Ce mois-ci, nous vous présentons Une étude Libre arbitre et déterminisme selon Léon Denis tirée de la revue spirite de février 1925.
Au travers d'un exemple d’un esprit désincarné qui entre dans le monde de l’au-delà, Léon Denis décrit les impressions et les sensations qu’il perçoit et démontre combien l’évolution se fait par les vies successives.
Pour Léon Denis, la question du libre arbitre est étroitement liée au problème de l'évolution par les vies successives. Il récuse absolument les témoignages de Spinoza, Schopenhauer, Taine et Voltaire invoqués en faveur du déterminisme, et répondit :
«L'opinion de ces illustres penseurs sur ce point est sans valeur à nos yeux, puisqu'ils ont ignoré ou méconnu la loi des existences successives qui, seule, élucide cette grave question. A l'heure où il importe par-dessus tout de ranimer les énergies défaillantes, de tremper les âmes en vue des épreuves futures, n'est-ce pas une ironie amère que de dire à l'homme qu'il est le jouet des forces ambiantes, une sorte d'automate soumis à des influences diverses contre lesquelles il est impuissant à réagir ? N'est-ce pas un langage coupable que de déclarer aux criminels, aux vicieux, aux pervers, à tous les fauves à face humaine qui désolent la Terre, qu'ils sont irresponsables de leurs actes !
On ne saurait trop protester contre de telles théories, qui, au lieu de réveiller les consciences qui sommeillent, au lieu de rendre le courage aux désespérés, désarmeraient l'homme dans les combats de la vie et précipiteraient sa déchéance morale et sa chute.
Non certes, les subtils raisonnements, les ingénieux sophismes des déterministes ne parviendront jamais à enlever aux âmes vaillantes leur initiative, leur force morale, à tromper l'honnête homme sur ses responsabilités.» Pour illustrer cette question, voici le récit fait par un Esprit qui décrit ses impressions en entrant dans l'au-delà :
« Oh ! Qu’il faisait froid dans ma tombe le jour d’hiver où l’on m’enterra vivant, alors que j’étais seulement plongé dans un profond sommeil léthargique. Le médecin des morts avait beaucoup de décès à constater et en outre, on l’attendait pour un grand déjeuner, la matin où, après un examen superficiel et rapide de mon corps, il signa, sans hésiter, le permis d’inhumation. Doit-on le blâmer pour cela ? Non, certes, puisqu’il devait en être ainsi, comme on le verra plus loin.
Le ciel était bas et sombre, paraît-il, et il neigeait abondamment lorsque mon cortège funèbre franchit le fleuve sur le grand pont de pierre pour gravir le chemin en pente raide qui conduit au cimetière. Inconscient de ce qui se passait autour de moi, je ne repris connaissance qu’au bruit sourd de la terre tombant sur les planches de mon cercueil. Tout d’abord, je ne pus me rendre compte de ma situation : il faisait nuit noire pour moi et un froid glacial pénétrait jusqu’aux os mon pauvre corps enveloppé d’un mince linceul. Mes bras heurtèrent les parois de la bière et je compris enfin ; une angoisse terrible étreignit tout mon être. Il était trop tard pour appeler, personne ne pouvait plus m’entendre. Je sentis que désormais, je ne pouvais compter sur aucun secours en ce monde.
Dans mon affreuse détresse, je songeais à mes amis invisibles, à mes protecteurs de l’espace qui m’avaient donné tant de fois des preuves de leur sollicitude. J’élevais vers Dieu, vers ces bons Esprits, une ardente prière et aussitôt un puissant courant fluidique passa sur ma chair. Ainsi, jusqu’au fond de ma tombe, ils me faisaient comprendre que je n’étais pas abandonné, et la sensation de leur douce présence fut pour moi un appui, une suprême consolation. Combien de temps s’écoula au sein de ces ténèbres où rien ne permet de mesurer les heures ?
En vain, je me retournai dans ma bière. Un froid pénétrant glaçait peu à peu tous mes membres, le sang refluait au cœur. La vie se localisait dans le cerveau envahi par un flot de pensées tumultueuses. Un monde de souvenirs tristes, de tableaux changeants se déroulaient et m’arrachaient parfois des larmes. Enfin la congestion mit fin à mon supplice et lentement, lentement,………. Comme un glaive sort du fourreau, je sentis mon âme se dégager de sa froide enveloppe et remonter vers la lumière.
