Ce mois-ci, nous vous présentons Voyage spirite au Brésil Episode 1 - Uberaba. Cet article fait partie d’une série décrivant le voyage de trois spirites, deux québécois et un lyonnais, à travers le Brésil « spirite ».
Tout juste arrivé à l’aéroport de Sao Paulo, notre première destination spirite fut Uberaba, à mi-chemin entre Sao Paulo et Brasilia. Sur la route, à Riberão Preto nous récupérons un ami brésilien : Matheus Artioli Firmino. Actuellement en dernière année d’étude de médecine, Matheus est né et a été élevé dans une famille spirite et espérantophone.
Sa compagnie, et nos conversations, tantôt en français, portugais ou espéranto, donnent un air international à notre petit convoi. Après cinq heures de route, nous atteignons enfin Uberaba, pays du zébu et du rodéo.
La température est proche de quarante degrés. L’autoroute s’est transformé en chemin de terre, et, derrière les voitures, se dressent des nuages de poussière qui donnent une impression de Far-West. Les premières maisons de la banlieue d’Uberaba sont typiques de notre vision de l’Amérique latine : simples aux couleurs pastels, sans étage, et avec une large rue pour les voitures.
Sur la première maison à la couleur blanche, il est écrit en bleu pastel en gros sur la façade : « Casa Espírita Emmanuel »[1].
C’est à la fois une joie et aussi un choc de constater que le premier bâtiment que nous rencontrons est un centre spirite.
A peine sommes nous remis de notre émotion que, une centaine de mètres plus loin, nous pouvons lire sur une autre maison dans le même bleu pastel : « Casa Espírita Nosso Lar ». Eh oui ! cette ville de 250 000 habitants, qui compte 300 groupes spirites selon ses habitants, pourrait figurer comme capitale du Spiritisme : les centres spirites sont présents dans tous les quartiers, parfois les uns à la suite des autres !
On trouve plus de « Casa Espírita » que « Casa de carne »[2]et pourtant nous sommes dans la capitale du zébu ! Cette omniprésence du Spiritisme ici n’est pas fortuite : c’est à Uberaba qu’a vécu le plus grand médium brésilien, Chico Xavier, de 1959 jusqu’à son décès en 2002. Pour notre première visite, nous avons choisi de visiter la « Casa Espírita Pedro e Paulo ». Selon les personnes et les médiums qui les composent, les centres spirites ont tendance à approfondir certaines activités ou certains types de travaux médiumniques ce groupe est particulièrement reconnu pour sa psychographie.
Le centre est composé d’une grande salle de conférence principale, d’une bibliothèque, d’une cuisine et de plusieurs petites chambres autour d’un jardin. Ici sont logés les plus nécessiteux, infirmes ou vieillards, abandonnés par la société.
Le centre organise trois types de réunion : les réunions d’assistance spirituelle permettant d’aider les Esprits perdus ou en difficulté, les réunions de désobsession, que nous retrouvons dans tous les centres que nous visiterons, et qui permettent de moraliser des Esprits déséquilibrés, ayant souvent pour but de détourner les médiums de leur but ou de provoquer la zizanie au sein des centres, et les réunions publiques auxquelles nous sommes venus assister. Il est dimanche, la séance commence à 6 heures du matin. Après que se soient inscrites les personnes souhaitant recevoir un message d’un proche décédé, la séance débute. Après une prière, différents médiums inspirés développent les principes philosophiques et moraux du Spiritisme, pendant que le médium psychographe reçoit les messages attendus. A la fin de la séance, le médium lit les communications reçues, communications de plusieurs pages recelant de détails qui touchent profondément l’assistance.
Je m’étonne que, alors que le médium lit à haute voix les messages, une autre personne enregistre sur cassette audio la parole du médium avant de la donner au destinataire du message.
On me rappelle alors qu’ici la majorité des personnes sont analphabètes et que la cassette audio est le seul moyen pour eux de pouvoir écouter à nouveau les messages qui leur sont destinés.
A la fin de la lecture, il est procédé à une distribution de nourriture auprès de tous les nécessiteux. L’argent nécessaire à cette distribution gratuite et aux soins offerts aux plus démunis provient de la vente de dizaine de milliers d’exemplaires de livres psychographiés par le médium, Carlos Baccelli.
Celui-ci a longtemps travaillé avec Chico Xavier et est notamment l’auteur d’une série de vingt ouvrages notoires relatifs à l’éducation médiumnique, dont le premier s’intitule ABC de la médiumnité.
L’Esprit-auteur de ces ouvrages se nomme Dr Odilon Fernandez et est le responsable d’une colonie d’Esprits qui se préparent à une incarnation de médiums. Un des derniers ouvrages de Baccelli, Na proxima dimensão, vendu à plus de 60 000 exemplaires, a été beaucoup critiqué parmi les spirites comme étant l’œuvre d’un Esprit trompeur.
