Je l'ignorais encore, mais les trois années qui allaient suivre allaient déterminer le cours de mon existence…
Je voulais absolument un garçon, alors lorsque j’appris la nouvelle, j’étais la plus heureuse des futures mamans. J’avais tout prévu, sauf ce qui allait m’arriver…
À l’âge de trois mois et demi, Hugo souffrait régulièrement de troubles intestinaux qui lui causaient des douleurs intenses. Un soir où je n’arrivais plus à le calmer, je l’emmenai aux urgences. Le médecin de garde décida de nous faire passer la nuit à l’hôpital, prévoyant des examens pour le lendemain. Sans trop nous en dire plus, les infirmières nous installèrent pour la nuit dans un service à l’étage de l’hôpital.
Le lendemain matin, je sortis de la chambre quelques minutes pour aller m’aérer au rez-de-chaussée. En traversant le couloir du service en question, je croisai quelques enfants, et la plupart d’entre eux étaient chauves et semblaient très malades… Plus j’avançais dans ce couloir qui n’en finissait plus, plus je me rendais compte qu’il n’y avait que des enfants chauves… Au bout de ce couloir, il y avait une porte avec l’inscription : Service du Professeur S…, hématopédiatrie. Le choc fut à la hauteur de mes inquiétudes. Que faisions-nous ici ?
Certaine d’une erreur, j’allai voir les infirmières et leur demandai des explications. Pourquoi avions-nous été installés dans ce service de cancérologie infantile en pleine nuit ? Par manque de place ? À mes questions, j’eus pour seule réponse que nous étions dans le service qui disposait des meilleurs équipements pour faire de multiples examens. À moitié rassurés, nous attendîmes la fin des examens, espérant rentrer à la maison avec les médicaments nécessaires au rétablissement d’Hugo.
Quelques jours plus tard, le diagnostic tomba. Hugo souffrait d’un cancer du foie qui, d’après les médecins, pouvait très bien se soigner avec une cure de chimiothérapie. J’entendais le médecin et ses explications, mais je l’écoutais à moitié. J’avais du mal à croire que mon Hugo, mon amour, toute ma joie de vivre, mon cœur, ma vie, mon premier enfant tant espéré, pouvait être malade et donc potentiellement mourir. Impossible ! Nous nous aimions tellement et puis, je n’avais jamais fait de mal à personne ! Pourquoi cette punition ? J’acquiesçai. D’ailleurs, hormis son ventre un peu gonflé, il semblait en pleine forme. En réalité, il s’agissait d’une augmentation anormale du volume de son foie.
Hospitalisés malgré nous (je dis "nous", car une chambre parents-enfant avait été aménagée et, bien sûr, je ne le quittais jamais, son père non plus d’ailleurs), je m’étais fait une raison : on allait faire cette cure de chimio en trois étapes comme indiqué et tout serait terminé, puis on rentrerait à la maison. Nous allions en venir à bout rapidement.
Aujourd’hui, au vu de mes croyances sur les médecines holistiques et la capacité du corps à guérir seul, je n’aurais jamais opté pour cette cure de chimio qui détruit les mauvaises cellules, mais aussi les bonnes…
Ma descente aux enfers commençait… La cure impliquait de nombreux changements dans notre quotidien dont je n’avais pas encore conscience… J’arrêtai mon activité professionnelle et je m’installai à l’hôpital avec lui. Tout allait bien pour le moment, il fallait juste que nous soyons ensemble, c’était la condition, nous ne pouvions pas nous séparer. Plus les jours passaient, plus les étapes devenaient difficiles : les multiples prises de sang traumatisantes, les opérations diverses et l’ultime mise en place d’un cathéter central auquel Hugo était relié en permanence pour faire circuler les traitements. Son petit corps commençait à fatiguer et à être bien marqué, mais je me laissais guider par la grande lumière qui habitait son cœur.
Quand on a la chance d’être en contact avec l’Amour véritable au moins une fois dans sa vie, et pour moi la source de lumière infinie, on peut s’agenouiller chaque jour et remercier Dieu jusqu’à la fin de ses jours pour ce cadeau. Avec du recul, je pense que toute épreuve peut être surmontée grâce à l’Amour. D’ailleurs, c’est l’époque de ma vie où j’ai été la plus heureuse malgré la maladie.
