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Découvrez des vidéos liées au spiritisme que nous sélectionnons pour vous chaque mois dans notre galerie vidéo.

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Spiritisme de Victorien Sardou
Spiritisme de Victorien Sardou

Ce mois-ci, nous vous présentons Spiritisme une comédie dramatique en 3 actes écrite par Victorien Sardou, et représentée pour la première fois sur la scène du théâtre de la Renaissance le 8 février 1897.
Le rôle de Simone était alors tenue par Sarah Bernhardt.

 Pièce de théatre, le spiritisme de Victorien Sardou

Jean Sardou écrira : « Cette comédie dramatique, éditée pour la première fois, est sans doute l'œuvre la plus ignorée de Victorien Sardou ; elle retiendra l'attention du lecteur par la hardiesse de sa conception, l'auteur n'ayant pas craint d'affirmer hautement, dans " Spiritisme ", sa croyance en la survie, la possibilité même pour les morts, dans certains cas, de la prouver. »

ACTE I

Au mois d'août, à Saint-Jean-de-Luz. Il fait nuit. Un salon de campagne. A droite, premier plan, cheminée.
Deuxième plan, porte d'appartement. Au fond, sur la droite, large porte-fenêtre à deux battants ouvrant sur une terrasse qui domine un jardin. Dans le lointain, au delà du jardin, à gauche, la mer. A droite, des villas. A gauche de cette baie, le salon se prolonge en un petit renfoncement dont un divan fait le tour.
Une table, au milieu. A gauche de la scène, porte d'entrée au deuxième plan. Meuble faisant pendant à la cheminée. Sur la scène, tables, chaises, canapés, guéridons, etc…

SCENE I

MARESCOT. (A Georges) Vous êtes allé à Fontarabie ?

GEORGES. Avant hier, avec ma femme.

MARESCOT. Comment a-t-elle trouvé cela ?

GEORGES. Oh ! Elle ! Enchantée ! Ces ruelles escarpées !… Ces balcons ventrus… ces grilles espagnoles !… Elle rêvait sérénades, escalades, bastonnades, estocades, alcades !… Une romantique attardée, Raymonde !

MARESCOT. Pas vous ?

GEORGES. Oh ! Fichtre non, pas moi !

MARESCOT. Vous êtes plutôt un Oriental, vous !

GEORGES. Plutôt !… La sieste, le kieff. J'exècre le mouvement, et j'ai une femme qui ne peut pas rester en place ! Elle a voulu à tout prix venir à Saint-Jean-de-Luz, passer une quinzaine chez mon frère. Demain, nous irons passer une autre quinzaine à Roscoff, chez ma mère ! Et après ça, il faudra encore aller à Aubenas.

DES AUBIERS. (qui est descendu prendre et allumer un cigare) Ouvrir la chasse ?

GEORGES. Pas moi !… Je trouve ça fatigant, la chasse !

DES AUBIERS. C'est aux environs de Poitiers, Aubenas ?

GEORGES. A trois lieues, au bord du Clain. Y serez-vous ?

DES AUBIERS. A notre retour d'Espagne. J'ai promis à Gilberte de lui faire voir Grenade…

GILBERTE. Mais oui !

DES AUBIERS. Il paraît que c'est très beau, cette propriété de votre frère ?

GEORGES. Aubenas ? Oui.

MARESCOT. Superbe !… Des bois admirables, des eaux courantes !…

DES AUBIERS. Votre frère s'y plaît beaucoup ?

GEORGES. Oh ! Lui ! Tout l'amuse : engrais, archéologie, semailles, astronomie, vendanges et physique. Haras. Histoire et pisciculture. Il mène tout à la fois ! Et avec une passion ! Rien qu'à le voir, j'en suis éreinté !

DES AUBIERS. Il est là-bas, avec le docteur Davidson, à regarder dans sa lunette, les montagnes de la lune !

MARESCOT. Stupéfiant, cet écossais, avec ses expériences !

DES AUBIERS. Oui ! Au moment même on est ahuri ! Et le lendemain, on se demande si on n'a pas été dupe d'un charlatan !…

GEORGES. Moi, cela me laisse froid !

DES AUBIERS. Je serais curieux de savoir ce qu'en pensera votre ami qui nous est arrivé à l'heure du dîner et qui cause sur la terrasse avec votre belle-sœur.

GEORGES. Clavières.

DES AUBIERS. Votre cousin, n'est-ce pas ?

GEORGES. Par alliance ! Clavières et Simone ont eu pour mères les deux sœurs. Ils ont été élevés ensemble, chez le père de Simone, qui avait recueilli son neveu, orphelin dès l'enfance, en sorte qu'ils ont grandi, côte à côte, dans une affection et une intimité fraternelles.

DES AUBIERS. Garçon, ce Clavières ?

GEORGES. Garçon, très à son aise ! Encore un qui ne peut pas tenir en place ! Il est allé partout. Pour l'instant, il revient des Indes, en compagnie d'une fort belle personne, Lady Barlington, dont le mari est à Londres, gâteux, pour n'avoir pu se tenir tranquille comme moi !

DES AUBIERS. (En riant) Mais alors ?

GEORGES. Parfaitement ! Une liaison si sérieuse qu'elle est presque officielle en attendant que le trépas du bon Lord permette de le rendre légitime !

DES AUBIERS. Voici votre belle-sœur.

 

SCENE II

Les mêmes, Simone, Gilberte, Valentin qui descendent avec Mikaël, puis plus tard d'Aubenas et Douglas. Simone entre par le fond avec Gilberte, qui va retrouver à gauche Thécla et Raymonde, avec qui elle descend peu après. Simone, à son entrée, descend en scène en causant avec Valentin et Manoël.

MARESCOT. C'est la fraîcheur qui vous chasse ?

SIMONE. Oui, le vent se lève !

MARESCOT. Et ce départ tient toujours pour ce soir ?

SIMONE. Toujours ! Je préfère voyager la nuit. Thécla et moi dormons très bien en chemin de fer. (A Thécla qui descend) N'est-ce pas ?

THECLA. Oh ! Moi, je dors en marchant ! Comme les soldats !

MARESCOT. Quelle dispersion ! Départ ce soir de la Comtesse et de vous, pour Poitiers ! Départ demain de Georges pour Roscoff ! De votre mari et moi pour Cherbourg, de monsieur et de madame des Aubiers…

DES AUBIERS. Pour Saint-Sébastien…

MARESCOT. De Monsieur ?…

MANOËL. Pour Bordeaux !

MARESCOT. Et de Monsieur ?

VALENTIN. Pour l'Ecosse !

GEORGES. Et dire qu'on serait si bien à Paris !

RAYMONDE. Oh ! Mon Dieu ! Vous l'avez tout l'hiver, votre Paris.

SIMONE. Et c'est bien assez !

GILBERTE. Assez ?

SIMONE. Oh ! Dieu oui ! Je ne suis jamais pressée d'y rentrer ! Pour y tourner comme un cheval de manège, dans le même cercle des mêmes dîners, avec les mêmes convives ! Des spectacles où l'on voit toujours la même pièce ! Des promenades dans les mêmes bois, aux mêmes heures, et des visites aux mêmes gens qui se soucient aussi peu de les recevoir que vous de les faire ! Quelle corvée ! Avait-il assez raison, l'Anglais de s'écrier : " Sans les plaisirs du monde, la vie serait à peu près supportable ! "

GILBERTE. Mais c'est très amusant, tout cela !

SIMONE. Pour vous, mignonne, qui sortez du couvent !

GILBERTE. Et les soirées et les concerts, et les garden-parties, le concours hippique, les courses, les expositions, le grand prix !

SIMONE. Oui ! Oui ! Charmant, tout cela, au début ! Mais quand vous l'aurez pratiqué pendant dix ans ! (Désignant Valentin) Voilà celui que j'envie, tenez ! Il voyage, lui !

VALENTIN. Il ne tient qu'à toi !

SIMONE. En Suisse, n'est-ce pas ? Ah ! Si j'étais homme… ou libre !

VALENTIN. Où irais-tu ?

SIMONE. Au bout du monde ! Comme toi !

VALENTIN. Pour ?

SIMONE. Pour changer d'air et vivre à ma guise ! Pour connaître un peu la faim et l'appétit ; la fatigue de la marche et le bon sommeil sur la mousse, à la clarté des étoiles ! Pour fouler les hautes herbes des prairies aux senteurs sauvages. Pour me désaltérer et nager dans la belle eau vierge d'un vrai fleuve, qui ne roule pas de la boue entre une ligne de tramways et des cheminées d'usines !

