Ce mois-ci, nous vous présentons le deuxième volet de la trilogie spirite écrite par Jean-Baptiste Seigneuric. Il est sorti, aux Éditions Les Embruns, sous le titre La Conjuration des Glaces. Le premier volet, La Légende des Âmes, avait déjà été très apprécié dans notre centre et nous avons donc été agréablement surpris de prendre encore plus de plaisir à la lecture de ce deuxième tome qu’il a été difficile de lâcher tant nous étions subjugués par la palpitante enquête spirite destinée à conjurer un sort, au plus tôt bien sûr, afin d’éviter un drame.
L'ouvrage
Nous retrouvons Elme Mathurin, le personnage principal du premier volet, mais, cette fois-ci, c’est sa femme, Cécile, qui fait le récit à la première personne. Avec sa belle-mère, Miette, elles découvrent à leur tour les interactions avec le monde de l’au-delà, juste après le décès de Paul Mathurin, le père d’Elme.
Nous retrouvons également le journaliste et écrivain Armand Praviel, toujours courtois et bienveillant, comme son amie la baronne de R., pour faciliter les rencontres et faire les liens entre les médiums néophytes et les chercheurs de l’invisible.
Victor Hugo est encore très présent mais, cette fois-ci, c’est surtout au travers de sa petite fille, Jeanne Hugo, qui raconte avec beaucoup de tendresse ce grand-père qu’elle a tant aimé. L’astronome spirite Camille Flammarion nous partage des premières séances médiumniques auxquelles il a assisté, passage saint Anne à Paris, avec Allan Kardec en personne. Il est le référent spirite qui emmène les enquêteurs jusqu’à l’entrée des catacombes où il retrouve son amie Léonie Menessier, l’ancienne caissière d’Edgar Buguet, le photographe spirite accusé de supercherie à l’époque de Pierre Gaétan Leymarie. Flammarion les emmène aussi à l’Institut Métapsychique International de Paris où les docteurs Osty et Joire s’adonnent à de belles expériences d’hypnotisme qui ont l’avantage de nous faire voyager, comme si on y était, dans les expéditions polaires de Sir John Franklin au XIXème siècle. En outre, l’IMI offre un cadre idéal pour interroger le médium polonais Jean Guzik dans l’espoir de débloquer l’enquête devenue extrêmement pressante. Dans ce volume, on croise aussi d’autres routes bien moins attendues, comme celles du médecin, océanographe et explorateur Jean-Baptiste Charcot, ou celle de René Léonard, le premier vainqueur des 24h du Mans.
C’est toujours avec délice qu’on voit tous ces personnages ayant réellement vécus se côtoyer, se fréquenter, citer des anecdotes permettant de faire intervenir dans l’énigme d’autres noms connus, à tel point qu’on ne sait plus où s’arrête la réalité et où commence la véritable fiction, mais c’est bien là un des délicieux charmes de l’ouvrage...
L'auteur
Comme dans le premier volet, le rythme est soutenu et l’on ne s’ennuie pas un instant en suivant les enquêteurs de Perros Guirec aux catacombes de Paris, de la fameuse Hauteville House (la maison de Victor Hugo à Guernesey), jusqu’aux froides eaux Arctiques, de la stèle de l’amiral Dumont d’Urville qui est au cimetière Montparnasse, à la discrète tombe de Chateaubriant qui se trouve à saint Malo.
Nul doute que l’expérience vécue de l’auteur, en Terre Adélie, lui a permis de trouver les mots pour nous faire vivre les émotions de ce milieu glacial et isolé que peu d’entre nous peuvent être amenés à connaître sans passer par la lecture ou la vidéo. Sa grande pratique de la photographie est en outre mise au service de Cécile, l’héroïne de ce volet, pour qui l’aventure commence après un premier cliché laissant apparaître une forme spectrale.
Avec l’importante culture qui le caractérise et sa plume juste et vive, Jean-Baptiste Seigneuric mêle, voire alterne, anecdotes cocasses et scènes graves, récits intimes et références historiques, détails techniques, purement terrestres, et subtilités d’intervention du monde céleste, paysages enchanteurs et vie quotidienne dans une famille bretonne très modeste au XIXè siècle.
L’auteur nous partage son amour pour la Bretagne et la mer, pour Paris et ses secrets, pour les régions polaires et leurs extrêmes, pour l’au-delà et son interaction dans nos vies.
Le roman en ressort très instructif, en plus d’être déjà palpitant et bien écrit. Bref, vous l’aurez compris, nous vous recommandons chaleureusement sa lecture et attendons, avec toujours plus d’impatience, la sortie du 3ème volet.
Un extrait
En voici un extrait, au moment où Cécile rencontre Praviel, juste avant une première séance médiumnique. Praviel demande à Cécile :
- Par où commencer ma chère Cécile, sans vous paraître aussitôt, fantasque ou bien naïf ?
- Commencez donc, je verrai bien si vous êtes davantage l’un ou l’autre.
