à l'aise cette masse s'agiter sous l'impulsion d'une force invisible. La somnambule, je l'ai dit au début, était une grosse fille venue des Pyrénées ou des Landes. Elle ne savait ni lire, ni écrire et la vue de toutes ces choses surnaturelles la laissait ou ébahie ou effrayée. J'avais remarqué même qu'elle perdait souvent le souvenir de ce qu'elle avait vu la veille, cela bien entendu, à l'état normal. Ce qu'elle comprenait bien, c'est que bon papa n'était pas satisfait d'elle lorsqu'il lui envoyait à la tête, on ne sait d'où, une croûte de pain ou de fromage, signe certain que quelque chose clochait dans le ménage.
Un petit lustre Louis XV suspendu dans le vestibule, nous servant de salle à manger, s'agitait dès que nous nous mettions à table, et le mouvement que précédait toujours un frôlement sur les chaines métalliques, était lent ou accéléré selon que Mme V... en témoignait mentalement ou à haute voix le désir. Si nous avions un invité tout restait dans le calme et rien ne faisait soupçonner les étrangetés qui se produisaient habituellement. On eût dit que ces manifestations étaient réservées aux gens de la maison et aux quelques voisins privilégiés, dont le bruit devait forcément attirer l'attention.
Deux demoiselles, l'une du Périgord, Anna..., l'autre de Bor­deaux, Mathilde..., qui travaillaient presque constamment à la maison, assistèrent à toutes ces surprises et bon papa leur témoignait même beaucoup d'affection.
J'ai dit, en commençant, que lorsque la statuette tournait sur son socle ; sabres et épées s'agitaient en sens inverse. L'une de ces épées fut décrochée et déposée dans l'angle de la muraille, mais presque aussitôt, en présence de Mme V..., une force invisible la remit lentement à sa place.
Les oscillations du lustre, le mouvement des épées, les déplacements du lit sont les seuls phénomènes dont l'oeil ait pu suivre les mouvements ; tous les autres étaient si prompts qu'ils échappaient à l'attention, même la plus soutenue. Notre présence dans la maison n'était point nécessaire pour y produire du bruit ou d'autres phénomènes. Et le fait que je vais citer contredit cette opinion, émise par quelques spirites, que les Esprits empruntent aux médiums ou aux personnes présentes la force indispensable pour produire des déplacements.
Étant allés à la campagne, la bonne nous suivit et la maison resta abandonnée toute la journée. Le soir, à notre arrivée, les voisins vinrent au-devant de nous pour annoncer que toute notre vaisselle, au moins, devait être brisée car depuis notre départ un bruit formidable n'avait cessé dans la maison. Nous pénétrâmes dans les appartements, où tout était parfaitement à sa place, et aucun dégât ne fut constaté. Où donc l'Esprit avait-il pris, dans cette maison inhabitée, la force auxiliaire qu'on assure lui être nécessaire ?
J'étais à l'égard de ces faits d'une très grande réserve, ne voulant pas les ébruiter, afin d'éviter des controverses qui certainement n'eussent pas manqué de se produire. Ce qui m'engageait encore au silence, c'est que, m'étant confié à un membre d'une famille réputée profondément religieuse, la Vierge refusa toute évolution devant ce visiteur. A peine l'incrédule avait-il franchi la porte que la statuette était déplacée. Le soir même j'endormis Marie et j'essuyais de l'Esprit les plus vifs reproches.
- Ce qui, se passe ici est pour toi, me dit-il, et ne doit pas  être donné en spectacle.

Cependant cette déclaration en apparence si sévère fut bientôt enfreinte par lui-même. Voici dans quelles circonstances. M. Bossuet, coiffeur, rue Bouffard, à Bordeaux, était occupé dans le salon à coiffer Mme V... lorsqu’un coup sec vint avertir que la Vierge se déplaçait. Mme V. se lève et sans rien dire se dirige vers la pièce à côté, où M. Bossuet la suit instinctivement, la Vierge était en équilibre sur le bord de la console. M. Bossuet, comprenant bien vite ce qui venait de se passer, s'écria, plein d'admiration : 
- Mon Dieu ! Je me sens heureux d'être témoin  d'un pareil fait.
