Ce mois-ci, nous vous présentons une conférence sur le thème du Suicide et spiritualité Elle a été donnée au congrès Médecine et spiritualité au congrès de Toulouse en 2016 par le docteur Olfa Mandhouj.
Introduction
Je vous rappelle qu'avant le développement de la médecine, les gens se soignaient par les guérisseurs. Les chamanes étaient les anciens guérisseurs et ils procédaient à des rituels religieux. La religion est donc la plus ancienne forme de pratique médicale et elle a joué un rôle important dans la vie humaine probablement depuis plus de 500 000 ans.
Au 19ème siècle, il y a eu une séparation nette entre la science et la religion suite à différentes polémiques concernant leur incompatibilité : la religion n'ayant plus sa place en médecine.
Depuis, le modèle médical est devenu le modèle bio médical, c’est-à-dire qu’on établit un diagnostic à partir de certains symptômes, puis, on classe ces diagnostics en maladie. Ensuite, on cherche la cause de la maladie et on va la soigner.
C'est très simple, s'il s'agit, par exemple, d'une maladie infectieuse, on cherche le germe pour trouver l'antibiotique. Ce modèle est largement défendu depuis le 19ème siècle mais il ne fonctionne pas toujours avec la composante sociale, environnementale ou psychologique.
Un nouvel intérêt
A partir de 1990, un nouvel intérêt de la médecine se développe pour rechercher la relation entre la science et la spiritualité. Des équipes scientifiques, qui différencient la spiritualité et la religion, ; décrivent la religion comme une entité sociale organisée et la spiritualité plutôt comme une relation de transcendance. La religion a ses limites, ses frontières, c'est une entité très organisée mais la spiritualité est un concept très complexe qui est difficile à définir et qui est multi dimensionnel.
Dans le monde, il y a plus de 90% de personnes qui ont des pratiques religieuses. Sur les 238 pays du monde, il y a seulement deux pays où le taux d'athéisme est supérieur à 5 %. En France, ce taux se situe entre 30 à 35 %.
Qu'en dit la psychiatrie ?
Le regard psychiatrique sur la spiritualité est marqué par de grandes méfiances. Freud a toujours dit que la religion est une épreuve. Albert Ellis, qui a beaucoup influencé les thérapies comportementales et cognitives, disait que moins l'individu s'investit dans la religion plus il est sain d'un point de vue émotionnel. Quant à AJ. Mandel, il attribue le phénomène religieux à un dysfonctionnement du lobe temporel et de son côté, W. Waters disait que la doctrine chrétienne conduit à des troubles schizo-affectifs.
En psychiatrie, nous avons beaucoup de patients schizophrènes avec des crises délirantes où ils peuvent se prendre pour Dieu, pour Jésus. D'autres ont des hallucinations où ils disent qu'ils parlent avec Dieu ou avec les démons. Ces patients chroniques, dont la maladie est symptomatique, sont considérés comme des délires mystiques ce qui entrainent l'augmentation des traitements. Le délire mystique est un des délires le plus difficile à traiter et le plus résistant.
Des études ont été faites, auprès de psychiatres qui ont moins d'affiliation et d'activité religieuse par rapport à la population en générale. Ils trouvent que la religion est irrationnelle, et même ils la considèrent comme un danger pour les patients. Par conséquent, c'est un sujet qu'ils évitent d'aborder car ils sentent intrusifs dans la vie privée du patient. La spiritualité, c'est une affaire personnelle du patient : on n’en parle pas, c’est presque un sujet tabou.
Pourquoi ce travail ?
A partir de 2008, j’ai travaillé dans ce domaine et j’ai décidé d’en faire le sujet de mon doctorat. Beaucoup d'études ont été faites à partir de 1990 surtout en Allemagne et en Suisse. Je suis donc allée en Suisse et j’ai rencontré une psychologue et son équipe très motivées mais je n'étais pas très convaincue par ce qu'elle faisait. Cependant, j'ai collaboré et la manière dont j'abordais le chemin de la spiritualité l'a intéressée.
Avant ce choix, j’avais effectué des recherches en littérature mais dans le contexte français, laïque, multiculturel, multireligieux et parfois phobique aucune étude ne correspondait.