VALENTIN. Oui !… Mais il y a trop de bêtes ! Tu ne pourrais pas nager dans ton vrai fleuve, parce qu'il y flotte de vrais caïmans ! Tu ne foulerais pas les hautes herbes des prairies où flânent les serpents ! Et les maringouins t'empêcheraient de dormir sur la mousse où grouillent les fourmis rouges, les araignées, et des mille-pattes longs comme ça !

GILBERTE. (Avec dégoût) Euh !

GEORGES. A la bonne heure !… Voilà parler.

SIMONE. Alors, pourquoi y vas-tu dans ces pays-là ?

VALENTIN. Pour le plaisir d'y être allé ! Car ce qu'il y a de mieux dans le voyages, c'est le souvenir ! Souvent l'hiver, au coin du feu, après dîner, en fumant un cigare, j'évoque ce passé !… Je me revois, il y a six ans, à la même heure, sur un affluent de l'Amazone, entre deux rives bordées d'arbres gigantesques, formant voûte sur ma tête !… Un tunnel de verdure que perçaient les flèches d'or du soleil couchant ! Et je me dis : " Ca devait être très beau " Mais à ce moment-là, j'étais dans un canot troué, à la merci de deux indiens suspects, sans autre nourriture que le produit douteux de ma chasse, du pain moisi, et des conserves tournées en huile ! Je grelottais la fièvre, je souffrais d'une entorse, j'étais la proie des moustiques et des mouches noires ! Et je pensais : " Oh ! A cette heure-ci, les Champs-Elysées, à la lumière électrique, quelle belle contrée !… Oh ! Un châteaubriant béarnaise, arrosé de Chambertin ! Quelle riche nature !…

SIMONE. Oh ! Le prosaïque !

VALENTIN. Oh ! La romanesque !

DES AUBIERS. Vous êtes allé dans l'Inde ?

VALENTIN. J'en viens.

MARESCOT. Avez-vous vu des fakirs ?

VALENTIN. Des fakirs ? Oui !

MARESCOT. Vous ont-ils, d'une graine mise en terre sous vos yeux, fait sortir, en moins d'une heure, un arbuste, avec toutes ses feuilles ?

VALENTIN. Non ! Mais j'ai vu aussi curieux.

RAYMONDE. Par exemple ?…

VALENTIN. Par exemple, un certain Soudraky…

MARESCOT. Un fakir ?

VALENTIN. Un fakir, oui ! Etalait une couche d'un sable très fin, qu'il aplanissait avec soin. Je lui jetais un porte-plume en bambou. Il le posait sur ce tapis de sable, puis allait à trois mètres de là, s'étendre à terre, tomber en catalepsie, immobile et raide, comme un cadavre ! Je tirais mon calepin pour y écrire tout ce qui me passait par la tête. Au moment précis où mon crayon traçait la première lettre, le bambou, jeté sur le sable, se dressait de lui-même… (Exclamations) De lui-même, sans que le fakir eût fait le moindre geste, et sur le sable, le bambou suivait exactement les mouvements décrits par mon crayon sur la papier. Lorsque j'avais cessé d'écrire, je retrouvais mot pour mot sur le sable les phrases que j'avais écrites sur le calepin… (Exclamations de tous)

GILBERTE. Oh ! Très joli !

MARESCOT. Charmant !

THECLA. D'habiles jongleurs ! Voilà tout !

VALENTIN. Evidemment ! Mais il est impossible de surprendre la moindre supercherie, de découvrir le truc. Il n'y a pas ici un théâtre, des planches, un sous-sol, des fils électriques, etc… C'est la terre nue, un homme nu, en plein jour, avec vos propres ustensiles ! Et notez qu'il n'accepte aucun salaire, pas même un cadeau !

SIMONE. C'est par amour de l'art ?

VALENTIN. Et d'un art sacré ! Dont ils se disent les disciples !

THECLA. Ils donnent bien pourtant une explication quelconque !

VALENTIN. Tous la même ! Je me prépare, disent-ils, pendant des années d'abstinence, le jeûne et la macération ! Et j'évoque les Esprits de mes ancêtres qui font tout ce que tu vois. Je ne suis que l'instrument !

MARESCOT. Le médium !

SIMONE. Il faut te dire, mon bon Valentin , que tu tombes ici en plein spiritisme !

VALENTIN. Oh ! Oh ! Vous faites tourner les tables ?

GILBERTE. Depuis quatre jours.

VALENTIN. Et le médium ?

RAYMONDE. Le docteur Davidson !

VALENTIN. Et les résultats ?

SIMONE. Les deux premières soirées médiocres…

THECLA. Oh ! Oui !

SIMONE. Mais il paraît qu'hier au soir, tandis que nous étions au Casino avec Monsieur (Elle désigne Mikaël), ces dames et moi, pour la représentation d'une troupe en tournée, ces messieurs ont obtenu des manifestations…

RAYMONDE. Stupéfiantes !

GILBERTE. A deux heures du matin, Arthur m'a réveillée, pour me crier : " Inouï ! Renversant ! Pas moyen de douter ! "

DES AUBIERS. Oui, mais ce matin, au réveil…

GILBERTE. Il m'a dit : " Si c'était de la blague ! "

MARESCOT. Eh ! Oui ! Au moment même, on dit : " Ah ! " Mais le lendemain, de sang-froid, on pense : " Ai-je bien vu ? "

D'AUBENAS. (Qui sur les derniers mots est descendu avec Douglas, allumant une cigarette) Et dans trois jours, mon ami Marescot dira : " Je n'ai rien vu ", pour qu'on ne se moque pas de lui !

MARESCOT. Dame !

D'AUBENAS. Avoue, va ! Tu n'es pas le seul !

THECLA. Vous admettez bien, je pense, qu'on soit incrédule ?

D'AUBENAS. Certes ! Quand on n'a rien constaté.

VALENTIN. Comme moi.

D'AUBENAS. Vous n'avez pas été témoin ?…

VALENTIN. De rien ! On me promettait merveilles. J'arrivais… Néant ! J'ai fini par croire que l'on se moquait de moi !

THECLA. (Railleuse) Qui, on ? Docteur ? Les Esprits ?

VALENTIN. Il y a donc des farceurs, dans l'autre monde ?

DOUGLAS. Mais oui !

THECLA. (A mi-voix) Je crois qu'il y en a surtout dans ce monde-ci !

VALENTIN. (A d'Aubenas) Voyons, cher ami, tout de bon, vous ne croyez pas à ces Esprits-là ?

D'AUBENAS. Je laisse au docteur la responsabilité de cette explication et je m'en tiens à la réalité des faits qui sont incontestables. Quand aux causes…

VALENTIN. (A Simone qui depuis quelque temps cause avec Mikaël, sans écouter ce que l'on dit) Et Simone, qu'en dit-elle ?

SIMONE. Oh ! Moi, tu sais… ces choses-là !… (Elle reprend sa conversation avec Mikaël)

VALENTIN. Ah ! Bien, si on avait prédit à Voltaire que cent ans après sa mort des Parisiens s'amuseraient à des histoires de revenants, comme les bonnes gens de son temps à la veillée du soir ! Eut-il assez bondi !

D'AUBENAS. Mais eut-il assez traité de Welche l'homme qui lui eût prédit que de Ferney, il pourrait entendre jouer Mérope à la Comédie-Française !

DES AUBIERS. Et puis, Voltaire est démodé ! Tandis que les revenants reviennent à la mode !…

MARESCOT. Le fait est qu'on n'en a jamais tant parlé, d'apparitions, de maisons hantées, de satanisme, de messe noire.

RAYMONDE. (Avec envie) Oh ! La messe noire !

GEORGES. (Doucement) Raymonde ! Ma chère !

RAYMONDE. (De même) Oui, mon ami…

DES AUBIERS. Et d'occultisme, et d'envoûtement, et de chiromancie…

SIMONE. Oh ! C'est le triomphe de Stoudza, la chiromancie. Montrez-lui vos mains, et il va vous prédire, à tous, vos destinées.
(Exclamations )

RAYMONDE et GILBERTE. (A Mikaël) Oh ! Dites ! Dites !

MIKAËL. (Se défendant) Madame d'Aubenas m'attribue un talent !

SIMONE. Allons, ne faites pas le modeste, vous m'avez dit des choses étonnantes !

GILBERTE. (A Mikaël) Allons, monsieur Stoudza !

RAYMONDE. Ne vous faites pas prier !

