Ce mois-ci, nous vous présentons un article paru dans le journal régional, le progrès sur le Spiritisme : ces Lyonnais communiquent avec les morts. Ecrit par Benoit Mouget, cet exposé est paru en novembre 2019, puis en janvier 2020. Peut-on vraiment communiquer avec l’au-delà ? On y croit ou non mais à Lyon, ville d’occultisme et du mystérieux Allan Kardec (1804-1869), on ne badine pas avec les Esprits.
Rencontre à Bron, dans le centre de spiritisme qui porte son nom.
Dans un centre de spiritisme brondillant, certains rhodaniens prêchent la bonne parole d'Allan Kardec, un lyonnais qui a codifié la discipline au 19ème siècle. De l’extérieur, c’est un bâtiment très banal, que l’on devine à peine derrière un petit immeuble et une maison des années 70. À l’intérieur, c’est autre chose.
Ce qui frappe le regard, d’entrée, c’est cette formule en grosses lettres placardée au mur : « Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi », la doctrine d’Allan Kardec. L’empreinte du pédagogue lyonnais est partout et, déjà, l’imagination nous joue des tours : on jurerait que son portrait nous observe.
Passerelle avec l’autre monde
C’est ici, dans une grande salle aux chaises à l’alignement parfait, que l’on pratique des réunions d’aide spirituelle, les fameuses séances de spiritisme. Une sorte de passerelle avec « l’autre monde », celui des « âmes de ceux qui ont vécu sur la terre […], dépouillées de leur enveloppe corporelle ». Bref, le monde des morts.
De quoi laisser perplexe, pour ne pas dire de quoi faire peur. « Il n’y a rien de terrifiant ici, mais au contraire beaucoup de bienveillance. Ceux qui pourraient avoir peur, c’est ceux qui n’ont pas la connaissance », tranche Gilles Fernandez, le président de l’association.
Qui est absolument convaincu que non seulement « les Esprits existent », mais qu’ils « agissent sur nous », consciemment ou pas, sur tous les pans de notre quotidien.
Le spiritisme ne doit pas être considéré, à l’entendre, d’un point de vue paranormal ou sensationnel, « dont une petite partie de pratiquants essaie de tirer profit ». Il insiste, « c’est un enseignement moral »
Des milliers de sympathisants
« Nous sommes là pour informer, dédramatiser, supprimer les peurs liées à la mort », martèle cet homme qui se dit « rationnel » et dont l’association revendique une soixantaine d’adhérents et des milliers de sympathisants dans la région lyonnaise (ils sont une vingtaine de millions dans le monde).
Leur but : diffuser, à grand renfort de réunions et de newsletters, la pensée de celui qui codifia en 1857 le spiritisme, le toujours très influent Allan Kardec.
Ces « disciples » promettent, à qui veut bien y croire, d’apporter nombre de réponses à nos questions existentielles : y a-t-il une vie après la mort ? Où sont nos défunts ? Peut-on entrer en contact avec eux ? Pour eux, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
Pas de tables tournantes, de planche ouija ni de poupée maléfique au centre brondillant Allan Kardec. Ça, c’est pour les films. Ici, des médiums se recueillent dans un dépouillement total autour d’un président de séance, accueillant les fluides « pour se détacher des préoccupations terrestres ».
On y vient souvent avec la photo d’un proche disparu, dans l’espoir d’entrer en contact avec lui. « Plus un médium va loin dans sa transe, plus il se détache de son corps, plus il donne un message précis. »
Esprit es-tu là ? Il parait que oui. Les médiums psychographes noircissent des feuilles pour transcrire ces messages de l’autre monde. Les psychophones, eux, transmettent par la voix des communications d’outre-tombe, sans avoir forcément conscience de ce qu’ils disent.
Dans le public, en temps ordinaire, « il y a tous les profils et toutes les classes sociales. Beaucoup viennent pour être rassurés sur le devenir d’un défunt et avoir un message. On a aussi des curieux et des sceptiques. Et puis il y a les convaincus, ceux qui viennent chercher du réconfort, du recueillement. » Croire ou ne pas croire, telle et la question. Mais à Lyon, capitale de l’occultisme, les spirites n’ont pas fini de faire parler les morts.
Il est assez peu connu en France et pourtant… Pour se faire une idée de la popularité phénoménale du Lyonnais Allan Kardec (1804-1869), il suffit d’aller faire tour au Père Lachaise (Paris 20ème), le cimetière le plus visité au monde (3,5 millions de visiteurs par an).