Lorsque, plus tard, j’eus repris pleine conscience de moi-même, je me trouvais dans un jardin merveilleux, au milieu d’Esprits amis qui me souriaient. De toutes parts des fleurs éclatantes exhalaient leurs subtils parfums. De larges bandes lumineuses se déroulaient dans le ciel, comme des écharpes d’or et d’azur, pour aller se fondre en des teintes d’une douceur infinie, inconnues à la terre. Des grands arbres, des massifs de verdure et partout s’échappaient des vibrations mélodieuses, une harmonie pénétrante et, sous ces radiations je sentais tout mon être s’épanouir, se dilataient en une sorte d’ivresse inexprimable.
Les sources d’une vie plus haute s’ouvraient en moi, mais, en même temps, me venait l’intuition confuse que ce bonheur ressenti était d’un caractère passager, transitoire, comme un repos accordé à mon esprit tourmenté. Le souvenir trop récent des angoisses du sépulcre me troublait encore, et une question obsédante revenait sans cesse à ma pensée. Chose étrange, celle-ci, sans être exprimée, formulée, était visible pour les âmes qui m’entouraient et elles y répondaient, non par des sons – suivant les règles phonétiques – mais par des images qui se formaient au-dessus d’elles, et dont je saisissais le sens. Je compris que c’était là le procédé à l’aide duquel les Esprits communiquaient entre eux. L’échange des pensées était plus rapide que celui des paroles. La pensée n’est plus, comme chez les humains, subordonnée à l’usage d’un organe plus ou moins souple et exercé, pas toujours exact et fidèle. Traduit en images, elle n’en est que plus brillante, plus précise, parfois plus incisive. C’est ainsi que je m’entretenais avec le cercle d’amis qui m’entourait.
Tout d’abord, j’avais aisément reconnu parmi eux les êtres chers, les compagnons des joies et des épreuves de ma dernière existence. Mais, après les premières effusions, je me demandais quels étaient les autres témoins de cette scène intime. Alors un étrange phénomène se produisit. Je voyais s’entrouvrir de vagues perspectives sur des vies lointaines. Des formes se dessinaient qui, en se précisant, ressemblaient de plus en plus aux Esprits groupés autour de moi. Je compris alors que ma famille spirituelle était bien plus nombreuse que je le supposais sur la terre. Des liens se reconstituaient avec une foule d’êtres dont j’avais partagé l’évolution à travers les siècles, et je me sentais uni, par une solidarité étroite, à une multitude d’amis oubliés. Brusquement, ces visions s’effacèrent car la question obsédante, la question angoissante revenait sans cesse à mon esprit. Pourquoi ai-je été enterré vivant ? Pourquoi ai-je dû subir la lente agonie du sépulcre ? Et les chers Esprits qui me souriaient toujours, répondirent à ma pensée : patience, patience ! Bientôt tu connaîtras le mot de l’énigme, la vérité toute entière t’apparaîtra !
En effet, le mot de l’énigme m’apparut lorsque, plus tard, resté seul, loin du jardin enchanté, j’interrogeais les profondeurs de ma mémoire subconsciente. Les souvenirs se réveillèrent en foule et la trame des vies successives se déroula. Alors commença le jugement particulier de l’âme qui se glorifie ou se condamne elle-même, sans que ni le temps écoulé, ni les influences subies puissent atténuer ses actes.
Parmi ces existences antérieures, l’une d’entre elles attirait surtout mon attention, et j’en scrutai les moindres détails. C’était à l’époque des invasions normandes. Après avoir ravagé les côtes de France, ces barbares du Nord avaient pénétré dans la Méditerranée et une de leurs expéditions assiégeait certaine grande ville que, dans leur ignorance, ils avaient prise pour Rome elle-même.
Je voyais leurs grands « dragons de mer » amarrés au rivage avec leurs hautes proues grossièrement sculptées en forme d’animaux fantastiques. Leur camp enserrait les fortes murailles de la ville qui, bien approvisionnées, bien défendue, résistait vigoureusement et avait repoussé tous les assauts en infligeant de grosses pertes aux assiégeants. La disette régnait parmi ceux-ci, car le vide s’était fait autour d’eux et les expéditions faites à l’intérieur recueillaient plus de horions que de butin. Il allait donc falloir lever le siège et chercher fortune ailleurs, lorsqu’une résolution macabre fut suggérée au chef normand.