MIKAËL. Pour vous obéir donc ! ( Tous remontent au fond, entourant Mikaël à qui les femmes montrent leurs mains. Exclamations et rires de temps en temps, pendant la scène suivante. D'Aubenas et le Docteur remontent à droite vers la terrasse)

VALENTIN. (Prenant une chaise et s'asseyant près de Simone) Causons un peu tous deux, car nous allons nous séparer et je n'aurai pas eu le temps de te dire un mot.

SIMONE. Tu ne viens pas ouvrir la chasse à Aubenas ?

VALENTIN. Non ! Je vais chasser la grousse en Ecosse.

SIMONE. Ton Anglaise ne te donne donc jamais congé ?

VALENTIN. Si peu !

SIMONE. Et tu iras encore passer l'hiver aux Indes, avec elle ?

VALENTIN. Non !… En Egypte, cette fois !…

SIMONE. Bref ! On ne te voit plus !

VALENTIN. Est-ce ma faute ? J'arrive… Tu pars.

SIMONE. Ce soir !

VALENTIN. Avec Robert ?

SIMONE. Non ! Il va à Paris pour une dizaine de jours ! Je ne sais quelle réunion scientifique où il doit lire un rapport sur je ne sais quoi. Il ne sera à Aubenas que dans la huitaine, en même temps que moi !

VALENTIN. Tu n'y vas pas directement ?

SIMONE. Je vais d'abord passer huit jours à la Noiselle, une propriété que Thécla vient d'acheter à deux lieues d'Aubenas.

VALENTIN. Si intime que ça avec cette comtesse ?

SIMONE. Thécla ! C'est une excellente amie ! J'ai fait sa connaissance l'an passé ici même. Tiens, à propos de cette jeune fille qui se noyait et qu'elle a sauvée à la nage ! Nous nous sommes beaucoup fréquentées cet hiver et je m'en félicite tous les jours. Quand tu la connaîtras !…

VALENTIN. Oh ! Je la connais déjà !… de réputation… C'est une roumaine ?

SIMONE. Oui !

VALENTIN. Femme d'un boulanger !

SIMONE. Thécla !

VALENTIN. Qu'elle a planté là pour courir la prétentaine, jusqu'au jour où la générosité d'un grand duc lui a donné sa fortune actuelle, et ce titre de comtesse quelconque !…

SIMONE. (En récriant) Oh ! Ce roman !… Elle est veuve d'un général hongrois ! Qui est-ce qui t'a conté cela ?

VALENTIN. Le baron Walferstein, secrétaire de l'ambassade d'Autriche à Londres, qui l'a débauchée en lui achetant des choux à la crème !

SIMONE. Oh ! Par exemple ! Je lui conterai cela. Ca l'amuser bien !

VALENTIN. Crois-tu ? Et ce bellâtre, là-bas, d'où sort-il, celui-là ?

SIMONE. Mikaël ?

VALENTIN. Oui !

SIMONE. C'est un serbe ! De Belgrade !

VALENTIN. Célibataire ? Marié ?

SIMONE. Célibataire !

VALENTIN. Ah !… Profession ?

SIMONE. Aucune. Il a des petites propriétés là-bas, qu'on fait valoir pour lui.

VALENTIN. Encore un voisin d'Aubenas ?

SIMONE. Non ! Mais de Saint-Jean-de-Luz, où il est déjà venu passer la saison d'été, l'an dernier. Il a loué cette année, une maisonnette, là, de l'autre côté de la rue, en face.

VALENTIN. Il me paraît ici sur un pied un peu familier.

SIMONE. C'est un garçon très complaisant, très doux, bon musicien. Il a publié un petit recueil de mélodies serbes, charmantes : " Les Echos du Danube ".

VALENTIN. Oh ! Je connais ça.

SIMONE. Sûrement !

VALENTIN. " Les Echos du Danube " par Mikaël Stoudza !

SIMONE. Oui !

VALENTIN. Parfaitement ! J'y suis ! Ah ! C'est ce monsieur-là ! Eh bien ! Il y a une jolie histoire sur son compte.

SIMONE. Quelle histoire ?

VALENTIN. Tu ne la connais pas ? La petite Sarah Vandenyver, la fille du banquier, qu'il a voulu compromettre pour l'épouser…

SIMONE. Quelle infamie !… On a osé…

VALENTIN. La petite avait fait la sottise d'écrire une lettre qui semblait en dire plus long qu'il n'y en avait réellement. La police s'en est mêlée, et le galant a dû restituer la lettre… de bonne grâce.

SIMONE. C'est une calomnie ! Mikaël m'a dit la chose comme elle était. L'ingénue s'était amourachée de lui, et c'est lui qui a prévenu le père, pour ne pas être accusé de suborner une mineure !…

VALENTIN. Angélique, tout bonnement !

SIMONE. Je te dis !…

VALENTIN. Admettons-le ! J'aime mieux l'admettre ! Mais quelle chaleur, ma chère, à le défendre !

SIMONE. J'ai horreur du mensonge !

VALENTIN. Moi aussi ! Et ce monsieur-là…

SIMONE. (L'interrompant) Si tu n'es venu que pour dire du mal de mes amis…

VALENTIN. (La faisant rasseoir) Allons ! Allons ! Je suis le meilleur de tous, tu le sais bien. Et le plus ancien. Celui qui, toute gamine, te portait dans ses bras pour ne pas mouiller tes petits pieds dans la rosée du matin, et qui attrapait pour toi des papillons. Ton excellent père qui te gâtait !… Dieu sait ! m'avait investi de l'autorité d'un grand frère, avec mission de veiller sur toi et de te gronder au besoin ! On ne refait pas d'anciennes habitudes. Je veille encore et je gronde un peu, très peu, comme un bon vieux chien de garde, qui ne peut pas se résigner à ne plus grogner aux figures suspectes… On risque de se faire renvoyer à sa niche…

SIMONE. Tu sais bien que de toi, j'accepte tout, et que tu peux tout dire sans me fâcher.

VALENTIN. Alors, je continue ?

SIMONE. Si tu veux !

VALENTIN. Oui, pour ce que ça t'émeut !

SIMONE. Tu es drôle ! Va, va, grogne à ton aise. Grogne ! Toutou !

VALENTIN. Eh bien ! Eh bien, quand j'ai traversé Paris cet hiver, j'ai constaté chez toi la lassitude, la satiété qui résultent forcément d'une vie aussi désœuvrée qu'est la tienne, et j'ai pensé : voilà ma Simonette sur la mauvaise pente qui, du désœuvrement glisse à l'ennui et de l'ennui à toutes les sottises… A ton âge, a dit Balzac, toute femme s'aperçoit qu'elle est dupe de l'état social.

SIMONE. Oh ! Que c'est vrai !

VALENTIN. Mais comme nous sommes vos dupes, ça rétablit l'équilibre ! A ton âge, dis-je, celle qui n'est pas sauvegardée par la froideur de son tempérament, le grand souci de ses devoirs, ou ceux de la maternité, se laisse aller par curiosité, par esprit d'imitation, par besoin d'émotions nouvelles, violentes, qui fouettent ses nerfs, à la folle envie d'avoir, elle aussi, son petit roman, dont la conclusion mélancolique est que l'amour illégal ne diffère pas sensiblement du légitime et que ce n'était pas la peine d'aller chercher si loin un bonheur aussi tiède que celui qu'elle avait à domicile !…

SIMONE. Quel prêche ! C'est ton Anglaise qui t'a moralisé à ce point-là ?

VALENTIN. Tu me blagues, mais si j'ai fait des sottises, c'est bien le moins que leur expérience soit à ton profit.

SIMONE. Et moi ? Et à quel propos ?

VALENTIN. Simonette, tu es une exaltée, une impulsive ! Une passionnée, dupe de son imagination ! Quand tu étais petite, je n'ai jamais pu te faire admettre que les champignons, aux plus belles couleurs, étaient les plus vénéneux, et il ne faut pas être sorcier pour constater qu'en ce moment même cette imagination s'égare vers des rives lointaines et te fait prendre en dégoût la bonne allée sablée et le bon petit trottoir du bonheur conjugal.

SIMONE. Oui ! Parlons-en de ce bonheur-là !

VALENTIN. Tu n'as pas un bon mari, le plus brave et le plus honnête qui soit ?

SIMONE. Oh ! Pour être honnête et bon, oui.

VALENTIN. Et qui t'aime ?

SIMONE. A sa manière !

VALENTIN. Pas si mauvaise ! Il satisfait à tous tes caprices, n'a d'autres volontés que les tiennes, te laisse toute liberté, n'est ni despote, ni égoïste, ni grondeur, ni jaloux !…

SIMONE. Oh ! Cela non !