Choix des outils de mesure de la spiritualité et de la religion
Pour faire des études scientifiques, il faut faire des mesures parce que pour travailler avec les sites académiques, il faut des chiffres, des résultats pour faire des comparaisons. On ne peut pas contourner cette méthodologie classique.
Un jour, je tombe sur le questionnaire WHOQOL (world health organisation, quality of life). C'est un questionnaire sur la qualité de vie, qui s’organise autour de six domaines : physique, psychologique, indépendance, social, environnemental et spirituel. Il y avait donc des questions qui portaient sur la spiritualité.
En 2006, une équipe de l'OMS développe à partir du WHOQOL, le WHOQOL-SRPB (Spirituality religion personal beliefs) afin de mesurer la spiritualité, la religion et les croyances personnelles. Cette équipe a validé ce questionnaire auprès 500 000 participants et dans 15 ou 18 pays, sauf en France. Il fallait donc le valider alors je me suis engagée dans ce travail. Il y a 32 questions qui mesurent huit domaines : le sens de la vie, la puissance spirituelle, l'espoir et l'optimisme, la paix et la sérénité, l'émerveillement, la connexion à un être ou à une force spirituelle, la foi et la plénitude.
En 2012, nous avons mis en place ce questionnaire sur un site internet et nous avons eu 561 participants ce qui a permis de valider nos résultats.
Spiritualité, religion et suicide
Le suicide touche environ un million de personnes par an, ce qui représente un suicide toutes les 40 secondes. En France, il y en a 17% de suicides pour 100 000 personnes par an, avec un pourcentage 25 chez les hommes et chez les femmes. En Europe, nous nous situons en 3ème position. Les facteurs de risque de suicide sont essentiellement dus aux maladies mentales, aux désordres psycho-sociaux et aux addictions.
L'objectif de notre étude était d'étudier la relation entre la spiritualité, la religion et le suicide chez des personnes hospitalisées suite à une tentative de suicide. J'ai mené cette étude entre avril et décembre 2012, dans une unité de crise psychiatrique avec une hospitalisation de 72 heures, au centre hospitalier de Versailles. 88 personnes ont répondu. Sur ces 88 personnes, la majorité avait un état dépressif sévère et beaucoup consommaient du tabac et de l'alcool.
En conclusion, les suicidés ont une spiritualité très faible par rapport à la population générale. Ils sont souvent sans emploi, célibataires ou séparés et rencontrent des problèmes familiaux, ou une dépendance à l'alcool et au tabac. Ils ont souvent en plus des problèmes d'adaptation et des troubles dépressifs avec des problèmes psychologiques.
Si dans la littérature, il est démontré que la spiritualité est un facteur protecteur contre le suicide cela ne l’est pas en médecine.
Résultats et commentaires
Pendant 18 mois, nous avons suivi un petit groupe afin de voir leurs évolutions. 26% des personnes du groupe ont refait une tentative de suicide dans les 18 mois. Nous avons donc essayé de comprendre la raison qui les différenciaient des autres : la vie n’avait plus de sens pour eux.
La spiritualité chez les détenus
En 2011, comme je travaillais dans la maison du Bois d'Arcy dans l’ouest parisien, nous avons utilisé ce questionnaire. Notre objectif était d’étudier la spiritualité et de la religion des détenus ainsi que la relation entre la spiritualité et le suicide.
J'ai questionné 30 détenus et cela a été laborieux car l’étude durait une heure et demie par personne, voire deux heures et ils n’étaient pas très motivés. L’âge moyen était de 31 ans avec pour la majorité un niveau de CAP. 7% n'avaient pas de profession, les autres étaient ouvriers, cuisiniers, serruriers. Le temps moyen d'incarcération était de 3 ans à peu près pour des délits comme les vols, la violence, l’alcool au volant.
Au centre régional psychologique, ils venaient consulter pour des troubles de l'humeur, des dépressions, des troubles de l'adaptation. Pour beaucoup, il y a le choc carcéral avec des problèmes fréquents de sommeil. On note un nombre élevé d'addictions au tabac, au cannabis et à la dépendance alcoolique.