M. Bossuet est mort, qui pourrait nous dire s'il a trouvé ailleurs la solution du problème qui nous occupe ? J e saisis, comme une revanche, cette occasion de demander pourquoi la Vierge avait remué pendant la visite de M. Bossuet, puisqu'il est dit que cette faveur est réservée exclusivement aux gens de la maison.
- Je choisis mon monde, répondit l'Esprit, et j'avais à récompenser M. Bossuet d'avoir patiemment avec des cheveux reproduit les traits du Christ.

J'ignore s'il est vrai, comme on me l'a affirmé depuis, que M. Bossuet soit l'auteur d'un pareil travail. Je me suis borné, en narrateur fidèle, à rapporter la réponse qui me fut faite.
Notre habitation avait l'inconvénient, très désagréable en hiver, d'obliger la bonne à traverser le jardin pour ouvrir la grille au laitier, qui carillonnait à la porte avant le jour. Nous cherchions une combinaison pour éviter ce dérangement lorsque notre bienveillant protecteur nous vint en aide. Ce fait est un des plus curieux de cette longue série d'aventures surprenantes. A dater de ce jour, lorsque la charrette du laitier s'arrêtait devant notre porte et avant qu'il eût sonné, une puissance mystérieuse avait fait jouer le pêne de la serrure. Alors le portail s'ouvrait et le laitier déposait sur la fenêtre le pot que la bonne prenait plus tard.
Peut-être le laitier supposait-il qu'un mécanisme particulier nous permettait d'ouvrir ainsi notre porte. Quoi qu'il en soit, son imagination était préoccupée car on l'entendait faire tout haut cette réflexion en montant dans son véhicule : 
- C'est égal, cette maison est bien singulière.

Il nous arrivait parfois, après avoir assisté aux vêpres soit à Sainte-Croix, soit aux Vieillards, d'entreprendre une longue pro­menade. Nous rentrions très fatigués et impatients de nous asseoir. Pour nous éviter d'attendre, une main invisible sonnait avant notre arrivée au portail.
Ce fait ne pouvait se cacher et notre bonne voisine, Mme Pradeau, bien placée pour s'en apercevoir, riait des prévenances dont nous étions l'objet.
Alors eut lieu une substitution bien étrange et qui devait rendre désormais inutile l'intervention de la somnambule. Nous venions, Mme V... et moi, de faire une visite à Talence. Chemin faisant, ma femme se retourne vivement en disant :
- On vient de m'appeler par deux fois j'ai entendu : Héloïse ! Héloïse !
Dès ce jour, Mme V... posa mentalement des questions et une voix étrangère lui donna les réponses. Bientôt la voix prit elle-même l'initiative des conversations et absorbant les facultés de Mme V... parla par sa bouche. On ne pouvait s'y tromper et il était aisé de reconnaître la présence du même Esprit bienveillant qui en quelque sorte n'avait changé que son domicile.
La première recommandation faite par la bouche de Mme V... fut de ne plus endormir Marie : - Tu ne pourrais le faire dorénavant sans encourir des désagréments.

Mon désir de tout voir, de tout observer était si grand qu'il l'emporta sur les conseils donnés et j'endormis la somnambule comme d'habitude. Mal m'en apprit. Aux exordes charitables et bienveillantes avait succédé un langage échevelé auquel je crus pouvoir mettre fin en réveillant la somnambule mais il me fut impossible d'y parvenir. Elle se promenait les yeux fermés dans l'appartement en criant : 
- Je me réveillerai lorsque cela me fera plaisir. Je suis bien ici et je veux y rester précisément parce que ma présence te contrarie.