VALENTIN. Tu t'en plains ?

SIMONE. Mais c'est quelquefois agaçant, tu l'avoueras, cette satisfaction de lui-même, qui lui donne tant de sécurité !…

VALENTIN. Ah ! Bon !

SIMONE. Il semble dire : " Oh ! Moi, je suis bien tranquille. Je ne suis pas de ceux qu'on trompe, moi ! Oh ! Ma femme n'est pas de celles qui excitent des passions !… " Cela donne envie de lui crier : " Vous n'êtes pas si parfait que cela, et je ne suis pas si dédaignée qu'il vous semble ! "

VALENTIN. Admirons l'art exquis avec lequel tu lui fais un crime de sa confiance en toi !

SIMONE. C'est de l'indifférence ! Mais oui ! Il se soucie bien de moi ! Il n'a en tête que sa physiologie, sa biologie !

VALENTIN. Plains-toi ! Après huit ans de mariage, de n'avoir pas à lui reprocher d'autres rivales que celles-là !

SIMONE. Pour ce que j'y gagne !

VALENTIN. Oh ! Simonette !

SIMONE. Et ce n'était pas assez de ses alambics, de ses cornues, et de ce laboratoire, d'où il me revient avec des odeurs de pharmacie, ne voilà-t-il pas qu'il veut savoir ce qui se passe dans l'autre monde !

VALENTIN. Le spiritisme !

SIMONE. Oui ! Comme s'il ne ferait pas mieux de s'occuper de celui-ci !

VALENTIN. Ah ! Ca, c'est donc sérieux ?

SIMONE. Je te crois !

VALENTIN. J'ai cru qu'il s'agissait d'amusettes de salon.

SIMONE. Ah ! Tu le connais bien ! C'est une nouvelle passion ! Les autres l'absorbaient tout le jour ! Celle-ci l'occupera toute la nuit !

VALENTIN. Et c'est cet Ecossais qui lui a mis cela en tête ?

SIMONE. Eh ! Oui ! Ils ont d'abord échangé des lettres, des brochures, des livres, sans s'être jamais vu. Puis ce docteur, revenant des Pyrénées, l'a invité à s'arrêter ici, trois ou quatre jours, pour nous faire voir ses petits talents. Le premier soir, ça m'amusait assez de voir le guéridon craquer sous ses doigts, lever un pied, frapper des coups ! Mais le lendemain, j'ai trouvé le badinage un peu monotone et j'ai quitté la place.

VALENTIN. Comment d'Aubenas peut-il être la dupe de ce docteur exotique ?…

SIMONE. Un charlatan, n'est-ce pas ?

VALENTIN. Parbleu ! Je vais tâcher de débiner ses trucs ! Mais il y en a un autre, ma petite Simonette, que je te signale !

SIMONE. Un autre ?

VALENTIN. Charlatan, oui ! Le Serbe !

SIMONE. Mikaël !

VALENTIN. Manifestement épris de toi, ou du moins s'en donnant l'air.

SIMONE. (Gênée) Tu as vu cela ?

VALENTIN. Et ses assiduités ne te sont pas désagréables, j'ai encore vu ça !

SIMONE. (Vivement) A quoi ?

VALENTIN. Tu me fais rire !

SIMONE. Alors il faudra le congédier pour te plaire ?

VALENTIN. Ah ! Que j'en serais donc charmé ! Et si la Thécla pouvait détaler avec lui, bras dessus, bras dessous ! Comme ils sont venus, d'ailleurs ! Car c'est elle qui te l'a présenté, n'est-ce-pas ?

SIMONE. Oui.

VALENTIN. Je l'aurais parié !

SIMONE. Pourquoi ? Mikaël est son ami !

VALENTIN. Il a dû mieux que ça !

SIMONE. (Haussant les épaules avec dépit) Lui ? Tu es fou, on ne peut pas causer sérieusement avec toi !
(Elle remonte. Un maître d'hôtel, au fond, et un valet de pied servent du thé, de la bière, de l'orangeade, etc… sur la table. Les personnages assis, groupés sur la terrasse, ou dans le fond du salon, pendant la scène suivante).

VALENTIN. (Seul) Décidément, j'irai à Aubenas, ouvrir la chasse contre lui !

D'AUBENAS. (A Simone qui traverse la scène pour sortir par la droite) N'oubliez pas, Simone, que vous prenez le train de onze heures deux…

SIMONE. Tout est prêt ! Je n'ai qu'à changer de toilette.

D'AUBENAS. Bastien ira enregistrer les bagages et prendre vos places !

SIMONE. Thécla ! (Bas à Mikaël) Soyez sur vos gardes ! Valentin a des soupçons ! (Haut à Thécla) Il est temps de nous apprêter, ma chère ! (Elle sort)

THECLA. Oh ! Moi ! En dix minutes, c'est fait !

D'AUBENAS. Ne manquez pas le direct ! Vous seriez condamnée à prendre, un quart d'heure après, le train suivant qui s'arrête à toutes les stations ! (Il remonte)

THECLA. L'omnibus, oui, une charrette. (Elle va pour sortir par la porte droite)

MIKAËL. Comtesse ! (Elle s'arrête) Pardon !

THECLA. Parlez vite, car je suis pressée, vous voyez… (Ils descendent l'avant-scène)

MIKAËL. Deux mots seulement…

THECLA. Oh ! Vous avez l'air contrarié. (Baissant la voix) De la brouille ? (Ils jouent toute la scène debout, à mi-voix, avec la préoccupation de ne pas être entendus.)

MIKAËL. Non ! Simone ne vous a rien dit ?

THECLA. Si ! Que vous lui proposiez une folie !

MIKAËL. Mais non ! Il s'agit de vous laissez partir seules, vous et sa femme de chambre, tandis qu'elle viendrait chez moi ce soir, pour n'en sortir que demain l'après-midi.

THECLA. Et naturellement, elle trouve cela dangereux !

MIKAËL. A tort ! Ca l'est moins que ce qu'elle a fait cette semaine, de venir chez moi en plein jour !

THECLA. Par la ruelle déserte, sur laquelle ouvre votre jardin ! Mais non ! En cas de rencontre, elle passait par là, voilà tout ! Mais le soir !… Et puis votre plan est peut-être si mal conçu !

MIKAËL. (La retient) Il est parfait ! A la seule condition que d'Aubenas ne vous accompagnera pas à la gare.

THECLA. C'est possible !

MIKAËL. Mais s'il n'en fait rien, tout est d'une simplicité !… (Il la fait asseoir) Vous allez à la gare en voiture. Simone, vous, et Delphine, qui lui est dévouée comme un caniche ! La voiture vous dépose dans la cour et repart. Vous prenez vos places, vous et Delphine, et entrez dans la salle d'attente, tandis que Simone encapuchonnée, voilée, rebrousse chemin, me trouve à un endroit convenu, prend mon bras, et par les rues vides à cette heure-là, gagne ma maisonnette, où nous sommes seuls. J'ai donné congé à mon domestique pour quarante-huit heures. Il est à Biarritz. Demain, vers quatre heure, j'attelle et je conduis Simone en voiture à la station de Guethary. Elle y prend le train à 6 heures, qui la dépose après-demain à Poitiers, où Delphine l'attend, et toutes deux arrivent chez vous tranquillement avec un retard de vingt-quatre heures, que nul ne soupçonne.

THECLA. C'est assez effronté, cette petite combinaison !

MIKAËL. Tâchez donc, chère amie, de lui faire comprendre.

THECLA. Merci !… Je ne suis pas d'un âge à accepter le charitable emploi que vous daignez m'offrir.

MIKAËL. Ah ! Voyons, Thécla, vous n'allez pas faire la bégueule avec moi !

THECLA. Non ! Mais le rôle de confidente me suffit.

MIKAËL. Vous blâmez Simone d'être à moi !

THECLA. Oh ! Dieu ! J'en suis ravie au contraire. D'abord je ne supporte pas son pédant de mari. Il est ridicule cet homme avec ses bocaux et ses bouquins. Et puis, elle m'agaçait cette vertu robuste, sans le moindre accroc !… Et enfin, l'amour, c'est ma spécialité, à moi, depuis l'âge de raison. Ces galanteries m'amusent follement ; quand je ne suis pas toute aux miennes, je n'ai en tête que celles des autres ! Vous ne sauriez vous figurer mon amusement à suivre votre petit manège à tous deux, depuis trois mois, en faisant des vœux pour vous… mentalement ; car elle ne me disait rien de ces escarmouches !… Et, quand, avec ce besoin d'épanchement, qui suit toujours la déroute, elle me fit, il y a huit jours, l'aveu de sa défaillance de la veille, je l'embrassai avec une effusion… Ah ! Bien sincère ! Enfin… elle aussi ! Une de plus ! Ca fait toujours plaisir ! (Se levant) Vous viendrez à Aubenas pour la chasse ?

