Ce mois-ci, nous vous présentons la suite du Roman de l'avenir par Eugène Bonnemère. L'auteur est un Esprit qui dicte à un jeune médium ces pages. Il va sans dire que nous laissons à l'Esprit la responsabilité des opinions émises et nous vous proposons de les découvrir. Ces extraits traitent de l’hallucination et l’inspiration.
I - Les hallucinés
Nous avons peu de chose à dire sur l'hallucination, état provoqué par une cause morale qui influe sur le physique, et auquel se montrent plus volontiers accessibles les natures nerveuses, toujours plus promptes à s'impressionner. Les femmes surtout, par leur organisation intime, sont portées à l'exaltation, et la fièvre se présente plus souvent chez elles, accompagnée de délire qui prend les apparences de la folie momentanée.
L'hallucination, il faut le reconnaître, touche par un petit côté à la folie, ainsi que toutes les surexcitations cérébrales, et tandis que le délire s'exhale surtout en paroles incohérentes, elle représente plus particulièrement l'action, la mise en scène. Mais c'est à tort cependant que parfois on les confond ensemble.
En proie à une sorte de fièvre intérieure qui ne se traduit au dehors par aucune perturbation apparente des organes, l'halluciné vit au milieu du monde imaginaire que crée, pour un moment, son imagination troublée ; tout est en désordre en lui comme autour de lui ; il porte tout à l'extrême : la gaieté parfois, la tristesse presque toujours, et des larmes roulent dans ses yeux pendant que ses lèvres grimacent un sourire maladif. Ces visions fantastiques existent pour lui ; il les voit, les touche, en est effrayé. Mais cependant il conserve l'exercice de sa volonté ; il cause avec ses interlocuteurs et leur cache l'objet de ses terreurs ou de ses sombres préoccupations.
Nous en avons connu un qui, pendant environ six mois, assistait tous les matins à l'enterrement de son corps, ayant pleinement conscience que son âme survivait. Rien ne paraissait changé dans les habitudes de sa vie, et cependant cette pensée incessante, cette vue même parfois le suivait en tous lieux. Le mot de mort résonnait incessamment à son oreille. Quand le soleil brillait, dissipait la nuit ou perçait le nuage, l'effroyable vision s'évanouissait peu à peu et disparaissait à la fin. Le soir, il s'endormait, triste et désespéré, car il savait quel horrible réveil l'attendait le lendemain. Parfois, lorsque l'excès de la souffrance physique imposait silence à sa volonté et lui enlevait cette puissance de dissimulation qu'il conservait d'ordinaire, il s'écriait tout à coup : Ah ! Les voilà !… je les vois !… Et alors il décrivait à son entourage le plus intime les détails de la lugubre cérémonie, il racontait les scènes sinistres qui se déroulaient sous ses regards, où des rondes de personnages fantastiques défilaient devant lui.
L'halluciné vous dira les folles perceptions de son cerveau malade, mais il n'a rien à vous répéter de ce que d'autres viendraient lui révéler car, pour être inspiré, il faut que la paix et l'harmonie règnent dans votre âme, et que vous soyez dégagé de toute pensée matérielle ou mesquine ; quelquefois la disposition maladive provoque l'inspiration, c'est alors comme un secours que les amis partis les premiers viennent vous apporter pour vous soulager.
Ce fou, qui hier jouissait de la plénitude de sa raison, ne présente pas de désordres extérieurs perceptibles à l'œil de l'observateur ; ils sont nombreux cependant, ils existent et sont réels. Le mal est souvent dans l'âme, jetée hors d'elle-même par l'excès du travail, de la joie, de la douleur ; l'homme physique n'est plus en équilibre avec l'homme moral ; le choc moral a été plus violent que n'en peut supporter le physique de là cataclysme.