Et il paraît que Dieu nous envoie uniquement les épreuves que nous avons la force de surmonter.
Hugo connaissait au fond de son âme le but de son incarnation, ce qui faisait de lui un être hors du commun. Enfant précoce, vieille âme, être doté d’une intelligence supérieure… De nombreux termes pouvaient le qualifier, mais un seul le résumait bien : Amour.
L’hôpital était devenu notre seconde maison. Des heures, des jours passés à attendre que quelques globules blancs fassent leur apparition pour rentrer un peu à la maison. Le masque était notre meilleur allié.
Dès lors, je commençais à réaliser l’importance de la vie, qui prenait un sens différent. Chaque minute était précieuse, je vivais dans l’attente à travers les sourires d’Hugo, ses éclats de rire, sa générosité… Je savais que le lien qui nous unissait avait la force de tout surmonter, alors nous affrontions les effets secondaires de la maladie. Dans ces rares moments de découragement, ma positivité le rassurait et lui donnait la force de lutter.
Nous avons grandi ensemble à l’hôpital. Lui a appris à parler et à marcher très tôt ; il savait qu’il manquerait de temps pour tout faire ici-bas… Moi, j’ai appris la force de l’amour et du don de soi.
Pour Hugo, je n’étais pas sa maman, j’étais plus que ça : une partie de lui. Il m’appelait Mamine.
Il criait souvent afin que je n’oublie jamais : « Mamine, je t’aime ! » Ces mots résonnent encore souvent.
Son intelligence supérieure me questionnait souvent. Il vouait une passion au monde marin et en particulier aux requins, qu’il affectionnait tant. Il connaissait le nom de toutes les espèces de requins par cœur.
Nous habitions Antibes, dans le sud de la France, et le simple fait de voir la mer le rendait heureux. Parfois, avec de grandes précautions, nous allions profiter des premiers rayons de soleil sur la belle plage des Ondes au Cap d’Antibes. Avec très peu de globules blancs, la moindre infection pouvait lui être fatale. Notre vigilance était extrême.
Une seule chose l’animait dans ces moments-là : toucher l’eau salée, même glacée, et s’immerger dedans tout habillé. Il savait la préciosité de la vie, le plaisir de pouvoir déguster une part de pizza ou la joie de s’embrasser sans masque…des moments de bonheur intense.
De mon côté, je restais prudente. La rémission était en cours, mais je n’étais pas sereine.
Depuis mon plus jeune âge, je dévorais les livres d’Allan Kardec qui expliquaient le sens de la vie et surtout de la mort. Les autres lectures ne m’intéressaient pas. J’avais déjà, donc, bien conscience d’un monde supérieur, et Dieu me préparait surtout à l’épreuve, mais je ne le savais pas encore. J’avais aussi connaissance d’un centre spirite à Lyon, mais vivant dans le sud de la France, je ne pouvais pas m’y rendre facilement. Je voulais développer ma médiumnité et comprendre les lois spirituelles. C’était ce qui me passionnait.
Après quelques mois de convalescence, Hugo, du haut de ses trois ans passés, jouait dans le jardin et en le regardant, j’avais l’impression qu’une partie de son visage restait figée lorsqu’il parlait. Inquiète, j’essayai de le faire rire pour vérifier mes craintes. J’avais tendance à m’alarmer pour peu de choses.
Malheureusement, mes doutes se confirmèrent. Je voyais bien qu’une paralysie faciale s’installait. Je l’emmenai d’urgence à l’hôpital.
Quelques heures et analyses plus tard, on nous annonça une rechute sévère avec une autre forme agressive de cancer : un neuroblastome. Les guérisons sont possibles, et, pour nous rassurer, on nous présenta Benjamin, un jeune garçon atteint de la même maladie. Il revenait pour quelques contrôles, mais il était guéri.
Nous le revîmes quelques mois plus tard revenir dans l'unité de soins avec des métastases, il ne lui restait plus que quelques jours à vivre. Un choc terrible. Il décéda à l'hôpital. On le sortit ensuite rapidement de sa chambre pour éviter les regards et inquiétudes des autres enfants. C’était ainsi dans ce service : quand on ne voyait plus les enfants durant plusieurs semaines, on se questionnait. Parfois, le silence des infirmières en disait long.