MIKAËL. (Se levant) Parbleu !

THECLA. Voilà encore de quoi me distraire agréablement… Surtout si ça se corse un peu, et tourne au drame… ou à la comédie que vous avez rêvée.
(Mouvement)

MIKAËL. (La retenant, passe au-dessus d'elle) La comédie ?

THECLA. Oh ! Ne jouez pas à l'innocent, cher ami, dans les quinze jours où nous avons flirté, à Monaco…

MIKAËL. (Riant) Oh ! Flirté ?

THECLA. Oui, une quinzaine, en voyage… ça ne compte pas.

MIKAËL. Merci !…

THECLA …J'ai eu le temps d'apprécier ce que vous valiez…

MIKAËL. (Riant) Je l'espère !

THECLA. Non !… J'entends à l'américaine, financièrement.

MIKAËL. Ah ! Bon !

THECLA. Une forêt, quelques métairies, exploitées à frais communs par un beau-frère. Céréales, vignes et sapins, soit une trentaine de mille francs par an. C'est chiche ! Mais, en revanche, le sort vous a doté d'une volonté froide, d'un joli petit égoïsme qui sait jouer la passion à ravir, et de ce magnétisme de la voix, du regard et du geste qui nous enveloppe, nous trouble et nous désarme ! Et quand la nature vous a créé l'homme à femmes, vous auriez bien tort de ne pas régler votre destinée sur vos moyens, et de ne pas vous faire de l'amour, une carrière aussi… lucrative que possible.

MIKAËL. Voilà parlé en femme d'esprit, et sans préjugés !

THECLA. Vous vous êtes donc mis en campagne, et après diverses mésaventures inutiles à rappeler, Simone s'est trouvée sur votre route, avec six millions de fortune personnelle, et vous vous êtes dit : " N'allons pas plus loin. Je suis son amant. Elle divorce et je l'épouse ! " Y suis-je ?

MIKAËL. Parfaitement !

THECLA. Au moins, vous êtes franc ! Donc, vous poussez au divorce à fond de train.

MIKAËL. Au contraire ! Tout doucement, pour ne pas l'effaroucher !

THECLA. Et si elle ne veut pas aller jusque-là ?

MIKAËL. J'aviserai !

THECLA. Vous vous ferez surprendre avec elle ? (Il ne répond pas) Oui ! Seulement vous savez la loi : adultère constaté, le mariage des deux complices, impossible !

MIKAËL. En France, oui ! Mais on se marie si bien en Angleterre, en Suisse…

THECLA. Vous avez prévu ce cas !

MIKAËL. Naturellement !

THECLA. (Se levant) Vous êtes d'une jolie force, vous !

MIKAËL. J'ai pourtant besoin de recourir à la vôtre.

THECLA. Pour ?

MIKAËL. Lui faire accepter…

THECLA. Votre hospitalité cette nuit ?…

MIKAËL. Oui, et en bonne camarade !…

THECLA. Non, non ! Mon bel ami ! Je garde ma neutralité ! Rien pour la décourager, rien pour la dissuader ! Si elle risque l'aventure et fait appel à mon aide ! C'est une autre affaire. Les femmes se doivent assistance mutuelle dans tous les cas, sans exception ! Je veux bien être sa complice à titre d'amie, je ne serai pas la vôtre à titre de complaisante.

MIKAËL. Ce n'est qu'une nuance…

THECLA. Considérable ! Mais… considérable !
(Elle sort par la porte de droite, au moment où le domestique introduit Parisot par la gauche)

 

SCENE III

Les mêmes, Le docteur Parisot.

GILBERTE. Ah ! Monsieur Parisot !

D'AUBENAS. (Allant au-devant de Parisot) Bonjour, docteur ! Soyez le bienvenu !

PARISOT. J'arrive de Bordeaux où j'étais en consultation ! J'ai trouvé votre petit mot, je n'ai pris que le temps de dîner. Personne n'est malade, j'espère ?

D'AUBENAS. Personne ! Il s'agit de choses plus agréables.

PARISOT. (Cherchant des yeux Simone) Madame d'Aubenas est absente ?

D'AUBENAS. Elle fait ses apprêts pour nous quitter ce soir ! Une tasse de thé, docteur ?

PARISOT. Non, merci. Un peu de cognac seulement.

RAYMONDE. C'est moi qui vous servirai.

PARISOT. Milles grâces ! Donc il s'agit ?

D'AUBENAS. D'expériences, que je crois de nature à vous intéresser. Mais d'abord, que je vous présente : mon cousin, Valentin Clavières (Saluts) et le docteur Harry Davidson, d'Edimbourg, un confrère !

PARISOT. (Aimable, prêt à prendre la main) Monsieur !

D'AUBENAS. Excellent médium !

PARISOT. (Mettant la main dans la poche) Oh !

D'AUBENAS. Comme vous êtes un incrédule, j'ai pensé vous faire plaisir, en vous invitant à une séance de spiritisme, la dernière, malheureusement. Le docteur est dans l'obligation absolue de partir demain matin, pour ne pas manquer le bateau.

PARISOT. (Goguenard) Monsieur a déjà opéré sous vos yeux ?

D'AUBENAS. Trois fois ! Les deux premières séances, curieuses, rien de plus ! Mais celle d'hier, stupéfiante !

PARISOT. Le grand jeu ?

D'AUBENAS. Jugez-en ? Ce guéridon qui, jusque-là, s'était borné à s'agiter sous nos doigts, et à répondre à nos questions, par des coups très distincts, s'est dérobé subitement au contact de nos mains, pour tourner tout autour de la pièce. Puis s'est soulevé à cette hauteur du parquet, et après avoir flotté en l'air quelques secondes, est redescendu doucement sur le tapis.

PARISOT. (De même) Et cela naturellement, en pleine obscurité !

D'AUBENAS. Du tout ! En pleine lumière, comme à présent. Je laisse à ces deux messieurs le soin de vous dire ce qui a suivi.

DES AUBIERS. Moi, j'ai senti, là, sur l'épaule, un coup. J'y ai porté la main d'instinct, et j'en ai senti une…

GILBERTE. Euh !

PARISOT. En baudruche !

DES AUBIERS. Une main de chair, tiède, vivante ! J'ai retiré la mienne.

GILBERTE. Je te crois.

DES AUBIERS. Et l'autre est allée se poser sur la tête de Marescot, qui a poussé un cri !

MARESCOT. C'est-à-dire…

DES AUBIERS. Un hurlement ! Après quoi, elle s'est blottie dans la main de M. d'Aubenas, qui l'a serrée, s'efforçant de la retenir ! Et sous cette pression, elle s'est presque aussitôt fondue et dissoute en vapeur.

D'AUBENAS. Très exact !

PARISOT. C'est tout ?

D'AUBENAS. Oh ! Mais non ! Peu après, le timbre de cette pendule s'est mis à sonner ! Mais une sonnerie très distincte de l'ordinaire, très étrange ! De petits coups légers, argentins, avec des vibrations prolongées.

PARISOT. Quelque papillon de nuit, prisonnier dans la boîte. Quant au reste, rotation, battements, réponses, on ne peut plus simple ! Impulsions instinctives musculaires, choc en retour de vos propres pensées ! Et la main, la musique, tension, excitations cérébrales, auto-suggestions…

DES AUBIERS. Pardon, pardon. Nous avons entendu, vu !…

PARISOT. Cher monsieur ! Ne dites pas : " J'ai vu, entendu ! Dites : j'ai cru voir ! Je me suis figuré que j'entendais ! "

D'AUBENAS. Et là ! Docteur Marphurius ! Si je ne dois pas ajouter foi au témoignage de mes sens, je me figure peut-être aussi que vous êtes là et que vous me donnez des raison qui ne tiennent pas debout.

PARISOT. Vous n'admettez pas l'hallucination ?

D'AUBENAS. Collective ?

PARISOT. Si.

D'AUBENAS. Alors, expliquez-moi, je vous prie, la dernière manifestation : celle qui a couronné la séance ! Au moment où notre attention était attirée vers la pendule, la sonnerie cesse subitement. Une corbeille de laiton, pleine de feuillez de roses desséchées, que j'avais mise sur cette cheminée au moment d'opérer, s'élève à la hauteur d'un mètre, puis, prenant son vol, traverse toute la pièce et va se poser légèrement, comme un oiseau, à l'angle de ce meuble, là-haut, où elle est encore ! S'il y avait eu hallucination, elle n'aurait pas quitté cette place. (Il frappe sur le marbre de la cheminée)

PARISOT. Vous avez vu ça ?