L'halluciné subit également les conséquences d'une perturbation grave dans son organisme nerveux. Mais, ce qui rarement a lieu dans la folie, chez lui ces désordres sont intermittents et d'autant plus facilement curables, que sa vie est double en quelque sorte, qu'il pense avec la vie réelle et rêve avec la vie fantastique. Cette dernière est souvent l'éveil de son âme malade, et si on l'écoute avec intelligence, on arrive à découvrir la cause du mal, que souvent il veut cacher. Parmi le flux de paroles incohérentes que lance au dehors une personne en délire, et qui semblent ne se rapporter en rien aux causes probables de sa maladie, il s'en trouvera une qui reviendra sans cesse et comme malgré elle, qu'elle voudrait retenir, et qui échappe cependant. Celle-là est la cause véritable et qu'il faut combattre.
Mais le travail est long et difficile, car l'halluciné est un habile comédien, et s'il s'aperçoit qu'on l'observe, son esprit se jette dans d'étranges écarts et prend les apparences de la folie pour échapper à cette pression importune que vous paraissez décidé à exercer sur lui. Il faut donc l'étudier avec un tact extrême, sans le contredire jamais, ou essayer de rectifier les erreurs de son cerveau en délire.
Ce sont là diverses phases d'excitations cérébrales, ou plutôt d'excitations de l'être tout entier, car il ne faut pas localiser le siège de l'intelligence. L'âme humaine, qui la donne, plane partout ; c'est le souffle d'en haut qui fait vibrer et agir la machine tout entière.
L'halluciné peut, de bonne foi, se croire inspiré, et prophétiser, soit qu'il ait conscience de ce qu'il dit, soit que ceux qui l'entourent puissent seuls, à son insu, recueillir ses paroles. Mais ajouter foi aux indications d'un halluciné serait se préparer d'étranges déceptions, et c'est ainsi que trop souvent on a porté au passif de l'inspiration les erreurs qui n'étaient que le fait de l'hallucination.
Le physique est chose matérielle, sensible, exposée au grand jour, que chacun peut voir, admirer, critiquer, soigner ou tenter de redresser. Mais qui peut connaître l'homme moral ? Quand nous nous ignorons nous-mêmes, comment les autres nous jugeraient-ils ? Si nous leur livrons quelques-unes de nos pensées, il en est bien plus encore que nous celons à leurs regards et que nous voudrions nous cacher à nous-mêmes.
Cette dissimulation est presque un crime social. Créés pour le progrès, notre âme, notre cœur, notre intelligence sont faits pour s'épandre sur tous les frères de la grande famille, pour leur prodiguer tout ce qui est en nous, comme pour s'enrichir en même temps de tout ce qu'ils peuvent nous communiquer. L'expansion réciproque est donc la grande loi humanitaire, et la concentration, c'est-à-dire la dissimulation de nos actions, de nos pensées, de nos aspirations est une sorte de vol que nous commettons au préjudice de tout le monde. Quel progrès se fera, si nous gardons en nous tout ce que la nature et l'éducation y ont mis, et si chacun agit de même à notre égard ?
Exilés volontaires, et nous tenant en dehors du commerce de nos frères, nous nous concentrons dans une idée fixe ; l'imagination obsédée cherche à s'y soustraire en poursuivant toutes sortes de pensées sans suite, et l'on peut arriver ainsi jusqu'à la folie, juste châtiment qui nous est infligé pour n'avoir pas voulu marcher dans nos voies naturelles. Vivons donc dans les autres, et eux dans nous, afin que tous nous ne fassions qu'un. Les grandes joies, comme les grandes douleurs, nous brisent lorsqu'elles ne sont pas confiées à un ami. Toute solitude est mauvaise et condamnée, et toute chose contraire au vœu de la nature amène à sa suite d'inévitables, d'immenses désordres intérieurs.
II - Les inspirés
L'inspiration est plus rare que l'hallucination, parce qu'elle ne tient pas seulement à l'état physique, mais encore et surtout à la situation morale de l'individu prédisposé à la recevoir.