Hugo commença de très lourds traitements et opérations, et on dut l’isoler un mois en bulle stérile. Je ne pouvais pas rester la nuit. Les pires heures de mon existence. L’équipement, pour pénétrer dans cette bulle, était pire que celui des astronautes. Pour voir l’évolution de la maladie, Hugo devait faire régulièrement des scintigraphies cérébrales : un appareil de torture qui immobilisait la tête de l’enfant durant près d’une heure entre deux plaques en métal. J’entends encore ses supplications.
Mais la force de notre amour nous permettait de remplir nos coupes dès que nous étions ensemble. Nous oubliions complètement la maladie jusqu’à ce qu’elle nous rappelle à l’ordre.
Mon Dieu, j’ai cru en toi dans les instants de bonheur infini et parfois je me suis longuement questionnée dans ces périodes de tourments. Pourquoi m’éprouves-tu autant ? Prends mon âme, je me livre entièrement à toi, mais ne fais pas souffrir la chair de ma chair, mon petit, ton enfant, ta lumière. Je ne comprends pas !
Et puis, une nuit d’été 2006 - après des mois de lutte, Hugo ne parlait plus, ne bougeait plus, il avait perdu la vue, le cancer avait envahi tout son corps physique depuis plusieurs jours - nous nous sommes allongés à ses côtés avec son papa et j’ai réalisé combien j’étais égoïste de le retenir ici alors que sa lumière pouvait éclairer tellement d’autres âmes de l’autre côté du voile.
Je lui ai dit que j’étais prête, qu’il pouvait partir dans l’invisible. Je lui parlais beaucoup de cette autre réalité qui l’attendait et que je connaissais grâce à mes lectures spirituelles. Puis, épuisés, nous nous sommes tous endormis malgré nous. À notre réveil, très tôt le matin, son petit cœur ne battait plus.
Ce jour-là, j’ai remis mon enfant dans les bras de Maman Marie et j’ai vidé toutes les larmes de mon corps. Mais Seigneur, je t’en ai voulu de m’arracher mon cœur.
Les semaines suivantes, le suicide m’a effleuré l’esprit. Le but était de le rejoindre rapidement. Mais comment aurais-je pu commettre l’irréparable alors que tous ces enfants malades se battent pour la vie, dans l’espoir de quelques cheveux qui repoussent ou de pouvoir manger une part de pizza (les traitements provoquent des inflammations des gencives rendant la mastication très douloureuse) ? Quel égoïsme ! Quelle honte que cette pensée me traverse l’esprit ! Et puis je savais qu’en se suicidant, on ne se retrouve pas propulsé au paradis comme on pourrait l’imaginer, délivré de toute souffrance, mais que c’est tout le contraire qui nous attend.
J’étais donc condamnée à vivre ici-bas et sans Hugo ! Une condamnation à vie que j’ai fini par accepter avec résignation. Mes croyances spirituelles et ma volonté m’ont aidée à reprendre doucement le cours de mon existence. Mais avancer sans Hugo, c’était comme avancer avec des membres en moins et un couteau qui lacère vos entrailles à chaque respiration. Et qu’elle est fade cette vie sans lui. L’ombre a remplacé sa douce lumière, les paysages n’ont plus de couleur et les aliments, un goût amer.
Je n’avais plus envie de vivre, quel intérêt ? Je n’avais plus de but, mais j’avançais malgré tout et j’essayais de comprendre en m’abreuvant de lectures spirituelles.
Quelques années plus tard, la vie m’a offert deux autres enfants : des anges qui apaisent mon cœur et mes plaies. Aujourd’hui, ils ont 16 et 17 ans. Ils ont grandi dans l’amour, on a fait du mieux qu’on a pu avec leur papa pour leur offrir la meilleure partie de nous. Ils n’ont pas connu leur grand frère, mais ils connaissent notre histoire, nos souffrances, et mes croyances en la vie après la vie.
La mort d’Hugo fut trop douloureuse et notre couple n’a pas survécu, malgré l’amour pour nos autres enfants. Cette épreuve peut, à terme, fortifier le couple si on arrive à surmonter la douleur ensemble, ou le détruire si on la vit chacun de son côté.