Puis elle tenta de sortir pour se promener dans le jardin et je dus fermer la porte à clef. Cette scène, qui dura plusieurs heures, m'enleva le désir de nouvelles expériences. A dater de ce moment, Marie subissait pendant son sommeil ordinaire des influences mal définies ; s'exprimant tout haut, elle affectait tantôt un langage sérieux ; tantôt elle se montrait d'une gaîté folle. Tout ce qu'il y avait précédemment de profondeur et de bienveillance dans les avis avait disparu. Au surplus, j'étais amplement dédommagé par la situation nouvelle qui rendait inutile l'intervention de la somnambule et je ne songeais pas à renouveler la scène désagréable dont j'ai parlé. Je puis dire même qu'ici finirent toutes les tentatives et les expériences de magnétisme. Il n'en fut plus question.
Parfois l'Esprit consulté ne répondait pas. Mme V... me disait alors : 
- Je lui parle et il ne me répond pas.
Mais l'attente n'était jamais longue. Souvent aussi il annonçait son départ.           
- Si tu as, disait-il, quelque chose à me demander ou à me dire, hâte-toi, car je vais m'absenter pour ne revenir que demain à telle heure.
Jusqu'à l'heure indiquée toute question était inutile. On ne répondait pas. Cent fois j'avais eu l'occasion de contrôler l'exactitude des renseignements fournis par Marie mais il me restait à savoir si ceux qui prenaient l'autre voie avaient la même valeur. Je n'attendis pas longtemps avant d'être fixé à cet égard. C'était un soir d'hiver, la nuit était noire, il pleuvait à verse. En rentrant à la maison, la bonne vint m'annoncer qu'une toute petite chienne havanaise qu'une voisine avait eu la gracieuseté de nous offrir, était égarée. Je l'ai dit, le temps était affreux et il ne fallait pas songer à aller à la recherche de cette bête microscopique. Mais, comme je manifestai quelque chagrin, Mme V... qui n'avait encore rien dit, lève la tête et, s'adressant à moi sur un ton particulier qui annonçait une communication officielle : 
- Tu tenais donc bien à cette petite bête ! Hé bien rassure-toi, tu vas la retrouver. Je la vois, un ouvrier la tient sous sa blouse chez le coiffeur de la rue de Bègles (Le petit Bossu).
Le renseignement était précis, donné par la somnambule, je n'aurais pas hésité mais il me fallait maintenant d'autres preuves. Mes recherches m'ayant conduit jusque chez le perruquier je regardais timidement à travers les vitres lorsque le bossu m'aperçut : 
- Vous désirez quelque chose, Monsieur Vergniat ?
- Si vous apprenez qu'on ait trouvé dans le quartier une toute petite chienne havanaise vous voudrez bien nous prévenir.
Un ouvrier qui se trouvait dans le magasin répondit : 
- Il y a cinq minutes à peine, je la tenais sous ma blouse cherchant à la réchauffer. Je l'avais ramassée toute mouillée au coin de la rue où je l'ai déposée de nouveau.
En effet quelques pas plus loin, j'apercevais un point blanc dans l'obscurité. C'était Fleurette blottie sous une porte à l'abri du mauvais temps. Je rentrai triomphant rapportant à la maison le bonheur des enfants et la confirmation de l'infaillibilité du protecteur.
On comprendra aisément l'influence de ce pouvoir qui se révélait sans bornes. Aussi gagnant toujours du terrain par de nouvelles manifestations de plus en plus surnaturelles, sa volonté se substitua entièrement à la nôtre. Ce qu'il formulait au début comme un désir, devint bientôt des ordres. Il s'occupait des moindres détails. Il désignait les provisions nécessaires pour la journée et en fixait le prix. Si une acquisition plus importante était à faire, il indiquait le magasin, toujours en fixant d'avance le prix demandé. Ces faits donnaient lieu à des incidents curieux. Ainsi, par exemple, lorsqu'une marchande demandait un prix exagéré, bon papa toujours là, soufflait à l'oreille de Mme V... :
- Dis à cette femme que sa marchandise ne lui coûte que tel prix. Tu lui offriras tant. C'est assez gagner.