Tout homme ne dispose que d'une certaine part d'intelligence qu'il lui est donné de développer par son travail. Arrivé ou point culminant où il lui est accordé d'atteindre, il s'arrête un moment, puis il retourne à l'état primitif, à l'état d'enfant, moins cette intelligence même qui, chez l'un grandit chaque jour, et chez le vieillard s'amoindrit, s'éteint et disparaît. Alors, ayant tout donné, et ne pouvant plus rien ajouter au bagage de son siècle, il part, mais pour aller continuer ailleurs son œuvre interrompue ici-bas ; il part, mais en laissant la place rajeunie à un autre qui, arrivant à l'âge viril, aura la puissance d'accomplir à son tour une mission plus grande et plus utile.
Ce que nous appelons la mort n'est que le dévouement au progrès et à l'humanité. Mais rien ne meurt, tout survit et se retrouve par la transmission de la pensée des êtres partis les premiers qui tiennent encore, par la partie la plus éthérée d'eux-mêmes, à la patrie quittée, mais non oubliée, qu'ils aiment toujours, puisqu'elle est habitée par les continuateurs de leur vie, par les héritiers de leurs idées, auxquels ils se plaisent à insuffler par moments celles qu'ils n'ont pas eu le temps de semer autour d'eux, ou qu'ils n'ont pu voir progresser au gré de leurs espérances.
N'ayant plus d'organes au service de leur intelligence, ils viennent demander aux hommes de bonne volonté qu'ils apprécient, de leur céder pour un moment la place. Sublimes bienfaiteurs cachés, ils imprègnent leurs frères de la quintessence de leur pensée, afin que leur œuvre ébauchée se poursuive et s'achève en passant par le cerveau de ceux qui peuvent lui faire faire son chemin dans le monde.
Entre les amis disparus et nous, l'amour se continue, et l'amour, c'est la vie. Ils nous parlent avec la voix de notre conscience mise en éveil. Purifiés et meilleurs, ils ne nous apportent que des choses pures, dégagées qu'ils sont de toute partie matérielle comme de toutes les mesquineries de notre pauvre existence. Ils nous inspirent dans le sentiment qu'ils avaient dans ce monde, mais dans ce sentiment dégagé de tout alliage.
Il leur reste encore une part d'eux-mêmes à donner : ils nous l'apportent, en nous laissant croire que nous l'avons obtenue par notre seul labeur personnel. De là viennent ces révélations inattendues qui déroutent la science. L'esprit de Dieu souffle où il veut… Des inconnus font les grandes découvertes, et le monde officiel des académies est là pour les entraver au passage.
Nous ne prétendons pas dire que pour être inspiré, il soit indispensable de se maintenir incessamment dans les voies étroites du bien et de la vertu ; mais cependant ce sont d'ordinaire des êtres moraux auxquels on vient, souvent comme compensation des maux dont ils souffrent par le fait des autres, accorder des manifestations qui leur permettent de se venger à leur manière, en apportant le tribut de quelques bienfaits à l'humanité qui les méconnaît, les raille et les calomnie.
On rencontre autant de catégories d'inspirations, et d'inspirés par suite, qu'il existe de facultés dans le cerveau humain pour s'assimiler des connaissances différentes.
La lutte effraie les Esprits épurés partis pour des mondes plus avancés, et ils désirent qu'on les écoute avec docilité. Aussi les inspirés sont-ils généralement des êtres purs, naïfs et simples, sérieux et réfléchis, pétris d'abnégation et de dévouement, sans personnalité accusée, aux impressions profondes et durables, accessibles aux influences extérieures, sans parti pris sur les choses qu'ils ignorent, assez intelligents pour s'assimiler les pensées d'autrui, mais pas assez forts moralement pour les discuter.
Si l'inspiré tient à ses propres convictions, il prend, de bonne foi, leur écho pour l'avertissement des voix qui parlent en lui, et, de bonne foi aussi, il trompe au lieu d'éclairer. La bonté préside à ces révélations, qui n'ont jamais lieu que dans un but utile et moral à la fois.
Quand une de ces organisations sympathiques est souffrante par suite d'une déception cruelle ou d'un mal physique, un ami s'intéresse à elle et vient, en donnant un autre aliment à sa pensée, lui apporter du soulagement pour elle-même, mais surtout pour ceux qui lui sont chers.