Les résultats
La comparaison entre les détenus et la population générale est très différente surtout en ce qui concerne les suicidés. Le sens de la vie, la plénitude, la paix et la sérénité se situent très bas dans l'échelle. Cependant, la foi les aide beaucoup. Les détenus ont dit que les croyances les aident à faire face aux difficultés et les protègent du suicide. Plus de 90% ont exprimé de grandes difficultés à définir la spiritualité, le sens de la vie, la religion et la représentation de Dieu. 40% pensent que la religion est la chose la plus importante de leur vie, cela leur permet d'aider les autres, de supporter l'incarcération, de respecter les limites et de développer certaines valeurs. Pour 7 %, la religion est une représentation très négative : elle est la cause des guerres, des peurs, c'est un mauvais héritage des parents. 36 % ont une vision plutôt neutre.
La cohabitation des religions est compliquée en prison, beaucoup disent que c'est le principal sujet de discussion pendant les promenades lorsqu'ils se voient. Il y a une vraie séparation dans les groupes : les musulmans sont seuls, les juifs aussi et ainsi que les catholiques et les personnes athées. Chaque groupe parle de sa croyance. Ils ont peur d'échanger entre groupes. Beaucoup disent qu'ils ont du mal à continuer leurs pratiques pendant la durée de la détention. A cause de cela, il y a beaucoup de conflits avec les surveillants.
Pour conclure, l'investissement religieux des détenus semble être associé à une réduction du risque de suicide, ainsi que celui d’une rechute carcérale. 40 % des détenus trouvent que la spiritualité et la religiosité sont bénéfiques.
Une collaboration entre les cliniciens, les représentants des religions et l'administration carcérale permet aux détenus de mieux utiliser leurs ressources spirituelles afin d'éviter certains conflits.
Conclusion
En résumé, la santé est fortement influencée par la culture de l'individu, ses relations personnelles intimes, son contexte social, la qualité de ses relations sociales, ses idées philosophiques et le sens qu'il donne à sa vie. La maladie ne peut pas être considérée uniquement dans le corps physique.
Beaucoup d'individus souffrant de problèmes psychologiques, émotionnels, de vie stressante et se réfugient dans la religion afin d'y trouver du réconfort, de l'espoir, un sens à leur vie. Mais parfois, les effets sont néfastes car il y a dans certains groupes religieux, une grande rigidité qui augmente l'angoisse des personnes, ce qui complique leur souffrance psychologique et amène des sentiments de culpabilité et des peurs.
Les croyances spirituelles et religieuses encouragent les sentiments et les valeurs positives comme l'amour, l'honnêteté, la joie, la paix, l'espoir, la patience, la générosité, le pardon, la gentillesse, la bonté, la fidélité, la compassion, etc. Ces valeurs sont bénéfiques et ont des effets positifs sur la santé physique et psychologique ainsi que sur les interactions sociales.
Mais il y a aussi des effets négatifs, dans certains contextes, imputés aux croyances spirituelles et religieuses : la rigidité, la torture, les guerres, les meurtres, la haine, les préjudices, etc., ce qui fait séparer les populations, de dissocier les communautés, favoriser l'exclusion et par conséquent donner des effets négatifs sur la santé.
Actuellement
Le rôle des médecins est :
- de comprendre les problèmes spirituels de ses patients qui peuvent être reliés à leurs problèmes de santé,
- de connaître un minimum de choses sur les différentes cultures, croyances et pratiques,
- de poser des questions sur la spiritualité des patients et d'en parler de manière confortable, sans jugement car les patients sont très ouverts et demandeurs.
Les résultats de ces travaux ont montré que la spiritualité est une ressource importante pour faire face aux difficultés de la vie, pour donner de l'espoir et de l'optimisme. Le manque de sens à la vie est le principal facteur des suicides et des récidives carcérales.
L'ensemble de ces travaux participe à une meilleure connaissance du lien entre la spiritualité et la psychiatrie particulièrement difficile à aborder en France compte tenu des réserves de nombreux praticiens.
Pour réaliser des rêves, il faut en avoir ; aussi je me permets d'imaginer dans le futur, le développement d'une approche thérapeutique internationalement reconnue qui va inclure les dimensions biomédicales, philosophiques, sociologiques et spirituelles dans la prise en charge des patients. Avançons donc ensemble dans les valeurs d'amour, de pardon, de compassion, de joie et de bonheur.