La marchande restait ébahie, elle ne pouvait nier et le marché était conclu. Je révélerai, sans hésiter, tous les faits, persuadé que l'étude de manifestations si persistantes et si variées peut aider à soulever le voile mystérieux qui nous environne. Au surplus pourquoi hésiter ou me taire ? N'ai-je donc pas vu ? Plus les faits sont surnaturels, plus le devoir de les révéler est grand. On m'accusera peut-être de faiblesse ou de trop de soumission pour ce pouvoir occulte, qui cependant ne se réclamait que de Dieu et n'invoquait que des sentiments honnêtes. A ceux-là je répondrai : subissez d'abord la même épreuve et alors je vous reconnaîtrai le droit de prononcer. Quant à la faiblesse elle ne fut jamais un des défauts de mon caractère, si on en excepte pourtant celle que je tiens à conserver et qui me fait incliner devant le Maitre.
J'ai dit que nous assistions, ma femme et moi, régulièrement aux offices tantôt à Talence tantôt à Sainte-Croix mais le plus souvent aux Vieillards.
Il me souvient à ce propos que voyant passer ces déshérités que la charité publique soutient, notre hôte mystérieux nous fit cette confidence :
- Sans ma visite, mes pauvres enfants, ce sort-là vous était réservé.
J'ai dit en commençant que j'avais promis de communier ; je le fis avec ferveur, tant les faits mystérieux auxquels j'assistais m'avaient impressionné ; je poussai la soumission à ce point de renoncer au théâtre, à toutes les distractions, sur le désir manifesté par l'inconnu. En revanche je pouvais être de tous les pèlerinages.
Un matin, au moment de partir pour me rendre à mon bureau, Mme V... me dicta d'un air inspiré l'ordre suivant : 
- Tu vas faire vendre ce matin à Paris par dépêche six mille francs de rente 3 pour 100 et acheter par contre dix mille de rente italienne.
Puis il ajouta : 
- Ne te l'ai-je pas dit ? Lorsqu'il me plaira de t'imposer l'obligation de donner, cela ne sera jamais à tes dépens. Or j'ai besoin de quelques milliers de francs dont je t'indiquerai l'emploi le moment venu.
Malgré les choses étranges que j'avais déjà vues, je restai abasourdi. En effet, Mme V..., quoique la femme d'un agent de change, ne s'était jamais occupée d'affaires et elle était absolument ignorante des combinaisons financières. Les termes mêmes employés pour dicter l'arbitrage indiquaient que l'opération était conçue par un esprit habitué aux affaires de ce genre. Cette affaire n'étant pas dangereuse et ne pouvant, en cas de non réussite, me mener bien loin, je télégraphiai à Paris sans hésiter. Le soir en rentrant j'avais déjà la réponse que je voulus communiquer à mon mystérieux client. 
- C'est inutile, me dit-il, je la connais.
Je profitai de cette circonstance pour causer affaires avec l'arrière-pensée de savoir jusqu'où pouvaient aller les connais­sances de l'Esprit en matière de spéculation.
- Savez-vous, lui dis-je, que votre arbitrage est à cheval sur deux liquidations. La rente italienne est en liquidation du 15 et le 3 pour 100 est pour la fin du mois.
- Je l'ai fait exprès. L'Italien sera liquidé le premier, car le bénéfice qui va en résulter a un emploi pressé. Celui que procurera la rente française pour la fin du mois est destiné à offrir un cadeau à ta fille. Je te donnerai des instructions à ce sujet.
Je risquai cette question : 
- Vous croyez donc à la hausse sur l'Italien et à la baisse sur la rente française ?
 - Ton père n'est pas celui qui doute, qui croit ou qui seule­ment espère, il est toujours sûr, parce qu'il est le maitre.

Du jour où cette opération de bourse fut faite, les deux mouvements en sens inverse favorables à l'arbitrage ne se sont pas démentis. Et, un fait important à noter, c'est que tous les matins, l'inconnu prédisait avec une précision mathématique la côte que le télégraphe apporterait à 4 heures du soir. J'insiste, je le répète sur ce fait, parce qu'on semble contester aux Esprits la possibilité de prévoir ou de dénoncer l'avenir.