Il n'est pas rare que l'inspiré ait commencé par être un halluciné. C'est comme un noviciat, une préparation de son cerveau à concentrer son esprit et à pouvoir accepter la chose qu'on lui dira. Parce qu'un inspiré ne peut rien formuler de concluant à un certain moment, ce n'est pas à dire pour cela qu'il ne le pourra pas faire dans d'autres. Les manifestations demeurent libres, spontanées ; elles viennent quand il en est besoin. Aussi les inspirés, même les meilleurs, ne le sont-ils pas à jour et à heure fixes, et les séances annoncées à l'avance préparent souvent d'inévitables déceptions.
A faire de trop fréquentes évocations, on court risque de n'aboutir qu'à un état de surexcitation plus voisin de l'hallucination que de l'inspiration. Alors ce ne sont plus que les jeux de notre imagination en délire, au lieu de ces lumières d'un autre monde destinées à éclairer les pas de l'humanité dans sa route providentielle. Ceci explique ces erreurs dont l'incrédulité se fait une arme pour nier d'une manière absolue l'intervention des Esprits supérieurs.
Les inspirés le sont par tous ceux qui, partis avant l'heure, ont quelque chose à nous apprendre.
Il peut arriver que la femme la plus simple, la moins instruite, ait des révélations médicales. Nous en avons vu une qui, sans savoir même ni lire ni écrire, trouvait en elle différents noms de plantes qui pouvaient guérir. La crédulité populaire l'avait presque forcée d'exploiter cette faculté. Aussi n'était-elle toujours également bien éclairée, encore qu'en tâtant le pouls de la personne malade, elle se mît en rapport avec elle : car elle était aussi de ces fluidiques dont nous parlerons tout à l'heure. Bien que faible et délicate, elle pouvait, par son contact, redonner l'équilibre à celui qui en manquait et remettre en circulation les principes vitaux arrêtés. Sans s'en rendre compte, elle faisait souvent, par ce simple attouchement, sur certaines personnes dont le fluide était identique avec le sien, plus de bien que par les remèdes qu'elle prescrivait, quelquefois par habitude seulement, et avec des variantes insignifiantes, quel que fût le mal pour lequel on la consultait.
La providence a placé auprès de chaque homme un remède pour chaque maladie. Seulement il existe autant de natures différentes que d'individus. Les remèdes agissent différemment aussi sur chaque organisme, lequel influe sur les caractères du mal et c'est ce qui fait qu'il est presque impossible au médecin de prescrire le remède efficace. Il connaît ses effets généraux, mais il ignore absolument dans quel sens il agira sur tel sujet qu'on lui présente. C'est ici qu'éclate la supériorité des fluidiques et des somnambules, puisque, lorsqu'ils se trouvent dans certaines conditions de sympathie avec ceux qui viennent les consulter, les êtres supérieurs les guident avec une infaillibilité presque certaine.
Souvent cette inspiration est inconsciente d'elle-même ; souvent un docteur, mais seulement auprès de certains malades, trouve subitement le remède qui peut les guérir. Ce n'est pas la science qui l'a guidé, c'est l'inspiration. La science mettait à sa disposition plusieurs modes de traitement, mais une voix intérieure lui criait un nom ; il a été forcé de le dire, et ce nom était celui du remède qui devait agir, à l'exclusion de tout autre.
Ce que nous disons de la médecine existe au même titre dans toutes les autres branches du travail humain. A certaines heures, le feu de l'inspiration nous dévore, il faut céder ; et si nous prétendons concentrer en nous-mêmes ce qui doit en sortir, une véritable souffrance devient le châtiment de notre révolte.
Tous ceux à qui Dieu a accordé le don sublime de création, les poètes, les savants, les artistes, les inventeurs, ont tous de ces illuminations inattendues, parfois dans un ordre de faits bien différent de leurs études ordinaires, si l'on a prétendu violenter leur vocation. Mais les Esprits savent ce que nous devons et pouvons faire, et ils viennent réveiller incessamment en nous nos attractions étouffées.