En 2018, d’autres épreuves me poussèrent à revenir à Lyon, d’où je suis originaire. L’un de mes premiers objectifs était de me rendre au centre spirite Allan Kardec afin d’obtenir des réponses, une ultime compréhension. Je les contactai tout d’abord par téléphone. Une dame répondit à mes questions avec beaucoup d’empathie et de compréhension, et me demanda de venir un mercredi discuter avec Gilles et les médiums. Il s’agissait de notre Catherine bien-aimée.
La semaine suivante, je m’inscrivis au cours pour développer ma médiumnité, mais mon but était surtout de comprendre pourquoi Hugo avait eu cette maladie rare, pourquoi tant de chagrins alors que Dieu est soi-disant Amour et qu’il ne souhaite que le bonheur pour ses enfants. Je me disais que s’il existait vraiment, il ne souhaiterait pas la mort des enfants. Ma foi a vacillé de nombreuses fois.
Le centre dispose d’une bibliothèque spirituelle riche d’ouvrages d’esprits canalisés par des médiums brésiliens comme Chico Xavier ou Divaldo Franco. Je renaissais un peu grâce à cet enseignement et, doucement, je comprenais que Dieu n’est pas responsable de nos incarnations.
Ces ouvrages ont été pour moi un remède apaisant. Au travers de ces lectures, j’ai rencontré de grands esprits comme Saint Paul, Thérèse d’Avila et Jésus qui ont réveillé ma foi, l’ont aidée à grandir et à s’épanouir.
Au centre, j’ai aussi fait la connaissance d’une grande et belle famille spirituelle, avec parmi eux des êtres qui ont été des cadeaux sur mon chemin. Nous savons que nous avons exploré d’autres vies ensemble et que nous nous suivrons encore dans d’autres.
À ce jour, je ne suis plus la même grâce à mes épreuves qui m’ont transformée, grâce à cet enseignement qui m’a fait grandir.
Après la désincarnation d’Hugo, je me suis réfugiée dans le travail et je suis devenue une vraie businesswoman à l'ambition débordante. Aujourd’hui, je n’ai plus aucune ambition si ce n’est celle de trouver la sérénité de l’esprit auprès des êtres que j’aime. Mon seul souhait est d’apporter aide, amour et consolation du mieux que je peux.
Dans les domaines où j’ai pu évoluer, on m’a souvent reproché mon manque de culture politique ou cinématographique. En effet, je n’étais intéressée que par la spiritualité.
Je me dis à présent que faire sa vie comme si on n’allait jamais mourir et ne se poser aucune question sur l’après-vie, ses actes du quotidien et ses imperfections est la pire des ignorances. N’est-ce pas la plus belle des cultures, celle qui élève l’âme ?
Je continue donc mon chemin ici-bas. Il est sinueux, les attaques sont fréquentes et je trébuche beaucoup, mais à présent, je sais qu’au bout de ces expériences sanctifiantes, il y a Hugo qui m’attend.
Je ne précipite rien car j’ai compris que les personnes qui m’aiment ont encore besoin de moi. Et parfois, quand de belles vibrations d’amour m’envahissent, je sais qu’il est à mes côtés et qu’il m’encourage à toujours aller de l’avant.
J’aimerais que tous les parents qui ont perdu un enfant ou qui sont dans l’affliction sachent trouver dans la doctrine spirite les réponses à toutes leurs questions. Lorsque le chagrin laisse place à la compréhension, c’est une nouvelle voie d’espérance qui se dessine.
L’absence d’Hugo a laissé une plaie béante en moi, une douleur qui ne s’atténuera jamais vraiment. Il me manque, ses rires, la douceur de sa peau, ses grands yeux malicieux... On ne surmonte jamais la perte d’un enfant. C’est un vide qui ne peut pas être comblé malgré le temps qui passe.
Cependant, la compréhension m’a permis de continuer à avancer, de trouver un sens au-delà de la douleur : comprendre que la mort n’est pas une fin, mais une transition, m’a donné la force de me lever chaque jour.
C’est dans mes recherches, mes lectures et grâce au centre spirite Lyonnais que j’ai trouvé ce réconfort. Non pas en espérant effacer la souffrance, mais en acceptant que l’amour que je porte à Hugo transcende les frontières physiques. Il est toujours là, vivant, dans une autre réalité. Cette certitude n’a pas effacé mon chagrin, mais elle m’a permis de donner un sens à l’insupportable.
Christelle Tortorici