Toujours préoccupé d'étudier les faits, j'ai demandé quelquefois la veille quels seraient les cours du lendemain.
-  Je ne pourrai te répondre que demain matin. La nuit m'est nécessaire pour me renseigner.

Il m'arriva un jour de constater une différence de deux centimes et demi entre le cours prédit le matin et l'officiel arrivé à 4 heures. Comme j'en faisais la remarque :
- C'est, me dit l'inconnu, une mauvaise tête qui a pesé sur les cours au coup de cloche.
On le voit, l'esprit possédait même l'argot de la corbeille. En présence de tant de pénétration, je demandai timidement s'il pourrait ou voudrait m'être utile dans mes affaires. Voici sa réponse :
- Je ne suis pas venu pour cela ; ma visite a un autre but. Cependant je crois pouvoir t'être utile et à l'occasion je n'y manquerai pas.
Cette déclaration semble s'écarter un peu de la première. Au début, la bénédiction du maître m'assurait le repos de l'âme et de l'esprit : « Pour toi plus de soucis, ton père te les évitera tous ! » Maintenant succède un vague qu'on ne peut s'empêcher de constater. Revenons à cet esprit de pénétration : il était tel, que consulté sur l'état de ma caisse il m'en donnait le solde instantanément. Pour lui ce n'était qu'un jeu de dire à chacun de nous le contenu de son porte-monnaie. Durant l'arbitrage, je lui demandai quelquefois : 
- Quel est le bénéfice que vous donne votre opération aux cours de ce soir ?
Il l'accusait aussitôt et sans omettre un centime car il tenait compte des courtages et du prix des dépêches.
- Tes affaires, disait-il, ne doivent plus te préoccuper, elles sont les miennes. C'est moi qui m'en charge, tu n'as qu'à obéir et à me satisfaire pour être récompensé.  Tu peux te convaincre tous les jours que rien ne me serait facile comme de te combler de richesses mais si je te fais attendre, c'est que toi aussi tu m'as fait attendre longtemps avant de pouvoir te ramener vers moi.

Voilà qui était plus net que la déclaration de tout à l'heure. Pendant que l'arbitrage marchait favorablement, la Vierge con­tinuait ses évolutions qui pourtant devaient bientôt cesser. Une après-midi, la Vierge fit des évolutions plus bruyantes que de coutume et sortant de la maison elle vint se placer sur des sarments dans le jardin. A ce moment une de nos anciennes domestiques nommée Caroline T..., la même qui était à notre service lors de la visite nocturne dont il est question au début, étant venue à la maison, les ouvrières décidèrent de replacer la statuette sur son piédestal. A peine y était-elle qu'un coup violent retentit et la Vierge tomba brisée sur le plancher. Grande fut la désolation de Mme V... en apprenant l'accident. J'avoue que pour mon compte j'étais très contrarié. Les débris réunis furent conservés longtemps avec vénération. Mais le piédestal était toujours vide. Alors me vint la pensée de demander à notre protecteur s'il serait possible de trouver une, statuette semblable à la première.
-  Je m'en occuperai cette nuit, me dit-il.
Il arrivait en effet très souvent à l'Esprit de se réserver la nuit avant de répondre. C'était pendant la nuit, disait-il, qu'il obtenait les renseignements nécessaires. Le lendemain fidèle à sa promesse j'eus les renseignements suivants :
- Il n'existe dans Bordeaux qu'une Vierge semblable à celle qui a été cassée. Tu la trouveras chez un mouleur rue Bouquière (un petit magasin situé dans un enfoncement). Il n'y a que ce spécimen et le marchand n'a pas même le moule.
Vite je prends un des fragments et me dirige rue Bouquière. En effet, je trouve le magasin indiqué et le marchand me déclare qu'il a une Vierge semblable à celle que je désire mais qu'il ne possède pas le moule.
- Je la chercherai et vous pourrez la prendre ce soir.