On sait comment Molière expliquait ces inégalités qui déparent les plus belles pièces de Corneille : « Ce diable d'homme, disait-il, a un génie familier qui vient par moments lui souffler à l'oreille des choses sublimes ; puis tout à coup il le plante là, en lui disant : « Tire-toi de là comme tu pourras ! » Et alors il ne fait plus rien qui vaille. » Molière était dans le vrai. Le fier génie de Corneille n'avait pas la docile passivité nécessaire pour subir toujours l'inspiration d'en haut. Les Esprits l'abandonnaient, et alors il s'endormait, comme Homère lui-même le faisait quelquefois.
Il en est, Socrate et Jeanne d'Arc étaient de ceux-là, qui entendent des voix intérieures qui parlent en eux. D'autres n'entendent rien, mais sont contraints d'obéir à une force victorieuse qui les domine.
D'autres fois, un nom vient frapper l'oreille de l'inspiré : c'est celui d'un ami, d'un individu qu'il ne connaît pas même, dont il a à peine entendu parler. La personnalité de cet ami inconnu le pénètre, s'infuse en lui ; des pensées étranges viennent se substituer peu à peu aux siennes. Il a pour un moment l'Esprit de celui-là ; il obéit, il écrit, à son insu, malgré lui, s'il le faut, des choses qu'il ne sait pas. Et comme si cette obéissance passive à laquelle il est condamné lui était amère à supporter dans l'état éveillé, il fuit ces choses écrites sous une inspiration oppressive, et ne veut pas les lire.
Ces pensées peuvent être en désaccord formel avec ses croyances, avec ses sentiments, ou plutôt avec ceux que l'éducation lui a imposés, car, pour que certains Esprits viennent à lui, il faut qu'il existe quelques rapports entre eux. Ils lui donnent la pensée en lui laissant le soin de trouver la forme ; il faut donc qu'ils sachent que son intelligence peut les comprendre, et s'assimiler momentanément leurs idées pour les traduire.
C'est qu'il est rare que les circonstances nous aient permis de nous développer dans le sens de nos aptitudes natives. Les Esprits plus avancés savent quelle corde il faut toucher pour qu'elle entre en vibration. Elle était demeurée muette, parce que l'on avait attaqué les autres en négligeant celle-là. Ils lui rendent pour un moment la vie. C'est un germe longtemps étouffé qu'ils fécondent. Puis l'inspiré, revenu à son état habituel, ne se souvient plus, car il vit d'une existence double, dont chacune est absolument indépendante de l'autre.
Il arrive cependant aussi qu'il conserve une plus grande facilité de compréhension, et conquiert un plus grand développement intellectuel. C'est la récompense de l'effort qu'il a fait pour donner une forme saisissable aux pensées que d'autres sont venus lui révéler.
Ne croyons pas que tout inspiré puisse tout connaître. Chacun, suivant ses prédispositions naturelles, mais restées souvent inconnues à lui-même comme aux autres, est inspiré pour telle ou telle chose, mais ne l'est pas également pour toutes. Il existe en effet des natures tellement antipathiques à certaines connaissances, que les Esprits ne viendront jamais frapper à une porte qu'ils savent ne pas pouvoir s'ouvrir.
L'avenir n'est connu des inspirés que dans une certaine mesure. Aussi n'est-il pas vrai de dire qu'un inspiré a prédit dans quel monde telle personne ira après sa mort, et quel jugement Dieu prononcera sur elle. Ceci est un jouet de l'imagination hallucinée. L'homme, si haut qu'il soit monté dans l'échelle des mondes, ne connaît pas quelle sera la destinée de son frère. C'est la part réservée à Dieu : jamais la créature ne pourra empiéter sur ses droits.
Oui, il y a des manifestations, mais elles ne sont pas continuelles, et notre impatience à leur égard est souvent coupable.