DES AUBIERS. Tous !

D'AUBENAS. En pleine clarté !

PARISOT. Alors, prestidigitation !

D'AUBENAS. Et l'opérateur ?

DOUGLAS. (Souriant) Quelque Ecossais, sans doute ?

PARISOT. (Sèchement) Je ne désigne personne ! (A Aubenas) Je m'étonne seulement qu'un homme sérieux comme M. d'Aubenas attache de l'importance à de telles fariboles !

D'AUBENAS. Mon cher docteur, un fait est un fait ! Le dédain ne le supprime pas.

PARISOT. Vous allez voir que les Esprits sont les auteurs de ces gentillesses !

D'AUBENAS. M. Davidson vous diras qu'il en est convaincu ! Moi, qui n'ai pas son expérience, je fais mes réserves ; mais j'en sais assez déjà pour constater que toutes les prétendues explications que vous venez de rappeler, mouvement inconscient des doigts, hallucinations, etc…, etc… ne sont bonnes qu'à faire rire aux dépens des savants qui ont eu la faiblesse de s'en contenter.

PARISOT. Mais c'est votre crédulité, cher monsieur, qui fera rire à vos dépens !

D'AUBENAS. Je vous répondrai, comme le fit à ce même propos, un grand écrivain, qui n'était pas précisément un naïf, l'illustre auteur de la foire aux vanités : " Tackery " : " Après ce que j'ai vu, je n'ai pas le droit de douter ! "

PARISOT. Eh bien, moi, après ce que j'ai vu, j'ai le droit de ne rien croire. (Exclamations)

MARESCOT. Ah ! Vous avez vu quelque chose ?

PARISOT. A Biarritz. Il n'y a pas plus de deux mois, chez de bonnes gens de ma parenté qui n'attendaient pas ma visite. Une petite vieille, que du premier coup je jugeai suspecte, faisait manœuvrer une corbeille, à laquelle était adapté un crayon qui passait pour écrire les réponses de l'autre monde. On avait d'abord évoqué Alfred de Musset et George Sand.

VALENTIN. Naturellement.

PARISOT. J'arrivais au moment où sortait Napoléon ! On appelle Victor Hugo, qui s'empresse d'accourir. On eût évoqué Ruy Blas qu'il serait venu tout aussi bien ! Le grand homme daigne dicter quelques vers ! O Seigneur, qu'on ne les publie pas !… Il avoue d'ailleurs n'être pas en verve et se retire prudemment, à l'anglaise… J'exprime alors le désir d'échanger quelques mots avec Homère ! Tac, tac ! Le voilà ! Je lui détache du ton le plus poli, ces deux mots grecs : " Onos eis " (Tu es un âne). Il croit à un compliment et répond : "Toute la Grèce me l'a dit ! " Et l'assistance dans l'extase ! Quelqu'un me souffle : " Demandez-lui donc si vous avez déjà vécu sur terre. " - " Oui, répond Homère, et tu as été un personnage historique ! - Ah ! Quand ? - Sous Louis XIV. - Et qui ? - L'homme au masque de fer ! " (Exclamations de rire)

VALENTIN. Le voilà donc connu, ce secret plein d'horreur !

RAYMONDE. C'était vous !

PARISOT. C'était moi ! Vous comprenez que cette expérience m'a suffi !

D'AUBENAS. Eh bien, docteur, j'estime que vous avez eu tort ! Il n'est pas un expérimentateur qui, à ses débuts, ne se soit heurté à de telles insanités. C'est la fumée qui précède la lumière. Il fallait persister, comme tant d'autres. Vous auriez vu plus clair. La vérité se refuse aux morfondus et ne se donne qu'aux passionnés ! S'il n'y avait rien de plus dans le spiritisme que les expériences de cette bonne dame, et des jongleries de salon, comme celles des loustics qui, par la contraction d'un muscle de la jambe, le long péronier, imitent les battements de l'Esprit, dans le parquet, il y a beau jour qu'il n'en serait plus question !

PARISOT. S'il y avait quelque chose de sérieux, il y a beau jour que la science officielle l'aurait adopté.

DAVIDSON. Témoin le magnétisme, que vous n'avez admis sous le nom de suggestion et d'hypnotisme, qu'après lui avoir fait faire antichambre pendant cent ans !

PARISOT. C'est que les charlatans l'avaient discrédité !

DAVIDSON. Il y a des charlatans en toutes choses, mon cher confrère, même en médecine. Vous n'en concluez pas qu'elle n'est qu'une duperie !

PARISOT. En dehors des charlatans et de leurs dupes, qui s'occupe encore de ces choses-là ?

DAVIDSON. Oh ! Oh ! Vous êtes en retard, confrère ! Qui ? Mais les gens les plus instruits ; les plus compétents, les plus autorisés par leurs fonctions, leur caractère et leur savoir, et pour ne citer que l'Angleterre, des médecins, des physiologistes, comme Gully, Hare, Elliostson ; des physiciens comme Lodge, des astronomes comme Challis, des mathématiciens comme Morgan, des naturalistes comme Sir Russel-Wallace, des ingénieurs comme mon ami Varley, inventeur du condensateur électrique et ingénieur en chef du câble transatlantique. Tous membres de la Société Royale, ou professeurs des sciences les plus exactes aux universités de Londres, d'Oxford, de Cambridge, de Glasgow, de Dublin !… Et constatant, attestant des phénomènes inexplicables, dans l'état actuel de nos connaissances ! Les plus convaincus sont précisément ceux qui n'ont étudié le spiritisme que pour en démontrer l'absurdité !… Entre autres William Crookes, dont l'exemple est typique !… Un jour, l'Angleterre apprend que l'éminent chimiste qui a découvert le thallium, prend la plume pour réduire à néant les conclusions de la Société Dialectique de Londres, qui, après un examen de dix-huit mois, avait affirmé la réalité des faits ! L'incrédulité triomphe ! Crookes étudie la question en vrai physicien, à l'aide de leviers, de poulies, de balances, etc… et déclare que tout est vrai ! Il fait plus, il atteste que ses amis et lui ont obtenu des résultats plus stupéfiants que tous ceux qu'il avait eu l'intention de contester ! Fureur des gens ! Qui l'eussent couvert de fleurs, s'il avait répondu à leur attente ! On conteste ses expériences ! Il apporte l'attestation des témoins, savants comme lui ! On fait courir le bruit qu'il se ravise et rétracte tout ce qu'il a dit ! Il répond par un formel démenti ! Voilà un homme ! Il a la bravoure de ses convictions celui-là ! Saluons-le !

PARISOT. Il est fou !

D'AUBENAS. Je vous souhaite, docteur, la folie du savant à qui l'on doit la découverte des rayons cathodiques, et qui a rendu possible, par ses tubes, celles des rayons Roentgen !

DOUGLAS. Et en fait de folies, je livre à votre méditation, cette grave parole d'un autre savant, qui l'a beaucoup étudiée, la folie ! " Lombroso ! " Mes amis et moi qui rions du spiritisme, sommes peut-être suggestionnés comme beaucoup d'aliénés, nous plaçant à côté de la vérité, et raillant ceux qui ne pensent pas comme nous.

PARISOT. Enfin ! S'il y a des savants pour attester les faits, il y en a d'aussi compétents et plus nombreux pour les nier carrément !

DOUGLAS. Surtout ceux qui, jugeant leur savoir infaillible, se sont gardés comme vous, du moindre examen !

PARISOT. On n'a pas besoin d'étudier ce qui n'est pas, n'étant pas possible.

DOUGLAS. Qui vous l'atteste ?

PARISOT. Le bon sens !

DOUGLAS. Ah ! Le pauvre bon sens ! S'il était responsable de toutes les erreurs mises à son compte ! C'est en son nom qu'on niait la rotondité de la terre, qui plaçait les antipodes la tête en bas, et qu'on disait à Christophe Colomb : " Tu ne pourras plus remonter !… " Qu'on raillait William Harvey, pour la circulation du sang, Jenner pour sa vaccine, Franklin, pour son paratonnerre ! Que sir Humphry David était bafoué pour admettre qu'on pût éclairer Londres au gaz ! Et Thomas Gray, menacé de la prison des fous, pour affirmer la possibilité du chemin de fer ! Que Laplace traitait de fable le chute des aérolithes ; que Lavoisier déclarait qu'il ne peut pas tomber de pierres du ciel, parce qu'il n'y a pas de pierres dans le ciel ! Et que le savant monsieur Bouillaud pinçait le nez de l'opérateur qui lui faisait entendre le phonographe… en lui disant : " Mon ami, vous me prenez pour un imbécile ! Vous êtes ventriloque ! "

PARISOT. Mais tout cela, contesté à torr, c'est positif, tangible, matériel, constant, scientifique ! Ca n'est pas surnaturel !