En effet, le soir même je rentrai à Malbec avec la statuette qui devait faire cesser tous les regrets. En me voyant arriver, une communication officielle s'ensuivit :
- Cette vierge, Mon fils, sera déplacée. Je ne te dirai pas où je l'emporterai mais c'est elle qui révélera la visite que tu as reçue. Or, comme elle ira très loin tu vas mettre dans l’intérieur ton nom et ton adresse.
Ce qui fut fait. Placée sur le support, la nouvelle Vierge tourna trois fois le lendemain de son arrivée mais depuis elle resta complètement immobile. Je ne sais si elle effectuera un jour le voyage annoncé. Quoiqu'il en soit, ses préparatifs sont bien longs. Ici se terminent tous les incidents ayant trait à la statuette que les circonstances de l'année terrible firent passer du reste en d'autres mains.
Nous l'avons dit, l'arbitrage marchait de mieux en mieux. Et, avec sa facilité à prévoir l'avenir, l'inconnu liquida au plus haut cours l'Italien, tandis qu'il attendit quelques jours pour racheter plus favorablement son trois pour cent. C'était d'une précision renversante et avec un pouvoir pareil à son service, la fortune était sans limites. Le bénéfice résultant des deux opérations s'éleva à environ trois mille francs. Sur les premiers fonds provenant de la liquidation du 15, j'eus mission de réserver mille francs pour un père de famille. Et le souvenir de cette bonne action dont je ne fus en quelque sorte qu'intermédiaire, me réjouit encore.
D'autres distributions moins importantes me furent ordonnées. Enfin, comme couronnement de l'édifice il fallut illuminer notre jardin en l'honneur de la Vierge. Vinrent ensuite les bénéfices de la liquidation de fin du mois qui donnèrent lieu à un incident curieux.
Le jour des paiements, lorsque le bénéfice fut à la disposition de l'Esprit mystérieux, il me pria de revenir à Bordeaux pour acheter un piano qu'il offrait à ma fille. C'est là le cadeau dont il a été question au début de l'opération.
- Va, me dit-il, chez M. Caudérès, allées de Tourny, 50, où tu achèteras un piano d'occasion dont on te demandera 65o francs.
Comme je faisais observer qu'il me fallait des indications précises afin d'éviter toute confusion.
- C'est inutile, je serai là pour veiller à ce qu'on ne t'offre que le piano que je désire. Tu n'auras même pas à marchander, car le prix est au‑dessous de la valeur de l'instrument.
Comment résister aux désirs d'un ami si bienveillant et dont le pouvoir semblait n'avoir d'autres bornes que sa volonté ? Au surplus, avais-je à discuter l'emploi d'argent qui ne m'appartenait pas ?
J'arrive donc allées de Tourny. Mme C... était seule au magasin. Je suis mes instructions et on m'offre un piano d'occa­sion pour 600 francs. C'était donc 5o francs au-dessous du prix fixé. J'hésitai à le prendre, mais en me rappelant ses propres paroles, je serai là, je conclus le marché à la condition expresse que l'instrument me serait livré le soir même, selon la volonté du bienfaiteur. J'arrivai bien vite à la maison impatient d'avoir une explica­tion au sujet des 5o francs. C'était la première fois que je constatais une irrégularité et comme ma soumission n'était que le résultat d'une infaillibilité qui ne s'était pas démentie, il fallait la continuation absolue et régulière des faits pour entretenir dans mon esprit cette confiance aveugle qui, déjà portait une si grande atteinte à mon libre arbitre. Ce fut presque d'un air triomphant que j'annonçais en entrant à la maison que le piano ne coûtait que 600 francs.
- Je le sais, répondit l'inconnu, mais Madame a fait une erreur.
Le lendemain, en allant régler le compte, le marchand me dit :
- Vous avez fait hier une bonne affaire, ma femme s'est trompée en vous vendant pour 600 francs un piano que j'avais fixé à 650.
Tout entier aux préoccupations des incidents surnaturels je ne songeai pas à répondre et ce fut tout pensif que je repris le chemin de Malbec, où je racontais à l'être mystérieux ce qui venait de m'arriver chez le marchand de pianos. Si les préoccupations mystiques m'avaient fait oublier un instant mon devoir, il ne fut pas longtemps à me le rappeler.