Oui, tout se tient, et rien n'est rompu dans l'immense univers. Oui, il existe entre cette existence et les autres un lien sympathique et indissoluble qui relie et unit les uns aux autres tous les membres de la famille humaine, et qui permet aux meilleurs de venir nous donner la connaissance de ce que nous ne savons pas. C'est par ce labeur que s'accomplit le progrès. Qu'il s'appelle travail de l'intelligence ou inspiration, c'est la même chose. L'inspiration, c'est le progrès supérieur, c'est le fond : le travail personnel y met la forme, en y ajoutant encore la quintessence des connaissances antérieurement acquises.
Pas une seule invention ne nous appartient en propre, car d'autres ont jeté avant nous la semence que nous récoltons. Nous appliquons à l'œuvre que nous voulons poursuivre les forces et le travail de la nature qui est à tous, et sans l'aide de laquelle rien ne se fait, puis les forces et le travail accumulés par les autres qui nous ont préparé les moyens de réussir.
A bien dire, tout est œuvre commune et collective, pour confirmer encore ce grand principe de solidarité et d'association qui est la base des sociétés et la loi de la création tout entière.
Le travail de l'homme ne sera jamais rendu inutile par l'inspiration. L'Esprit qui vient nous l'apporter respectera toujours cette partie réservée à l'individu ; il la respectera comme une noble et sainte chose, puisque le travail met l'homme en possession des facultés que Dieu a déposées en germe dans son âme, afin que le but de sa vie fût de les féconder. C'est par leur développement qu'il a appris à se bien connaître, et qu'il a mérité de se rapprocher de lui.
L'inspiration vient indifféremment le jour, la nuit, dans la veille ou pendant le sommeil. Seulement elle exige le recueillement. Il lui faut rencontrer des natures qui puissent s'abstraire de toute préoccupation du monde réel, pour donner la place libre et vacante à l'être qui viendra l'envelopper tout entier et lui infuser ses pensées.
Aux heures de l'inspiration, l'homme devient beaucoup plus accessible à tous les bruits extérieurs, et tout ce qui vient du monde réel le trouble. Il n'est plus dans ce monde, il est dans un milieu transitoire entre celui-ci et l'autre, puisqu'il est en quelque sorte imbibé de la personne morale et intellectuelle d'un être monté dans une autre sphère, et que cependant son corps tient à celle-ci. Bien qu'elle s'adresse à tous, l'inspiration descendra plus généralement sur les natures maladives ou usées par une succession de souffrances, matérielles ou morales. Puisqu'elle est un bienfait, n'est-il pas juste que ceux qui souffrent soient plus facilement aptes à la recevoir ?
L'hallucination est un état maladif que le magnétisme peut modifier d'une façon salutaire. L'inspiration est une assimilation morale qu'il faut se garder de provoquer par des passes magnétiques. L'halluciné se livre volontiers à des emportements, à des contorsions ridicules. L'inspiré est calme.
Les inspirés sont mélancoliques. Ils ont besoin d'être réfléchis ; pour être gai, il faut ne pas beaucoup réfléchir ; il faut jouir, dans sa santé, d'un équilibre que les inspirés ne possèdent pas toujours. Mais n'allons pas croire qu'ils soient difficiles et fantasques. Ils se montrent au contraire doux et faciles avec ceux qu'ils aiment.
Il y a des inspirés de plusieurs degrés. Les uns viennent vous dire des choses palpables, des faits de seconde vue, pour que l'on puisse constater la réalité de l'initiation. Les autres, plus clairvoyants et peu soucieux des procédés matériels dont ils ne sont pas appelés à divulguer les secrets, répètent, comme elles leur viennent, les pensées apportées par des Esprits de progrès. Les premiers guérissent le corps, les seconds sont les médecins de l'âme.
La mission des plus modestes se borne à révéler comment ces choses leur viennent. C'est un fait constaté que des puissances avancées de bien des degrés sur nous viennent nous dominer et nous inspirer. A quoi bon le répéter ? Croira qui voudra. Mais les constatations étant bien établies, il ne faut prendre des inspirés que le côté utile et sérieux. Peu importe, si les idées sont bonnes, de quelles sources elles viennent.
Texte tiré de la revue spirite de 1869