DOUGLAS. Qu'appelez-vous surnaturel ?

PARISOT. Ce qui est contraire aux lois de la nature !

DOUGLAS. Vous les connaissez donc les lois de la nature ?

PARISOT. Toutes ? Non !

DOUGLAS. Eh bien ! Alors ! Vous êtes comme ce roi de Siam traitant d'imposteur le Hollandais qui lui affirmait que dans son pays, en hiver, l'eau des rivières durcissait au point de porter des éléphants !… Pour ce Siamois, le surnaturel, c'était la glace ! Il n'en avait jamais vu !

PARISOT. Et vous avez vu des Esprits, vous ?

DOUGLAS. Mais oui !

PARISOT. Fluidiques ! Avec corps fluidiques !… Expliquez-moi, de grâce, comment un homme peut sortir de ce monde avec toute sa personnalité ?

DOUBLAS. Très volontiers, quand vous m'aurez expliqué comment il y entre avec toute sa race.

PARISOT. Mais je vois, ce fait-là ! L'autre, je le nie.

DOUGLAS. Ca lui est bien égal !

PARISOT. Des fantômes à présent ! Nous retournons au moyen-âge ! (Prenant son chapeau) Eh bien, allez-y sans moi.

D'AUBENAS. (Voulant le retenir) Mais non, voyons, docteur. Restez !

PARISOT. Non ! Non !

D'AUBENAS. Expérimentez ! Il vous arrivera peut-être de constater la réalité des faits.

PARISOT. Merci bien ! Il faudrait désapprendre tout ce que je sais !

D'AUBENAS. Et si ce n'est qu'illusion, vous le prouverez !

PARISOT. Ah ! J'ai bien le temps de m'amuser à débiner des trucs !

DOUGLAS. Docteur, rappelez-vous les théologiens de Pise, qui ne voulaient pas regarder dans le télescope de Galilée ! Vous voilà théologien comme eux, théologien de la science !

PARISOT. Et vous en êtes, vous, avec vos Esprits, le Robert Houdin ! Je les verrais, monsieur, je les toucherais, que je n'y croirais pas ! (Il sort)

D'AUBENAS. Voilà de nos esprits forts qui ne veulent pas être convaincus, de peur d'être forcés d'en convenir !

VALENTIN. Eh ! Je comprends qu'un médecin ne soit pas pressé de revoir ses anciens clients !

 

SCENE IV

Les mêmes moins Parisot. Simone, Thécla, Delphine, Bastien. Simone entre par la droite, en toilette de voyage, suivie de Delphine et de Bastien, portant couvertures, sacs, etc… Bastien traverse la scène pour sortir par la gauche.

GEORGES. Ah ! Les voyageuses !

SIMONE. Nous sommes prêtes ! (A Bastien, tandis qu'il traverse la scène) La voiture est là ?

BASTIEN. Oh ! Oui, madame, depuis longtemps !

D'AUBENAS. Vous avez enregistré les bagages !

BASTIEN. Oui, Monsieur et pris les billets ! (Il sort)

SIMONE. (Cherchant des yeux) Eh bien, et Thécla ? Où est Thécla ?

THECLA. (Entrant par le même côté, en toilette de voyage) La voici ! Chère amie ! La voici !

SIMONE. (A Delphine) Delphine, vous n'oubliez rien ?

DELPHINE. Je ne crois pas, Madame !

SIMONE. Allons !… La scène des adieux ! (On entoure Simone et Thécla au milieu de la scène)

THECLA. (A droite, à mi-voix à Mikaël, à part, en boutonnant ses gants, tandis qu'on fait les adieux à Simone) Convenu !

MIKAËL. Elle consent ?

THECLA. D'elle-même, je ne l'ai pas découragée, voilà tout !

MIKAËL. Alors, j'attends !

THECLA. A l'endroit désigné.

MIKAËL. Mais si le valet de pied vous accompagne jusqu'au wagon ?

THECLA. Prévu ! On s'arrangera pour qu'il parte avec la voiture.

MIKAËL. Et si d'Aubenas vous conduit à la gare ?

THECLA. Ah ! Dame, ça…

SIMONE. (Embrassant Gilberte) Adieu, mignonne, bonsoir, Marescot ! (A Georges) Au revoir, alors, avec Raymonde !

GEORGES. A Aubenas !

SIMONE. (A Valentin) Et toi ?

VALENTIN. Moi aussi.

SIMONE. Décidément, à Aubenas ? Ah ! C'est gentil, ça !

DES AUBIERS. (Regardant sa montre) Vous n'êtes pas en avance, vous savez !

D'AUBENAS. Oui, ne vous mettez pas dans le cas de prendre le train suivant. (Allant prendre son chapeau) Je vous accompagne.

SIMONE. (Vivement) Mais non, quelle idée !

D'AUBENAS. Mais si !

SIMONE. Ah ! Voyons ! Vous n'allez pas fausser compagnie à nos amis pour cette conduite de cinq minutes !… C'est ridicule !

VALENTIN. Moi ! Je puis…

SIMONE. A l'autre, à présent ! Pour nous protéger, n'est-ce pas ?

MIKAËL. Si ces dames veulent bien me donner place dans la voiture ?

SIMONE. Vous ?

MIKAËL. J'ai trois visites d'adieu à faire ce soir, dont une du côté de la gare.

D'AUBENAS. Vous ne serez pas des nôtres, tout à l'heure ?

MIKAËL. Je le regrette, mais je pars demain soir, comme vous, et même, si vous voulez bien me permettre de faire route en votre compagnie, et celle de monsieur Marescot ?…

D'AUBENAS. Mais je crois bien ! Alors, à demain soir à la gare ! Le même train !

DES AUBIERS. (Criant) Onze heures moins cinq ! Les voyageurs en voiture !

THECLA. Allons, Simone ! Adieu tous !

SIMONE. Delphine, mon sac à bijoux !

DELPHINE. Le voilà, madame ! (Elle donne le sac à Simone et sort avec Thécla)

D'AUBENAS. (A Simone) Et moi ? Vous partez sans m'embrasser ?

SIMONE. Oh ! Pardon ! Mon ami ! On me presse tant !

D'AUBENAS. Je ne me sépare jamais de vous, sans un peu de tristesse et d'émotion !

SIMONE. (Embarrassée) Oh ! Huit jours sont bientôt passés !

D'AUBENAS. J'ai connu le temps, Simone, où ils vous semblaient aussi longs qu'à moi !

SIMONE. Dites un mot, mon ami et je reste !

D'AUBENAS. (Vivement) Oh ! Dieu non ! Va, ma chérie, va !

THECLA. (Dehors) Mais vite, donc, Simone, vite !

SIMONE. Oui, oui ! Me voilà ! A bientôt ! Adieu ! Adieu !

TOUS. Bonne route ! (Elle disparaît. D'Aubenas, sur la terrasse, la suit des yeux. Adieux de Thécla dans la coulisse)

D'AUBENAS. N'oubliez pas une dépêche à votre arrivée à Poitiers !

SIMONE. (Dehors) Oui !

THECLA. (De même, plus loin) C'est moi qui vous l'enverrai !

 

SCENE V

D'Aubenas, Valentin, Douglas, Georges, Marescot, Des Aubiers, Gilberte, Raymonde.

D'AUBENAS. (Redescendant) Allons, maintenant, mon cher Valentin, nous allons vous donner une idée de notre savoir-faire, et si l'expérience est aussi décisive que celle d'hier, vous n'aurez pas lieu de regretter votre soirée.
(Pendant ce qui suit, on dégage le guéridon, on le déplace et on fait tous les préparatifs de la séance)

GILBERTE. Pardon ! Avant de commencer, je tiens beaucoup à ce qu'il soit défendu aux Esprits de venir de nous asticoter avec leurs mains.

DOUGLAS. Soyez tranquille, madame, nos Esprits sont bien élevés !

RAYMONDE. Oh ! Bien ! Avec moi, qu'ils ne se gênent pas !

GEORGES. (Tranquillement) Raymonde !