- Je t'avais prévenu, dit-il.
Je compris et je rapportai 5o francs au marchand ne voulant pas bénéficier d'une erreur. A ce moment les connaissances musicales de ma fillette se bornaient au bon roi Dagobert et, cependant lorsqu'elle se mit au piano ses doigts subissant une influence mystérieuse se promenèrent involontairement sur le clavier et jouèrent des airs inconnus dont les accompagnements étaient dans toutes les règles de l'harmonie. Convaincu que l'enfant exécutait des exercices de mémoire, l'accordeur la félicitait sur ses dispositions musicales.
Ce phénomène ne s'est produit que 3 ou 4 fois ; il est vrai que j'avais pris soin de faire quitter le piano à l'enfant dès que je soupçonnais l'approche de l'influence.
L'arbitrage liquidé, d'autres affaires patronnées et conseillées par le protecteur réussirent aussi bien que la première. Le but était toujours l'aumône. Ces opérations n'étaient pas importantes mais, malgré tout, leurs résultats permettaient d'augmenter chaque jour l'importance des secours. L'Esprit s'était réservé (je crois l'avoir dit en commençant), de désigner les personnes à secourir. Quelquefois il indiquait le nom mais plus souvent il se bornait à la rue, au n° et à l'étage.
Il me souvient qu'un dimanche au moment même du déjeuner, j'eus mission d'aller immédiatement visiter une famille vivant dans une maisonnette derrière la rue François-de-Sourdis. La course était longue et malgré les indications qui m'étaient données je parcourus inutilement toutes les rues à peine tracées dans les terrains vagues du quartier et je revins sans avoir pu remplir ma mission.
- Il faut y revenir, me dit l'inconnu, même avant de déjeuner, car si tu peux attendre toi, il n'en est pas de même là-bas, où des enfants ont faim !...
Tous les matins en sortant de chez moi pour me rendre au bureau j'étais chargé d'une bonne oeuvre. Dans telle rue, à tel numéro, à tel étage, la porte à droite, habite une veuve :
- Tu lui remettras 5 francs ou 10 francs.
Au début, craignant de me fourvoyer, ces missions m'embarrassaient surtout lorsqu'il m'envoyait là où il n'y avait aucune apparence de misère mais il ne se trompait jamais. Pour subvenir à ces distributions et exécuter certain projet religieux qu'il m'avouait, tel que la construction d'une chapelle sur le terrain de Malbec, afin d'y perpétuer le souvenir de sa visite, pour subvenir, dis-je à tant de frais, il augmentait sensiblement le chiffre de ses opérations
Il est vrai qu'une affaire engagée par son ordre donnait le soir même un résultat favorable. Et il fallait qu'il en fut rigoureusement ainsi pour maintenir cette confiance aveugle que l'Esprit tenait tant à conserver. C'est alors qu'il changea de tactique dans ses opérations. Au lieu de prendre ses bénéfices à chaque liquidation il s'opposa désormais à toute réalisation. En présence d'un système aussi dangereux je risquai timidement ces réflexions :
- Vous me guidez on ne peut mieux, et je serais déjà trop riche si, comme autrefois, vous profitiez de toutes les fluctuations au lieu de vous opposer à la réalisation des bénéfices.
- C'est vrai, la marge est grande sur vos achats mais notre prospérité n'est que factice puisqu'elle n'est que le résultat de reports et non d'opérations liquidées. C'est-à-dire que par ce système nous prêtons constamment le flanc aux événements.
Ce fut aussi sous cette inspiration mystérieuse que je pris alors l'engagement de désintéresser à bref délai mes commanditaires. Toujours sous la même direction, les affaires me créèrent rapidement une position opulente. Le mouvement ascensionnel des fonds continuait et s'il survenait parfois une légère réaction, elle ne pouvait enlever qu'une faible parcelle des bénéfices déjà acquis sur les positions continuellement reportées. On le voit, le système dangereux des non-réalisations n'avait pas été abandonné. Je m'en plaignais souvent.
