Ce mois-ci, nous vous présentons un récit dramatique, celui deL’affaire du grand requin. Bien qu’il fut un puissant médium à matérialisation, produisant des ectoplasmes aussi réels et palpables que des êtres humains, Georges Spriggs n’a eu sa médiumnité réellement mise en lumière qu’à partir d’un événement qui suscita un vif intérêt quand il s’est produit, en décembre 1884, au point qu’Arthur Conan Doyle le décrit, dans son ouvrage La Trilogie Spirite, comme « un cas qui aurait dû transformer la ville aussi sûrement que si un ange avait marché dans Collins Street . »
Le drame
Le récit provient du protagoniste lui-même, Hugh Junor Browne, riche banquier de Melbourne. Ses deux fils, William et Hugh, âgés respectivement de 18 et 20 ans, accompagnés d’un ami marin dénommé Murray, embarquent, contre l’avis de leur mère, pour une croisière en mer à bord d’un yacht, promettant de revenir pour le 14 décembre.
Sans nouvelles au bout de deux jours et après les enquêtes d’usage, le père, qui est heureusement spirite, sollicite le médium Georges Spriggs pour qu’il vienne voir sa femme souffrante, mais sans lui dire la véritable raison afin d’éviter toute influence.
Le 20 décembre 1884, alors qu’il est toujours sans nouvelles tangibles de ses enfants, le père relate les détails très précis donnés par le médium dans la revue « The Harbinger of Lignt » qui paraitra en janvier 1885.
Certains de ces détails ne seront confirmés que dans un second temps, après qu’on eut pêché, à une cinquantaine de kilomètres de Melbourne, un grand requin dans le ventre duquel on a retrouvé le bras du jeune William avec sa montre arrêtée à l’heure exacte du décès. Cette authentification tardive fit couler beaucoup d’encre à l’époque. Ernest Bozzano cite ce cas en détails dans son livre « Les énigmes de la psychométrie et les phénomènes de la télesthésie » :
« Il arriva vers 8 heures du matin, prit la main de ma femme et ne tarda pas à tomber en sommeil médiumnique. Il demanda alors :
- Avez-vous fait une promenade en mer ?
Mme Browne répondit négativement alors Spriggs continua :
- C'est que je vous trouve une grande dépression d'esprit en rapport avec la mer. Durant la nuit, vous avez été très agitée et avez pleuré (ce qui était vrai).
Il compléta son diagnostic et finit en répétant :
- Vos troubles ont un rapport avec la mer.
Alors, pour la première fois, j'ai fait une vague allusion à ce qui me préoccupait, en demandant :
- Percevez-vous donc un naufrage en mer ?
Le médium, toujours entrancé, répondit :
- Je ne puis pas voir s'ils se trouvent dans le monde des Esprits, mais si vous me remettez quelque objet qu'ils ont employé, je pourrai m'en servir pour les retrouver.
J'ai pris un carnet qui appartenait à mes deux enfants et je le remis au médium.
Il commença aussitôt en disant :
- Je les vois dans un petit bateau, dans la boucle que dessine un fleuve, avec, une voile assez grande et l'autre petite déployées au vent. (Ce qui était exact) Ils descendent le fleuve et se préoccupent du moment où ils entreront dans la mer. (Ceci se rapporte évidemment à la Baie de Port Philipp.) Je vois une sorte de tour avec une jetée à leur droite, (probablement le phare et le quai de Williamstown) ils naviguent en pleine mer ; je vois la terre à leur gauche ; de gros nuages se groupent à l'horizon, signe avant-coureur d'une tempête. Maintenant ils se dirigent vers une autre jetée. (Ils ont été vus, en effet, passer au large devant Bristol le 14.) À présent ils s'efforcent de revenir en arrière, mais le vent est contraire ; après avoir louvoyé quelque temps, ils se décident à prendre terre. Quand ils sont près de la côte et qu'il s'agit d'amarrer, il paraît que des difficultés surgissent. (Cela se rapporte vraisemblablement au fait qu'ils se trouvaient sans ancre, l'ayant perdue quelques jours auparavant dans le fleuve Yarra.) Ils parviennent enfin à prendre terre et ils descendent, trempés jusqu'aux os. Ils se promènent en discutant ce qu'il leur convient de faire. (Je suppose qu'ils discutaient l'avis de laisser le bateau là où il était pour rentrer chez eux par la voie de terre ; mais la circonstance que Murray et William avaient laissé à bord leurs bottes les a décidés à revenir à bord.) Je suppose qu'aujourd'hui vous recevrez de leurs nouvelles. (Ce jour-là, nous avons reçu, en effet, la nouvelle qu'on les avait vus, le 14, faire voile au large de Brighton.)