Je me tournais vers lui et souris avec modestie, lui montrant par là qu’il n’y avait chez moi, à cet instant du moins, ni sarcasme, ni méfiance. Se sentant rassuré, il essuya les coins de sa bouche avec sa serviette et toussota légèrement avant de se lancer. Je remarquai pourtant au timbre que sa toux n’avait rien d’une coquetterie de salon. Il avait dans cet accent des échos de maladie. J’aperçus la baronne qui fronça un sourcil, Elme ne dit rien. Praviel commença enfin.
- J’ai bien connu votre beau-père… enfin comme je vous le disais tout à l’heure, d’une certaine façon.
Il hésita encore.
- Enfin, je ne devrai pas débuter par là.
Il marqua un temps avant de poursuivre.
- Croyez-vous aux Esprits ?
La question était si abrupte que je ne pus m’empêcher de rire. Peut-être était-ce l’expression de ma nervosité, mais cette impulsion me surprit moi-même. Elme se montra gêné. La baronne avait gardé sa fourchette à entremets suspendue devant sa bouche. Je corrigeai aussitôt mon attitude et dis :
- Il semblerait, à vous voir tous ainsi, que c’est moi qui ne me montre pas en l’occurrence assez naïve pour votre compagnie.
Ils avaient su pourtant me convaincre. Je ne riais plus. L’orage avait forci, couvrant de ses craquements sinistres, le bruit de nos pas dans l’étroit escalier qui montait à l’intérieur de la tour. Je regrettais mes paroles, mon arrogance, je regrettais peut-être aussi d’avoir accepté de venir jusque-là, tiraillée entre la peur et une indomptable curiosité. Armand Praviel n’avait pas mis longtemps à m’expliquer, je n’avais pas mis longtemps à comprendre et à admettre ce qu’il me proposait. Qu’il fût particulièrement habile et éloquent ou que mon esprit fût prêt à recevoir ce genre de révélation n’y changeait rien. Ce qu’il me racontait était fluide, avait les limpidités de l’évidence, ouvrant mon esprit à des perspectives ignorées jusqu’alors. Il apparaissait soudain que je trouverais dans ce registre certaines réponses à des questions longtemps laissées en suspens.
Il m’avait convaincu en quelques phrases de ce qu’inconsciemment je devais déjà avoir admis : la survivance des âmes. Il avait cité souvent un certain Kardec que je ne connaissais pas mais dont je m’étais aussitôt promis de découvrir le travail. Nier l’existence des Esprits, c’était nier l’existence de l’âme avait écrit ce pionnier. Dans la bouche de Praviel, ce jour où je venais d’accompagner en terre mon beau-père, cet aphorisme rutilait d’évidence.
Cet autre extrait permettra d’apprécier la subtile combinaison entre fiction et réalité. La scène se passe alors que Cécile Mathurin et Armand Praviel sont sur le point de rencontrer Jeanne Hugo.
Entrer dans la demeure de cette femme-là, c’était un peu comme entrer dans l’histoire. C’était difficile d’y croire, jusqu’au moment où la porte s’ouvrit sur un monde différent, où la réalité avait les scintillements de la renommée. C’était partager les émotions d’un livre qu’on avait lu il y avait fort longtemps et qui nous accueillait dans son intimité. J’avais lu l’art d’être grand-père dans ma jeunesse, sans imaginer que je rencontrerais un jour la célèbre Jeanne endormie du célèbre poète.
Camille Flammrion avait préparé l’entrevue et nous attendait sur le quai de la gare Montparnasse. J’avais passé une nuit terrible, imaginant que notre voyage erratique avait trop tardé et que nous risquions, par notre impéritie, de ne pas arriver à temps pour sauver Miette. En route Praviel nous avait exposé son raisonnement. En réalité, il ne s’agissait que d’intuitions, mais il en avait appelé à ma féminité, me demandant de croire à des choses aussi subtiles et impalpables pour nous laisser guider. Puisque j’avais été prête à admettre en quelques jours, l’existence d’un univers peuplé d’Esprits, il n’y avait pas de raison de douter que, sous des impulsions extraordinaires, le destin se façonnait pour nous mettre sur des routes que, ni la raison, ni la logique, ne nous auraient permis de découvrir.
Lorsqu’il avait réalisé que Jean-Baptiste Charcot avait été le mari de la petite-fille de Victor Hugo, il avait vu là plus qu’un signe : une évidence. Il y avait dans la conjonction de Guernesey, du grand poète et de cette formidable aventure polaire, tous les éléments de l’équation qu’il nous restait à résoudre. Pour lui, il n’y avait aucune coïncidence. Dans l’incertitude où nous nous trouvions, dans l’inquiétude où l’état de Miette nous plaçait, nous n’avions d’autres choix que suivre la seule piste qui nous restait. Retourner à Paris c’était peut-être nous rapprocher de la solution, mais c’était aussi nous éloigner de Perros-Guirec.
- Que penserait Elme de tout cela ? Ne devrions-nous pas lui demander son avis ?
- S’il était avec nous, il ne manquerait pas d’abonder dans mon sens. Hauteville House est une maison pleine de mystère qui apparemment nous en réserve un nouveau. Jeanne Hugo est sans doute la chance qui nous reste de retrouver cette photographie.
A l'écoute
Où le trouvez ?
Vous le trouverez aux Editions des Embruns .