C'est ainsi que ler janvier 1870 (qui était, je crois un dimanche), la coulisse ayant côté sur le boulevard 75 fr. 05 et ce cours nous assurant un bénéfice de 30 000 francs sur une seule affaire, je le suppliais de consentir à réaliser. Il refusa énergiquement disant : 
- Les tripotages au jour le jour ne me conviennent pas, je t'ai mis sur une position qui sera ta dernière affaire.
De plus, il affectait une aversion grande pour ma profession qu'il désirait me voir quitter au plus tôt. Il arrivait parfois à l'Esprit de laisser échapper quelques excla­mations, comme des apartés, dont le plus fréquent était celui-ci :
- Quelle lutte
Je n'y prenais point garde et ce n'est qu'après le dénouement tragique de cette affaire, que le souvenir de ces exclamations, pourtant fréquentes, m'est revenu à la mémoire. Les circonstances qui vont suivre démontrent douloureusement que pendant deux ans et demi le but, si patiemment poursuivi, était de capter ma confiance à l'aide de révélations étranges et de tenir en échec mon libre arbitre. Ce résultat acquis, il ne s'agissait plus que d'user d'influence, pour me maintenir sur une position dont l'importance devait être fatale, en présence d'événements prochains et que l'esprit de péné­tration de l'inconnu lui permettait d'entrevoir. Ce fut au milieu de cette prospérité, en quelque sorte d'em­prunt, puisqu'elle ne résultait que d'opérations non réalisées, que je pris possession de ma nouvelle habitation, rue d'Enghien, no 11.
Pendant plusieurs mois, quoique la rente fut impuissante à franchir le cours de 75 francs, fidèle à son système, l'inconnu refusait de liquider. Il fallait donc faire reporter. Mais pouvais-je me plaindre si les fonds restaient stationnaires ? Est-ce que les bénéfices, entrés en caisse par la plus-value, ne semblaient pas une garantie suffisante contre tout événement ? De plus, il me semblait indigne de reprocher à qui je devais en quelque sorte une prospérité inespérée, de ne pas me donner davantage. Ma quiétude était donc absolue lorsqu’éclatèrent les complications avec l'Allemagne. Cependant, dès le premier jour je voulais tout liquider.  
- Voilà tes terreurs qui recommencent comme au moment de l'incident du Luxembourg. Eh bien, je t'affirme que la guerre n'aura pas lieu. Crois donc celui qui est le Maître, et qui depuis bientôt trois ans ne t'a jamais trompé.
Malgré ces affirmations, deux jours après la guerre était décidée et en s'emparant des lignes télégraphiques, le ministre, au coeur léger, acheva ma ruine car il me mettait dans l'impossibilité de communiquer avec Paris et partant de limiter ma perte. Quel que soit le danger de la lutte on succombe avec moins de regrets lorsqu'on a combattu à armes égales, mais ici, sans parler des circonstances étranges, la suppression des communications télégraphiques me plaçait dans les conditions d'un homme préalablement garroté, qu'on jette à la mer et auquel on ferait le reproche de ne pas nager. Dans ce moment critique l'inconnu était absolument muet. Il ne répondait à aucune des questions que je lui adressais. Et pourtant la situation était des plus graves, car vingt années de travail disparaissaient dans le gouffre et de plus, à cette perte matérielle s'ajoutait la douleur d'être contraint de me séparer de ma fille très dangereusement malade. Une dernière explication eut lieu : 
- Voilà donc, dis-je, où vous vouliez en venir. J'ignore qui vous êtes ; je sais seulement que vous avez fait appel aux sentiments honnêtes pour me faire votre victime et que vous n'avez pas craint de mêler le nom de Dieu à vos embûches.
J'étais trop irrité pour comprendre sa réponse aussi je n'ai conservé d'autre souvenir que d'avoir entendu balbutier le mot d'épreuves. Ainsi se termina cette longue et douloureuse  histoire.