Nous n’avons pas lu cet ouvrage et nous n’avons pas de jugement sur le sujet. Carlos Baccelli nous explique que dans son travail médiumnique, avant l’écriture d’un nouveau livre, il sent la présence de l’Esprit-auteur pendant plusieurs semaines. Il ressent la volonté de cet Esprit et il décide ensuite si oui ou non il permettra à cet Esprit d’écrire, ne sachant pas d’avance ce que sera le résultat. Les commentaires de Carlos Baccelli nous rappellent qu’aucun médium, même le plus éduqué, n’est à l’abri de l’influence d’Esprits trompeurs, et c’est un signe d’humilité de la part du médium de reconnaître qu’il peut être tromper à tout moment.
Trop vite les spirites ont tendance à montrer du doigt et à isoler un médium qui s’égare alors que cette épreuve est le lot de tous les médiums et que c’est, au contraire, à ce moment qu’ils ont besoin de soutien.
Concernant le travail d’écriture médiumnique, Carlos Baccelli nous explique que, s’il est assez facile de capter le message d’un guide spirituel, c’est un véritable défi de capter des messages personnels ou d’écrire un livre. Le médium doit cultiver une discipline et une rigueur de travail soutenues car la grande majorité des médiums vivent sous l’emprise de multiples influences plus ou moins négatives et n’arrivent pas à rentrer en parfait syntonie avec un Esprit communicant. « Il faut de persévérance et beaucoup de temps pour psychographier des messages. Les exercices de préparatoires peuvent durer un, deux, cinq, dix ans, etc… »
Chico Xavier lui-même, bien qu’ayant déjà psychographié de nombreux livres, a attendu près de quarante ans avant d’écrire et de donner des messages personnels.
Cet exercice est de loin le plus difficile car il est difficile de refléter fidèlement les pensées de l’Esprit.
Pour Carlos Baccelli, lorsque 50 % d’un message a pour origine l’Esprit, on peut considérer que le médium est un très bon médium. Voilà qui vient bouleverser les croyances populaires de nos sociétés, et même parfois des spirites, qui perçoivent trop souvent le médium comme infaillible.
Pour bien traduire la pensée de l’Esprit, Carlos Baccelli recommande de développer d’abord la psychophonie lors de l’assistance spirituelle. Celle-ci nous aide à ressentir et à identifier les Esprits, et contribue donc à affiner notre discernement. « C’est une étape très importante pour pouvoir bien psychographier. Ceux qui font la meilleure psychophonie sont ceux qui font la meilleure psychographie ».
Notre compagnon de route brésilien nous apporte un complément intéressant quant à ce type de réunion : dans son centre à Riberão Preto, lors des conférences, les médiums psychographes sont situés à l’écart du publique dans une autre pièce.
Les messages reçus sont ensuite distribuer par une tierce personne afin d’éviter l’identification du médium pour chaque message.
Il y a toujours des médiums plus développés que d’autres et cette méthode permet d’éviter le personnalisme et notamment qu’un médium en particulier soit sollicité par le public. Les Esprits obsesseurs ont alors moins de prise sur les médiums. Autre avantage, dans le cas où il y aurait un médium reconnu, ce procédé permettrait d’assurer la pérennité du centre après son décès – le public ne sachant pas quelle est l’origine des messages, il n’y aurait pas de désertions après le départ d’un médium.
Avant de partir, Carlos Baccelli nous rappelle que le plus important est de pratiquer la médiumnité avec Jésus. Ce conseil pourrait choquer un spirite de nos sociétés. Il est donc important de le remplacer dans son contexte. Au Brésil, l’analphabétisation est très importante et beaucoup de médiums ne peuvent pas s’instruire. Il est donc nécessaire d’avoir recours à des images qui marquent. La grande majorité des Brésiliens sont très attachés à la personne de Jésus, et, en pensant à lui, les médiums analphabètes élèvent leurs pensées vers son message : c’est-à-dire l’amour du prochain.
Il est bien sûr évident que dans nos sociétés, il semblerait prétentieux de prétendre pratiquer la médiumnité avec Jésus. Ceci ne pourrait qu’apporter de la confusion en laissant croire qu’un médium qui travaille sans Jésus ne travaille pas bien alors que l’essentiel n’est pas la personne de Jésus, mais son message, c’est-à-dire l’amour universel, et cela chaque médium peut y aspirer, quelles que soient ses croyances. De plus, cette image sert aussi d'avertissement aux milliers de médiums rusés, payants, charlatans, profiteurs, qui pullulent au Brésil – Si le Brésil est le théâtre des plus importantes manifestations spirites de notre époque, il faut considérer que le plus grand bien côtoie très souvent les pires abus. Sur l’invitation de Domingas, nous nous dirigeons ensuite vers la « Casa Espírita Jésus de Nazareth », autre petit centre de la banlieue de Uberaba. Après la réunion publique, les membres du centre sont heureux de notre présence et nous reçoivent chaleureusement comme seuls les Brésiliens savent le faire. Nous visitons la cuisine, où mijotent trois énormes marmites de spaghetti bolognaise qui seront distribués peu après notre arrivée aux plus nécessiteux, ainsi que des briques de lait et du pain.