Un matin, le camp des barbares retentit de cris, de plaintes, de gémissements. Un parlementaire vint annoncer aux assiégés que le chef était mort en léguant à la ville, ou plutôt à l’évêque, qui en était le seul seigneur et maître, tous ses biens entassés sur deux vaisseaux et consistant en objets précieux, pillés dans les Eglises et les Abbayes et représentant une valeur considérable. La seule condition était que son corps serait enseveli en terre chrétienne après avoir reçu dans l’Eglise cathédrale, la bénédiction de l’évêque. Celui-ci, doublement flatté, en délibéra avec ses conseillers et il fut décidé que le cercueil du chef, porté par des Normands sans armes, serait admis dans l’Eglise et, après le cérémonial accoutumé, déposé au « campo santo ».
Au jour dit, trois cents Normands sans armes apparentes, et portant un cercueil, furent introduits dans la ville et la cérémonie commença au milieu d’une foule compacte. Mais, au moment où l’évêque se disposait à bénir le cercueil, celui-ci s’ouvrit tout à coup : le chef se dressa la hache à la main et, de son arme, fendit la tête du prélat. A ce signal, les Normands sortirent des armes cachées et égorgèrent les assistants, puis ils coururent ouvrir les portes de la ville à leurs camarades restés au dehors. Celle-ci fut prise, dévastée, et ce que le fer avait épargné, la torche la détruisit de telle sorte qu’il ne resta plus de l’opulente cité de Luna que des ruines informes sur une côte déserte.
Hélas ! Dans ce chef normand, je m’étais reconnu, et dès lors je compris tout. L’enchaînement des causes et des effets m’apparut, l’expiation s’était produite par des moyens identiques à ceux dont j’avais abusé. Plus de mille ans s’étaient pourtant écoulés depuis, mais il n’y a pas de prescription pour la justice divine. Elle m’avait laissé le temps nécessaires pour évoluer et mieux comprendre la nécessité de la réparation afin de l’accepter avant de renaître. J’ai appris, depuis, que la peine du talion n’était pas toujours infligées aux coupables, mais que les modes de rachat variaient à l’infini suivant les cas.
Si les humains pouvaient interroger les couches profondes de leur mémoire – comme ils étudient les couches géologiques du sol pour apprendre l’histoire de la terre – ils y liraient l’histoire de l’âme, ses phases successives, ses péripéties nombreuses, sa lente ascension à travers les âges. Et de toutes ces cendres du passé, jaillirait pour eux la flamme ardente d’une foi, d’une confiance résultant de la compréhension plus nette de lois de justice et d’harmonie qui régissent toutes choses dans l’univers.
Mais ce serait le vertige pour la plupart des habitants de la terre, encore trop peu évolués, surtout si on y ajoutait la perspective des degrés à gravir sur l’échelle des mondes. C’est pourquoi ces souvenirs et ces perspectives leur restent encore voilés. A l’état d’Esprit, le voile se lève et l’horizon s’élargit ; nous voyons de plus haut et plus loin.
O terre, sombre planète, ma pauvre âme a parcouru depuis bien des siècles tes rudes sentiers sous des déguisements divers. Tantôt au fond des cloîtres, sous le froc, tantôt sous l’uniforme au milieu des champs de bataille ; partout, je la vois travaillant à développer les forces qui sont en elle, pas toujours, hélas ! dans le sens du bien. Pourtant après tant de vicissitudes, d’épreuves de douleurs, je constate enfin qu’elle commence à s’éclairer d’un pâle reflet de la lumière divine et c’est là, à mes yeux, un gage d’espérance pour l’avenir. A mesure que je creuse plus avant le filon du passé, je sens ma personnalité grandir, s’accroître, s’enrichir des apports antérieurs, comme un fleuve qui grossit peu à peu par le flot de ses affluents. Je ne suis plus moi-même, mais quelqu’un de plus vaste, de plus complet, appelé à se perfectionner sans cesse en parcourant de vies en vies le champ immense de l’évolution. Que deviennent dès lors, de ce point de vu agrandi, les contradictions de l’existence terrestre, la variété des conditions sociales, les inégalités de toutes sortes ? Ce ne sont plus que des incidents passagers de notre longue course de mondes en mondes, les épreuves nécessaires, autant de moyens d’acquérir, de développer l’expérience et le jugement et de parfaire l’éducation des âmes. De ce point de vue, tout ce qui sur le plan terrestre paraît confus, obscur, inexplicable, tout s’éclaire, se fond, s’harmonise dans une unité grandiose. Et nous nous sentons reliés par mille liens à cette vie universelle dont nous sommes partie intégrante, unis à toutes ces âmes qui gravitent avec nous vers un but toujours plus élevé.