Aux côtés de Molière, Édith Piaf et Jim Morrison, sa tombe est la plus fleurie et magnétise en permanence une foule de curieux et/ou d’adorateurs. Chacun pose la main sur le socle du buste en bronze, qui aurait le pouvoir « d’exaucer les souhaits ».
Le spiritisme, dont Kardec est le codificateur, croit en l’idée qu’il existe une vie après la mort, que l’on se réincarne et qu’il existe des « ponts » pour communiquer avec les esprits.
Il a grandi au bord du Rhône
Allan Kardec est le Français le plus connu au Brésil, où des millions de personnes, toutes classes sociales confondues, s’identifient au lyonnais. Il y a des timbres à son effigie, des rues à son nom et ses écrits figurent toujours en haut des best-sellers. Encore aujourd’hui, son prénom figure dans le top 100 des plus donnés. Il y a même un footballeur qui porte son nom, Alan Kardec (avec un seul l), dont l’esprit hante encore les supporters de l’OL : il avait marqué face à leur équipe en Ligue des champions (en novembre 2010) sous le maillot du Benfica Lisbonne.
L’héritage kardéciste est colossal et continue à alimenter la production artistique et intellectuelle : film Netflix, BD, telenovelas, conférences internationales, livres vendus par millions, revue spirite éditée en plusieurs langues…
« Le rayonnement du génie français à l’étranger n’est pas toujours dû en premier lieu, comme les Français le supposent, à Voltaire, à Rousseau, à la Révolution, à Napoléon ou à Pasteur, mais parfois à Allan Kardec et à son spiritisme », écrit l’auteur Jacques Lantier dans Le Spiritisme ou l‘aventure d’une croyance (1971).
Que reste-t-il de l’engouement pour le spiritisme ?
« Plus qu’on ne le croit. Le spiritisme historique, tel qu’il a été codifié sous le Second Empire par le lyonnais d’origine Hyppolite Rivail, alias Allan Kardec, notamment dans son Livre des Esprits (1857), ne pèse pas grand-chose, même si sa tombe (une sorte de dolmen) reste une des plus visitées du Père-Lachaise (notamment par des Brésiliens où le spiritisme a pignon sur rue). Mais tout un néo-spiritisme diffus est largement présent dans la culture contemporaine (sans le nom généralement), en lien avec l’intérêt pour la « spiritualité » et les « Near Death Experiences » ou « Expériences de mort imminente », venues des États-Unis dans les années 1970. Quand on se promène sur le Web, on est surpris de voir le succès des conférences sur ces sujets ou des livres comme ceux de Stéphane Allix. »
Quelles sont ses différentes pratiques ?
« Historiquement, le phénomène a commencé par les tables dites “tournantes” et “parlantes”, venues des États-Unis (déjà) en 1853-1854. Toute l’Europe ou presque a fait tourner les tables à ce moment-là, de Victor Hugo en exil à Jersey à la reine Victoria, en passant par le moindre petit bourgeois de province. C’est passé de mode, mais cela reste une sorte de passage obligé pour les adolescents et le cinéma contemporain est plein de fantômes. Les techniques ont évolué mais le principe (la communication avec les morts) reste le même. La voyance, plus ou moins relookée sur le mode « psy », est largement répandue elle aussi. »
Comment « s’imbrique » le spiritisme avec les religions ?
« Historiquement, chez Kardec notamment, le spiritisme se voulait “chrétien” (sans être reconnu par les Eglises). Mais il prétendait être compatible avec toutes les religions, et donc ne pas leur faire de concurrence. En fait, il y a, dans le champ du spiritisme, des courants qui restent religieux (au Brésil par exemple) et d’autres qui se veulent plus “rationalistes”, voire qui sont assez hostiles aux Eglises.»
Illuminés, sorciers, les spirites sont habitués aux critiques
Leurs pratiques peuvent interpeller, mais les centres spirites ont pignon sur rue et ne sont pas considérés comme des « sectes », expression qui fait bondir les initiés. Être vus par certains comme des « illuminés », voire des « charlatans », les spirites lyonnais en ont pris leur parti depuis longtemps. « Le pire, parfois, c’est dans nos propres familles. Certains ne comprennent pas », soupire Gilles Fernandez.
« Mais nous ne sommes ni une secte, ni une religion. Chez nous, il n’y a pas de culte, pas de dogme, on ne fait pas de prosélytisme. » Si, de tout temps, de nombreux scientifiques ont donné du crédit au spiritisme, d‘autres dénoncent ses effets néfastes sur « la santé mentale » des pratiquants. Et il y a, bien sûr, ceux qui n’y croient pas du tout. L’Église, elle, a interdit aux catholiques de participer à des séances spirites en 1917.