C’est ainsi près de 200 personnes qui sont restaurés par ce modeste centre. Etant donné la multitude de centres spirites à travers la ville, qui tous assurent un service d’assistance sociale de ce type, il est sidérant d’extrapoler que c’est certainement une personne sur dix qui est assisté par les centres spirites.
Là où l’Etat fait défaut, les spirites ont créé un véritable système de redistribution sociale où les plus aisés donnent de bon cœur leur superflu aux centres spirites qui vont le redistribuer bénévolement aux plus modestes.
Ce système ne peut fonctionner que parce que tous ont confiance dans le désintéressement et l’efficacité que les spirites ont su prouver au fil des années.
La visite continue, une petite salle a été aménagée avec du matériel de dentiste qui a été donné au centre suite au décès d’un dentiste d’Uberaba. Là, quatre dentistes bénévoles se relaient chaque jour après leur journée de travail, pour offrir gratuitement leur service à ceux qui n’ont pas de protection sociale. Dans la pièce à côté, nous découvrons une petite salle de consultation médicale fonctionnant sur le même principe.
A côté, nous trouvons une « salle de cure » contenant plusieurs lits. C’est ici que Domingas et son équipe canalisent leur médiumnité à effet physique vers la cure des maladies désespérées, le plus souvent des cancers, et obtiennent des « prodiges ». Un des médecins spirituels, dans un livre psychographié à travers la médium Domingas, se présente comme étant un ancien médecin allemand, fusillé pendant la deuxième guerre mondiale pour avoir refuser des collaborer avec les nazis. La démarche sérieuse et les résultats exceptionnels de ce groupe leur ont permis de s’attirer la sympathie des médecins et des dentistes qui viennent ici offrir gratuitement leurs services.
Dans une autre pièce, une crèche est en cours de préparation. En effet, pour les mères seules il est important de pouvoir travailler pour élever leur enfant mais cela n’est possible qu’à condition de pouvoir le faire garder. Seules les crèches spirites offrent ce service gratuitement. Les spirites pensent souvent manquer de moyens financiers dans leurs associations mais la visite de ce petit centre de banlieue nous pousse à la réflexion. Nous sommes saisis par les réalisations de ce petit groupe dont les ressources financières des membres sont bien négligeables par rapport aux spirites français ou québécois.
L’après-midi même, nous participons volontiers à un Bingo organisé par le centre. Celui-ci a lieu dans le jardin de l’un des bénévoles afin de ne pas mélanger « jeu » et activités spirites. Ce Bingo, réunissant les personnes les plus aisés du quartier est un moyen astucieux pour récolter un peu d’argent pour l’assistance sociale. La grille coûte 1 real (30 centimes d’euros) et permet au vainqueur de remporter des prix fabriqués artisanalement. Les jus de fruits, ô combien délicieux, sont distribués à volonté ainsi que quelques friandises brésiliennes. L’ambiance ici est inoubliable, rires et chaleur brésilienne sont au rendez-vous. Avant de partir d’Uberaba nous souhaitons visiter le cimetière où un monument a été érigé à la mémoire de Chico Xavier.
A l’entrée du cimetière nous découvrons étonné une petite boîte aux lettres avec les inscriptions : « Mensagem Espírita : Retire a sua » (messages spirites : prenez le votre), contenant des messages consolateurs psychographiés. Difficile d’imaginer cela en France ou au Québec !
Nous restons quelques instants devant le monument en l’honneur de Chico Xavier mais nous sommes bien vite obligés de rentrer, la température devenant insoutenable dans ce cimetière presque dépourvus d’arbre, et donc d’ombre.
Nous passons ensuite devant la « Casa da Prece »[3], le centre où Chico Xavier travaillait puis, tout près, devant sa maison, transformée depuis en musée spirite. Enfin nous retournons vers Sao Paulo. En quittant Uberaba, nous nous sentons à la fois heureux d’avoir pu voir le Spiritisme en action, et à la fois le cœur gros de quitter tous ces gens, dont la simplicité et l’accueil ont été si touchants.
Voilà un exemple enrichissant qu’il sera toujours agréable au souvenir.
Vous trouverez la suite du voyage dans les prochains sujets du mois.
Le tombeau de Chico
[1] Maison spirite Emmanuel.
[2] Maison de la viande : restaurant où l'on peut goûter les viandes locales.
[3]Maison de la prière