Le matin suivant, le médium vint de nouveau chez moi et la description de ce qu'il voyait continua dans les termes suivants :
- Après s'être reposé à terre, ils reviennent à bord et prennent le large. (En effet, j'ai reçu une dépêche où l'on disait que le 15, à 8 heures, un bateau dont le signalement correspondait à celui de la Yolande avait été vu de Frankstone, en route pour Schnapper Point.) Après quelques heures de voyage, ils se trouvent dans un endroit où surgit à leur gauche une série de rochers menaçants et sinistres. De gros nuages s'accumulent derrière eux, la mer devient agitée ; ils songent de nouveau à prendre terre, mais il est maintenant difficile de découvrir la jetée. Le vent change, les voiles s'agitent violemment ; l'une d'elles se déchire. Celui des trois qui est d'une taille moins élevée est assis au gouvernail et crie aux autres de faire quelque chose pour la voile de devant. (Ces renseignements se rapportent à Murray, qui n'arrivait pas à la haute stature de mes fils, et qui se tenait sans doute au gouvernail et s'occupait de régler la voile principale, pendant que mes fils s'occupaient de l'autre. Le médium ne connaissait nullement Murray et ignorait qu'il était à bord avec mes enfants.) Maintenant ils rencontrent de grandes difficultés dans la manœuvre du cordage. Ceci se produit à un mille et demi environ de la côte, en des eaux profondes ; nous sommes au matin du 15...
(A ce moment il y eut une pause ; j'en ai argué que la catastrophe s'était produite à ce moment-là ce qui m'a été confirmé ensuite par les communications médiumniques avec mes fils.)
La séance
Le matin du 17, nous nous sommes réunis en séance toujours dans l'espoir d'obtenir des renseignements. L'Esprit guide du médium s'est immédiatement manifesté ; il annonça la présence d'un Esprit désincarné depuis quelques jours seulement, qui désirait communiquer ; peu après, William, le plus jeune de mes fils, parvint avec beaucoup de difficultés à parler par la bouche du médium. La voix entrecoupée de pénibles sanglots, il parvint à prononcer ces mots :
- Pardonne-moi, maman ; la faute est toute à moi !
C'était lui en effet, qui avait acheté le bateau, avec Murray ; son frère Hugh s'était décidé à s'embarquer pour leur tenir compagnie...
Dans la soirée du 18, mes deux fils purent se manifester tous les deux..., en confirmant la description du médium sur leur croisière et en remarquant seulement que le naufrage s'était produit plus près de la côte de Mornington que de celle de Cheltenham...
Répondant à une question qui lui fut posée, William dit :
- C'était vers 9 heures du matin le lundi 15 novembre, lorsque la catastrophe se produisit. (Ce qui correspondait parfaitement aux déclarations du médium.)
Mr Hugh Junor Browne, dans un deuxième compte rendu adressé à la même revue, le 21 mars 1885, rapporte que le 31 décembre, le jour où il avait envoyé son premier récit à la revue, il apprit qu'on avait vu le cadavre de William flotter près de Picnic Point, et qu'il lui manquait le bras gauche et une partie du droit. Le 23 décembre, l'analyse nécroscopique du cadavre montra qu'on n'observait pas sur lui des traces de blessures s'étant produites avant la mort.
Le 27 décembre, on captura un requin à Frankstone (à 27 milles de Melbourne) on trouva dans son estomac le bras droit de William une partie de son gilet avec la montre en or, les clefs, la pipe et 12 shillings en argent. La montre était arrêtée sur 9 heures, exactement l'heure indiquée par le médium Spriggs neuf jours avant.
En réponse à l'observation d'un critique qui avait remarqué que les fils de M. Browne, dans leurs communications médiumniques, n'avaient rien dit de la mutilation subie par l'un des cadavres, Mr.
Browne se décida à communiquer ce qui suit.
« Durant la manifestation médiumnique de mon fils Hugh, à un certain moment, il amena son frère dans un coin d'où sa mère ne pouvait pas entendre et lui annonça que le corps de William avait
subi la mutilation dont il s'agit, due à un requin. Je n'ai pas fait mention de ce douloureux incident dans mon rapport pour des motifs évidents, c'est-à-dire, pour éviter qu'il vint à connaissance de la
mère, qui lisait toujours la revue dans laquelle le rapport a été publié.»