Maintenant que les choses de la terre s’éloignent et s’estompent peu à peu pour moi, je me rappelle avec mélancolie l’ardeur que j’apportais, sur ce plan, aux discussions, aux polémiques sur les grands problèmes et en particulier ceux du libre arbitre, du déterminisme, de la fatalité, etc. sans parvenir à une solution satisfaisante. Je ne comprenais pas alors que le cercle étroit des connaissances humaines, l’exiguïté de notre champ d’observation, notre ignorance des origines et des fins, rendaient tous ces problèmes insolubles. Mais d’ici, dans la sérénité des espaces, dans la lumière divine, comme tout devient simple, clair, facile, comme tout s’explique et s’enchaîne !
L’être au début de son immense trajectoire, ignorant, inexpérimenté, est soumis étroitement aux lois universelles qui compriment et limitent son action. C’est la période des appétits et des instincts. Mais à mesure qu’il s’élève jusqu’à ce que, ayant atteint les hauteurs célestes, sa pensée, sa volonté, ses vibrations fluidiques se trouvent en harmonie parfaite, c’est-à-dire ce qu’on appelle en synchronisme, avec la pensée et la volonté divines ; son libre arbitre est définitif car il ne peut plus faillir.
A tous les degrés de son ascension l’être est soumis à la loi des responsabilités : il en résulte qu’il doit donc subir fatalement la conséquence des actes qu’il a librement accomplis.
A ceux qui exigent des axiomes ou formules scientifiques, on pourrait dire : le libre arbitre est pour chacun de nous en rapport direct avec les perfections conquises : le déterminisme en raison inverse du degré d’évolution.
En plongeant jusqu’aux racines du passé, je pourrais donc, moi aussi, en déduire l’avenir, prédire les évènements futurs dans la mesure où ils sont la résultante du passé, le faisceau des faits antérieurs se déroulant à travers les temps dans leur logique implacable. Mais je préfère de beaucoup m’associer à mes amis de l’espace, dans leurs études de l’œuvre sublime sous ses aspects les plus élevés.
Et si vous me demandiez quelles sont les impression, les sensations dominantes de ma nouvelle vie, ma vie d’Esprit, je vous dirais : tout d’abord, devant le spectacle de l’évolution générale, devant la vaste perspective des temps, les choses de la terre se rapetissent de plus en plus pour moi. Les petites vanités, les petites ambitions, les théories, les systèmes d’un jour, les préjugés, les routines m’apparaissent comme les bégaiements, les tâtonnements d’une vie enfantine, et je me sens une indulgence sans bornes pour les faiblesses, les erreurs humaines qui furent aussi les miennes.
Puis, élevant plus haut mon regard, je sens naître et grandir en moi un besoin intense de mettre les radiations de ma pensée, de ma volonté, de mes fluides en concordance avec les radiations de la vie supérieure. J’ai parlé d’harmonie, de synchronisme, mais, en réalité, les termes fond défaut pour exprimer cette pénétration de l’âme dans la communion universelle, source de toutes les joies pures, de toutes les félicités de la pensée et du cœur. Car, c’est par la communion universelle que l’on se sent vivre de la vie de tout ce qui est, de tout ce qui pense, de tout ce qui aime, de tout ce qui souffre. C’est en elle que l’on ressent plus profondément les vibrations de la pensée divine, les inspirations de son génie, les effluves de sa bonté. Je sais que pour me rendre digne de ces biens, il me faudra longtemps faire effort, travailler encore à mon épuration, à mon évolution et à celle de mes semblables. Mais j’ai bon espoir et confiance car aucune peine n’est perdue, aucun labeur n’est inutile.
En attendant, je joins mes accents à l’hymne éternel pour glorifier Celui qui est toute puissance, toute sagesse, toute vérité, tout amour !