RAYMONDE. Oh ! Voyons, des Esprits, ça ne peut pas aller bien loin !

GILBERTE. (A Raymonde, à mi-voix) Vous parlez comme s'ils entendaient. Est-ce que vous croyez qu'ils sont là, autour de nous, tout le temps ?

RAYMONDE. Je suppose !

GILBERTE. Même, quand on s'habille, qu'on se déshabille, qu'on se met au lit ?

RAYMONDE. Dame !

GILBERTE. C'est indécent !

RAYMONDE. Mais non !…

GILBERTE. Si c'était le diable ?

DOUGLAS. Le diable, chère madame, si diable il y avait, serait bien maladroit de nous fournir les preuves de l'au-delà, quand il a tout profit à nous laisser dans l'opinion contraire.

GILBERTE. Vous ne croyez au diable ?

DOUGLAS. Oh ! Pas du tout !

RAYMONDE. Et moi qui espérais tant le voir !

GEORGES. Raymonde !… Ma chère…

VALENTIN. Pardon ! Il est indispensable que ce soit un guéridon ?

D'AUBENAS. Nullement !

DOUGLAS. Mais le guéridon est pratique, léger, de déplacement facile…

D'AUBENAS. Voici notre alphabet ! L'un de nous promène rapidement ce petit bâton d'une lettre à l'autre : A B C, etc… et s'arrête sur la lettre qui lui est désignée par un coup frappé dans la table. On inscrit cette lettre et l'on recommence. De l'assemblage des lettres résultent les mots, puis la phrase qui nous est dictée pour réponse.

VALENTIN. Parfaitement.

D'AUBENAS. Ce procédé est un peu long, mais il a le mérite d'être plus convaincant que l'écriture par la main du médium, du reste, il n'est pas neuf. Ammien Marcellin le pratiquait déjà il y a quinze cents ans !… Quant à l'écriture directe sur papier ou ardoise, elle est trop rare et trop difficile à obtenir.

VALENTIN. Je le crois !

D'AUBENAS. Vous riez ?

VALENTIN. Je vous demande pardon, mais je ne sais vraiment pas si je doit prendre ceci au sérieux ou au comique.

D'AUBENAS. Au comique, si vous voulez, cher ami, le sérieux aura son tour. Pour observer de plus près, voulez-vous prendre place au guéridon ?

VALENTIN. Oui, j'aimerais assez cela.

D'AUBENAS. Pour médium, vous et moi, cela suffit. Marescot voudra bien écrire les lettres. Des Aubiers…

GILBERTE. (Se cramponnant à son mari) Arthur, ne me quitte pas !

D'AUBENAS. Des Aubiers veillera sur sa femme !

DAVIDSON. Les mains comme nous ! (Ils s'installent autour du guéridon. Valentin à droite, le docteur au milieu, face au public, d'Aubenas à gauche, Marescot debout)

D'AUBENAS. Le docteur, mon cher Valentin, attribue les communications qu'il obtient à l'intervention d'un esprit désincarné qui se donne le nom ?…

DOUGLAS. Eric Hauser.

D'AUBENAS. Eric Hauser qui serait mort à Harlem, il y a cinq ans, et a fourni, paraît-il, sur son identité, des indications reconnues très exactes.

VALENTIN. Le docteur n'a jamais connu ce Hauser ?

DOUGLAS. Jamais ! Ah ! Voici un tressaillement !

MARESCOT. Déjà ?

DOUGLAS. Sentez-vous ?

VALENTIN. Oui, je crois ! (Il se penche pour regarder sous le guéridon) Oui !

D'AUBENAS. Cela n'a pas tardé !

VALENTIN. Les jointures craquent !… C'est bizarre !

D'AUBENAS. Pour converser plus à l'aise, il est convenu que deux coups frappés dans la table signifient : " Oui "… Un seul coup : " Non " !

DOUGLAS. Il est là !… Es-tu là ? (Deux coups sont frappés distinctement dans le guéridon) C'est bien Eric qui me répond ? (Deux coups)

GILBERTE. C'est Eric !

DOUGLAS. Bien ! Merci d'être venu ! Devons-nous opérer avec un peu moins de lumière ? (Un coup) Non ! La présence de Monsieur Clavières au guéridon ne gêne pas l'expérience ? (Un coup) Non !

VALENTIN. Il est très gentil pour moi !

D'AUBENAS. Nous serions très heureux de le convaincre et très reconnaissant, si tu voulais bien nous y aider. (Grattement vague dans le guéridon)

MARESCOT. C'est faible !

VALENTIN. Oui ! Il ne s'avance pas !

RAYMONDE. Il y a des dames, monsieur Eric ! Soyez gentil, faites quelque chose pour les dames !

GILBERTE. Mais pas les mains !

D'AUBENAS. Eric, le docteur va nous quitter demain matin, dois-je renoncer à ces expériences, puis-je espérer d'être médium comme lui ? (Deux grands coups)

DES AUBIERS. Oh ! Cette fois ! C'est net !

D'AUBENAS. Mais quand aurai-je ce pouvoir ? Ce soir ? (Un coup) Non ! Demain ? (Un coup) Après-demain (Trois grands coups rapides) Dans trois jours ? Est-ce dans trois jours ? (Deux coups)

D'AUBENAS ET TOUS. Oui !

MARESCOT. Si nous prenions l'alphabet ?

TOUS. Oui !

DOUGLAS. Veux-tu que nous prenions l'alphabet ? (Deux coups)

RAYMONDE ET GILBERTE. Oui !

D'AUBENAS. (Prenant l'alphabet) N'oublie pas, je te prie, qu'il s'agit de convaincre Valentin par une manifestation éclatante ? (Deux coups)

VALENTIN. Oh ! Oui !

D'AUBENAS. (A Valentin) Cela vous semble extravagant, n'est-ce pas ?

VALENTIN. Du tout ! Je ne comprends pas ! Mais c'est curieux !

D'AUBENAS. Tu y es, Marescot ?

MARESCOT. J'y suis !
(D'Aubenas promène rapidement le bâton sur l'alphabet, la table frappe quand il est à la lettre O)

D'AUBENAS. O !

TOUS. O ! (Même jeu pour les lettres suivantes : U V R E Z)

MARESCOT. Ouvrez.

D'AUBENAS. (D'Aubenas continue, mais aucune lettre n'est frappée) Rien !

MARESCOT. Recommence ! (Un coup)

TOUS. Non !

DOUGLAS. C'est fini ?

D'AUBENAS. C'est tout ? (Deux coups)

TOUS. Oui !

DES AUBIERS. Ouvrez ! Qu'est-ce qu'il veut dire : " Ouvrez ? "

MARESCOT. Ouvrir… quoi ?

GILBERTE. Ce meuble ?

D'AUBENAS. Ce meuble ? (Un coup)

TOUS. Non !

RAYMONDE. La porte… là ! (Un coup)

TOUS. Non !

DOUGLAS. La fenêtre ? (Deux coups très forts)

TOUS. Oui !

DES AUBIERS. C'est la fenêtre !

RAYMONDE. Tiens ! Pourquoi ?

D'AUBENAS. Peu importe ! Ouvrez la fenêtre, des Aubiers ! Je vous prie !
(Des Aubiers, suivi par sa femme, va ouvrir la fenêtre et pousse un cri de surprise. Le ciel paraît éclairé par une clarté d'incendie sur la droite)

DES AUBIERS. Tiens !

D'AUBENAS. Quoi donc ?

DES AUBIERS. Cette grande lueur, là-bas !

GILBERTE. C'est le feu !

D'AUBENAS. (Se levant) Un incendie !

RAYMONDE. Sûrement ! Voyez !

MARESCOT. C'est du côté de Guethary.

D'AUBENAS. Oh ! C'est bien plus près ! Voilà Bastien. (Appelant) Bastien !

BASTIEN. (Dehors) Monsieur !

D'AUBENAS. Savez-vous ce qui brûle là-bas ?

BASTIEN. Non, Monsieur, mais c'est du côté de la gare !

D'AUBENAS. (Inquiet) Vous croyez ?

BASTIEN. Oh ! Pour sûr !

D'AUBENAS. Oh ! Simone ! Simone ! Qui est là !

MARESCOT. Ne vous inquiétez pas ! Elle est déjà loin !

D'AUBENAS. Qui sait ? Si elle a manqué son train, elle est encore à la gare ! J'y cours ! Docteur ! Docteur ! Un incendie ! Venez vite ! Ma femme ! (Ils sortent avec Marescot)


RIDEAU.
Suite de la pièce le mois prochain Acte II